• Aucun résultat trouvé

TEMPS 1 : CONTEXTE DE PRODUCTION

2.2 De Casaramona à CaixaForum (l’amorce)

2.2.1 Survol historique du lieu

Le CaixaForum (ig. 2.6) est actuellement un centre d’art contemporain catalan et international, logé dans une ancienne usine textile. Il est situé sur le lanc de la mon- tagne de Barcelone qui a accueilli l’Exposition internationale de 1929 et les Jeux olym- piques de 1992, le Montjuic. Au tout début de l’urbanisation de cette zone de la ville, Casimir Casarramona, propriétaire de plusieurs usines à Barcelone, chargea l’un des trois architectes modernistes principaux13, Josep Puig i Cadafalch, de construire une

nouvelle usine ain de remplacer celle située dans le quartier du Raval détruite lors d’un incendie survenu le 9 mars 1911. Homme politique important et architecte réputé, Puig i Cadafalch, dont le travail portait principalement sur des architectures domestiques, fut récompensé pour cette première architecture industrielle construite en 1910-1911 par le prix annuel des édiices artistiques de Barcelone lors du concours de 1912,

12 L’orthographe rencontrée dans nos lectures varie entre Casarramona, Casa Ramona et Casa-

ramona. Nous avons choisi d’uniformiser le texte avec cette dernière option, dans sa graphie moderne, et de maintenir le double « r » dans le nom du propriétaire.

13 Josep Puig i Cadafalch, Lluís Domènech i Montaner et Antoni Gaudí étaient les architectes

70

Figure 2.6 CaixaForum, Barcelone. (Alexandra G. Paquin, 2012.)

concours auquel participait aussi Antoni Gaudí avec la Casa Milà. Innovatrice pour l’époque, la fabrique fonctionnait entièrement à l’électricité avec un système d’extinc- teurs automatiques d’incendie. Elle était spacieuse et très lumineuse, fournissant de bonnes conditions de travail à ses trois cents ouvriers.

Bâti dans ce qui constituait les faubourgs de Barcelone, servant de « champs de laitue », ce bâtiment s’est avéré déterminant pour le développement de la zone : « c’est l’implantation du bâtiment même qui générera postérieurement l’apparition d’une trame urbaine, dont la conception et l’orientation seront déterminées par l’existence de l’édiicei » (Premis Bonaplata 2000, 2001, p. 8). Déployée sur trois pavillons de un

étage dont les allées servent de coupe-feu, la forme horizontale de la Casaramona est rythmée par deux tours verticales, servant originellement de citerne pour la prévention d’incendie (ig. 2.7). Le complexe fut construit en brique, selon les techniques de construction catalanes, avec des initions de fer forgé, de la mosaïque en trencadis14et

de la céramique (éléments typiques modernistes), ainsi que des ornements néogo- thiques, qui « s’inspire[nt] de la vision romantique d’un château médiéval15 ». En

14 Type de mosaïque à partir d’éclats de carreaux, notamment utilisé par Gaudí au parc Güell. 15 Extrait du dépliant en couleur distribué par le CaixaForum intitulé « D’usine Art Nouveau

Figure 2.7 Casaramona, 1935. Josep Puig i Cadafalch, 1909-1911. (Archives photogra- phiques de Barcelone, bcn001935.)

effet, l’école catalane, qui préfère « délaisser les Vitruve pour s’inspirer des Violletii »

(Fundación La Caixa et al., 2002, p. 25), se différenciait de l’architecture du style Beaux-Arts en s’inspirant du Moyen-Âge et du style gothique, pour les revisiter dans un langage moderne.

Casimir Casarramona est décédé l’année de l’inauguration de son usine, en 1913. Celle-ci n’a inalement été exploitée que jusqu’en 1920. En 1929, l’usine fut in- tégrée dans l’enceinte de l’Exposition internationale pour servir de magasin secondaire et de stand de présentation de moteurs diesel. Après la guerre civile de 1936-1939, le corps de police armée y installa d’abord ses quartiers, puis la section de la Cavalerie de la police nationale y aménagea ses écuries jusqu’en 1993. L’abandon de l’usage original de l’usine, la guerre civile et une mauvaise utilisation du lieu provoquèrent sa dégradation et une perte de son intégrité, en raison des diverses transformations que lui ont fait subir ses locataires.

