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1.2 Un phénomène communicationnel à l’œuvre

1.2.3 Une médiation de deux ordres

Comme ce travail s’inscrit dans une approche plutôt inductive, il faut demeurer prudent dans la formulation des hypothèses de recherche car il ne s’agit pas d’inirmer

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ou d’afirmer de façon logique une théorie énoncée, mais plutôt d’explorer une propo- sition découlant d’une intuition de départ. Il s’agit de comprendre le « comment » d’un phénomène dont le fonctionnement est esquissé au départ pour spéciier la méthodolo- gie de recherche et qui sera réajustée suivant les résultats des études de cas, dans une discussion de ceux-ci. Cette proposition serait que l’actualisation est le résultat d’une double médiation : symbolique et physique, formelle (ig. 1.3).

Figure 1.3 Illustration de la problématique de thèse. (Alexandra G. Paquin, 2012.)

Cette double dimension a notamment été traitée dans le concept de recyclage qui, selon Alena Prochazka (2009, p. 29), relève des caractères matériels (le bâtiment, concret) et idéels (l’image de la chose, l’apparence, le caractère). La matière et l’image sont aussi traités dans la théorie de la restauration de Cesare Brandi (2001 [1963]). Fondateur de l’Institut central de restauration de Rome, Brandi a écrit son traité de la restauration en se référant aux œuvres d’art pictural, ce qui n’empêche pas de faire des parallèles avec notre vision d’une forme hybride patrimoniale-contemporaine. Pour lui, l’œuvre d’art est ce qui se manifeste à notre conscience, ce qu’il faut reconnaître comme tel. L’image en est donc l’essence, plutôt que la matière. Brandi fait la diffé- rence entre l’aspect (la forme) et la structure (la matière). C’est ce support que l’on restaure, et non pas l’image : « La consistance physique de l’œuvre doit nécessairement

avoir la priorité, car elle représente le lieu même de la manifestation de l’image, assure la transmission de celle-ci au futur et en garantit donc la réception dans la conscience humaine. » (p. 30) L’important est de ne pas entraver l’unité de l’œuvre, car, même avec un ajout contemporain, on doit percevoir le lieu comme un tout « et non [une] unité obtenue par totalisation » (p. 37), pour enlever le malaise d’une hétérogénéité qui empêche la nouvelle intervention de se mettre en relation avec l’existant.

Selon Brandi, l’œuvre s’offre de façon bipolaire à la conscience, soit par l’ins- tance esthétique (la valeur artistique de l’œuvre d’art) et l’instance historique : « l’ins- tance esthétique qui correspond à cet élément fondamental de la valeur artistique qui fait de l’œuvre une œuvre d’art ; l’instance historique qui la concerne, en tant que produit humain réalisé à une certaine période, en un certain lieu et situé en ce temps et en ce lieu » (p. 29). Une insertion d’architecture contemporaine en milieu historique peut potentiel- lement l’actualiser, car elle permet entre autres une expérience esthétique qui donnerait accès à l’« instance historique ». L’historicité à laquelle Brandi se réfère est double : il y a le moment de l’acte de création et celui du présent d’une conscience, tout comme nous nous référons à une « contemporanéité anachronique » qui reconnaît plusieurs tempora- lités, celle de la création, celle de la durée (la mémoire patrimoniale) et celle du présent. Ainsi, l’actualisation par l’insertion d’architecture contemporaine se joue un peu entre les deux, dans la durée de l’« œuvre ». Selon la stratégie choisie, la nouvelle architecture fera référence soit au contexte d’origine, soit à des moments choisis qui font partie de sa durée. Elle se complète effectivement quand elle se manifeste dans le présent, quand la relation est comprise et que le lieu patrimonial retrouve une perti- nence, offre une nouvelle signiication après l’intervention. Nous pourrions donc enri- chir la proposition de départ en ajoutant que l’actualisation est aussi inluencée par le contexte qui cadre l’intervention architecturale et la réception.

1.2.3.1 Médiation matérielle

L’actualisation se manifestant dans la matérialité des édiices, donc par leurs formes architecturales, serait produite notamment par la médiation esthétique. Cette

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forme particulière de la médiation culturelle rend compte de la perception des formes et de leur interprétation singulière (Lamizet, 1999). En effet, la médiation produite par l’ajout de l’architecture contemporaine « emprunte à l’expérience artistique sa capacité d’inluencer notre perception, de conditionner notre imaginaire, de mobiliser nos émo- tions et notre implication affective » (Caune, 1999, p. 65).

En plus d’agir sur les relations élaborées à l’intérieur même du site, cette actua- lisation est aussi ancrée dans une réalité qui l’entoure. L’intervention architecturale peut donc se lire selon deux échelles de contextes environnementaux avec lesquels elle interagit : un contexte interne (à l’intérieur même du site) et un contexte externe (bâti- ment avec son environnement – le quartier, la ville).

Un ajout d’architecture contemporaine sur un bâtiment patrimonial, même s’il s’inscrit en rupture avec celui-ci, entretient quand même une relation formelle avec lui et produit, par ses formes, une nouvelle signiication. Celle-ci peut être le résultat de stratégies conceptuelles11 pour rappeler l’existant ou s’en détacher, ou encore être

le résultat de l’effet produit par la position même du nouveau par rapport à l’ancien. Cependant, est-ce la relation formelle qui modiie le plus les nouvelles représentations du lieu, ou les autres facteurs composant la médiation de ces représentations ?

1.2.3.2 Médiation symbolique

La rencontre des formes provoque une transformation non seulement physique, mais aussi symbolique, dans les signiications du lieu et ses nouvelles représentations. Elle appelle aussi à différentes temporalités : celle de sa réception et des discours en- tourant l’intervention, qui contribuent à cette transformation symbolique, ainsi que la longue durée du patrimoine.

D’une part, l’intervention mobilise plusieurs acteurs qui participeront à la construction de cette nouvelle identité, les architectes et les politiciens, par exemple,

11 Telles que : l’association, la réponse au lieu, l’assimilation, la position cumulative (révéler

les strates), inventer une in, la correspondance, l’uniication, faire « (super)signe » (Cramer et Breitling, 2007 ; Marcot, 2006 ; Rouillard, 2006 ; Strike, 1994).

mais elle sera reçue collectivement par des spécialistes qui se prononceront publiquement sur l’intervention, comme les critiques d’architecture ou les organismes de protection du patrimoine. Ces igures sont importantes car leur poids et leur statut inluenceront la lecture de l’actualisation. Les discours peuvent donc être discordants et l’actualisation peut ne pas être perçue sur le moment et ne devenir pertinente qu’au il des ans, comme la Pyramide du Louvre, de I.M. Pei, maintenant considérée comme un grand succès après avoir subi un énorme rejet et soulevé la polémique : « such departure challenge our sense

of collective and personal identity, revealing conlicting ideas and values that extend well beyond questions of architectural form » (Semes, 2009, p. 28).

D’autre part, la médiation se joue aussi au niveau de la dimension patrimoniale du lieu : « la spéciicité de la médiation patrimoniale est de constituer la culture par la dialectique entre esthétique et histoire » (Lamizet, 2000, p. 329). Cette déinition, tou- tefois, ne correspond pas à la vision du patrimoine décrite précédemment, soit comme étant une construction à partir du présent. La dimension de contemporanéité du patri- moine est donc prise en compte dans le concept d’actualisation, qui fait le pont entre les différentes temporalités, ce que Jean Caune (1999, p. 90) explique par son concept de « résonnance du patrimoine » : « une œuvre nous intéresse moins par ce qu’elle a représenté à l’époque de sa création que par ce qui, en elle, agit encore sur nous. Dès lors, la question du patrimoine – de sa résonnance et de son actualisation – se pose en fonction de sa réception actuelle. »

L’actualisation favorise un lien de cohésion lorsqu’elle est perçue collective- ment, mais elle est aussi variable dans le temps ; elle se construit de façon différente dans le temps en fonction des différentes perceptions et des discours reçus. L’analyse de l’actualisation révèle ainsi un rapport particulier au temps et à l’identité provoqué par les transformations architecturales sur le patrimoine bâti.