En 1963, la plus importante Caja de Pensiones para la Vejez y de Ahorros [Caisse d’épargne et de retraite de la Catalogne] acheta la propriété aux héritiers de Matilde Casarramona Carbonell. Dans un processus entamé dès 1973, la Casaramona

72

fut déclarée Monument historico-artistique d’intérêt national en 1976 pour son « en- semble d’une grande cohérence formelle, dans lequel les diverses solutions structu- relles et les détails sont résolus avec une perfection technologique visant le fonctionna- lismeiii » (IPCE, s.d.). Lorsque le directeur de la Caisse d’épargne, Enrique Luño Peña,

prit connaissance de ce processus, il envoya une lettre de contestation (Luño Peña, 1973) dans laquelle il argumentait que la déclaration contrevenait à la Loi de conser-

vation du patrimoine artistique national, qui prévoyait un délai de cent ans d’existence avant une possible déclaration ; que cette déclaration l’empêcherait de proiter d’un terrain qui fut acquis pour pallier le manque de logement et, inalement, que l’intérêt du « vulgaire ensemble de hangars industriels », non représentatif de l’architecte, rési- dait seulement dans ses deux tours centrales. Toutefois, comme la Caisse d’épargne « a toujours été attentive à la promotion culturelle du pays » et a participé à de multiples projets de restauration, Luño Peña proposait, à titre de compromis, de conserver ces tours de façon isolée, étant donné « l’état lamentable » de l’édiice. Dans sa lettre à la Direction générale du patrimoine artistique et culturel du ministère de l’Éducation et des Sciences, Luño Peña proposa un accord : rédiger un plan pour protéger seulement certaines parties et proiter du reste de l’édiice, car une protection totale était considé- rée comme « antiéconomique » et sans possibilité de développement. Cette proposition fut ignorée par la Direction générale du patrimoine artistique et culturel. La déclaration de la Casaramona fut combinée à celles d’autres œuvres de Puig i Cadafalch, dont cinq qui se situent à Barcelone16. Selon l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando

(Marques de Lozoya, 1973), l’œuvre de Puig i Cadafalch s’étudie dans son ensemble et dans sa diversité de styles, diversité que les membres jugent toutefois structurée par un style qui n’a jamais cessé d’être personnel. L’importance accordée à ce bâtiment est liée non seulement à l’architecte qui en a fait la conception, mais aussi à son apparte- nance au style moderniste, « le moment le plus brillant de l’histoire de l’architecture en Catalogneiv » (Marques de Lozoya, 1973), et qui est enraciné dans l’identité catalane.

Après que les forces policières eurent quitté le bâtiment au lendemain des Jeux olympiques, en 1993, quelques années de lottement et d’abandon ont précédé les pro-

16 Casa Martí (« Els Quatre Gats »), Casa Amatller, Casa Macaya et le groupe de trois maisons

Casas Terrades (« les Punxes »), Palacio del Barón de Cuadras et les Cavas Codorniú (Sant Sadurní de Noya, à l’extérieur de Barcelone).

jets de reconversion du lieu. Outre le fait que le propriétaire du bâtiment, la Caisse d’épargne (entre-temps devenue La Caixa), réléchit à une adaptation du lieu pour ses activités culturelles, sociales et éducatives, quelques idées furent soumises pour sa réu- tilisation, comme l’aménagement du Musée des arts décoratifs Folch i Torres, proposé par le conseiller de culture d’alors, Oriol Bohigas, ou encore le déménagement du Musée d’art moderne, situé à l’époque dans le parc de la Citadelle.En 1997, après le retrait du CCCB (Centre de culture contemporaine de Barcelone) de l’organisation de l’exposition Barça, Barça, Barça! Cien años de pasión azulgrana [Barça, Barça, Barça! Cent ans de passion pour l’azulgrana]17 dans le cadre du centenaire du club

de football barcelonais, La Caixa en proita pour prendre la relève et, du même coup, entreprendre la restauration de la Casaramona ain d’y accueillir cette exposition, sans toutefois conirmer de vocation future. Cette exposition n’est pas anodine dans la réin- tégration d’un édiice très lié à l’identité catalane, étant donné la passion que vouent les Barcelonais et les Catalans à leur équipe de football.

Même si le projet d’ouverture du nouveau centre d’exposition de la Fondation La Caixa ne fut annoncé publiquement qu’en décembre 1998, un projet de restauration et de reconversion de la Casaramona avait déjà été déposé à la Commission territo- riale du patrimoine culturel de Barcelone en 1997 (Proyecto de reforma de la Antigua

fabriqua Casaramona Barcelona, 1997) en vue de son recyclage en centre culturel. Ce projet sera le point de départ de la transformation de la Casaramona en futur CaixaFo- rum qui remplacera la Fondation La Caixa du Palais Macaya, située sur le Passeig de Sant Joan.