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TEMPS 3 : EFFETS SUR LES DESTINATAIRES

4.1 Révéler le patrimoine

Ce procédé communicationnel se rapproche de la célébration de la trouvaille, en ce sens qu’il vient donner au visiteur un accès concret au patrimoine par une struc- ture comme un musée ou une enveloppe, mais aussi un accès conceptuel en exposant les strates des interventions consécutives de la ruine ou de l’édiice existant de manière à faire découvrir ce passé d’un autre œil. Cependant, par l’aspect transformatif de l’ar- chitecture contemporaine, insérée dans ce passé, la valorisation ou la célébration est dépassée pour atteindre l’actualisation. La transmutation patrimoniale en entité hybride

résultante, où la structure révélatrice fait dorénavant aussi partie du site, imbrique le présent dans ce passé et constitue une prise de position face à l’anachronisme soulevé au chapitre I. Il s’agit de nouvelles structures qui mettent en valeur des ruines, la nature ou un édiice existant, dont la construction vise spéciiquement des ins de conservation et d’interprétation.

La forme la plus évidente de révélation du patrimoine entre en relation avec la ruine. Celle-ci devient projet, à la fois en tant que contenu et contenant. Pour Alberto Ferlenga, rédacteur de la revue d’architecture Casabella, « le futur de la relation entre les vestiges archéologiques et l’architecture contemporaine est « une interaction qui consiste non pas à superposer, mais à apporter des usages distincts qui soient compa- tibles avec la valeur historique des restesi » (Molina, 3 octobre 2010). Au Québec, le

Musée d’archéologie et d’histoire Pointe-à-Callière de Montréal (Dan S. Hanganu et Provencher Roy, 1992), tout en valorisant les ruines du lieu de fondation de la ville, reprend la forme de l’édiice de la Royal Insurance, construit en 1862-1863 et démoli en 1951, actualisant ainsi le site en englobant les diverses strates plutôt que d’offrir strictement une enveloppe aux ruines.

Les musées archéologiques de site construits dans un langage contemporain sont nombreux et suivent différentes formes décrites par Josep Maria Montaner (2003), comme celle du « musée-musée », une manière d’intervenir qui prend comme réfé- rence les critères typologiques et la réinterprétation des formes du passé. Le Musée d’art romain de Mérida, en Espagne (Rafael Moneo, 1986), illustre bien cette forme de musée en réinterprétant le langage romain des arches et des murs en brique, créant une relation entre la forme des espaces, la muséographie et les pièces exposées. Une autre forme de musée suit l’évolution de la boîte comme contenant, soit la boîte simple, fermée et opaque, tels le Musée archéologique de Vitoria en Espagne (Francisco José Mangado Beloqui, architecte, 2009) (ig. 4.1), ou les Bains arabes de Baza en Espagne, qui ont subi une transformation par Ibáñez Arquitectos (2008) (ig. 4.2) avec l’ajout d’un volume neutre qui enveloppe les bains datant de plus de six siècles.

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Figure 4.1 Musée archéologique de Vitoria, Espagne. Francisco José Mangado Beloqui, architectos, 2009. (Tiré de ON Diseño, 2010, p. 104.)

Figure 4.2 Anciens bains arabes de Baza, Espagne. Ibáñez Arquitectos, 2008. (Tiré de A & V, 2010, p. 158.)

À l’inverse, l’ajout contemporain peut se situer à l’intérieur de l’existant, comme au Centre d’art contemporain Punta della Dogana situé à l’intérieur des entre- pôts vénitiens de la douane de mer (Tadao Ando, 2009), dans lesquels l’architecte a inséré un cube en béton brut de décoffrage, ou la librairie insérée dans une église domi- nicaine de Maastrich aux Pays-Bas (Merkx + Girod architects, 2008) (ig. 4.3). Le pro- blème de la désaffection des églises doit en effet recourir à des solutions de recyclage créatives ain de rentabiliser ce genre d’espace coûteux et dificilement adaptable, et cette librairie revalorise le lieux tout en lui donnant un usage fonctionnel. Une autre façon de révéler le patrimoine est aussi à travers un parcours qui en révèle les strates, comme l’extension et la rénovation du musée municipal de Ljubljana en Slovénie (Ois arhitekti, 2004), dont la construction s’insère en spirales à travers l’espace d’exposition de l’ancien palais Auersperg en révélant chronologiquement ses strates.

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Figure 4.3 Église dominicaine de Maastrich aux Pays-Bas. Insertion d’une librairie par Merkx + Girod architects, 2008. (Tiré de Klanten et Feireiss, 2009, p. 154.)

Finalement, la ruine peut être utilisée comme projet architectural au lieu de servir de contenu à valoriser, ain de donner une nouvelle fonction au lieu complété par une architecture contemporaine. La transformation de la ruine devient ainsi le point de

départ d’un autre cycle, passant de la relique à un édiice usuel, tout en étant mise en valeur. C’est le cas par exemple du musée Kolumba de l’archevêché rhénan à Cologne (Peter Zumthor, 2007) (ig. 4.4). Peter Zumthor a intégré dans un nouveau bâtiment, à partir des ruines de l’église gothique de Santa Kolumba, deux histoires différentes fai- sant partie du site ; l’une étant la chapelle Gottfried Böhm, datant de 1950, pour y abri- ter la Madonne des ruines, une sculpture du gothique tardif qui survécut aux bombar- dements de la Seconde Guerre mondiale, l’autre étant un site archéologique découvert en 1973, abritant des vestiges romains, gothiques et médiévaux. Au Portugal, la irme Arx Portugal Arquitectos a construit, sur les ruines du manoir Visconde de Almeida datant du XVIIIe siècle, la bibliothèque municipale d’Ilhavo (2005) avec la création de

trois nouveaux volumes.

Figure 4.4 Musée Kolumba, Cologne, Allemagne. Peter Zumthor, 2007. (Alexandra G. Paquin, 2010.)

Par ailleurs, ain de mieux s’intégrer dans le paysage urbain lorsqu’il y a lieu, ces musées peuvent opter pour une esthétique minimaliste ou encore pour la « déma- térialisation des formes » (Montaner, 2003), comme c’est le cas du centre d’interpréta- tion des ruines de la Madinat Al-Zahra à Cordoue (Nieto Sobejano, 2008), dont l’hori- zontalité et la blancheur s’intègrent dans le paysage, presqu’en se fondant dedans. Il

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en va de même au Musée gallo-romain de Vésunna, à Périgueux (Jean Nouvel, 2003). Une autre sorte d’intervention pour révéler le patrimoine peut participer à une réorgani- sation de la forme urbaine. La restructuration du square des Frères-Charon à Montréal (Afleck + de la Riva architectes, 2009), par l’aménagement d’un nouvel espace public et la construction d’un pavillon de parc, d’une part, révèle le paysage d’origine du lieu en rappelant l’état naturel du site lorsqu’il faisait partie d’une prairie à l’extérieur des fortiications du Vieux Montréal et, d’autre part, marque les vestiges du moulin des frères Charon.

Bien sûr, comme toute structure intégrée dans un environnement urbain, la nou- velle architecture sera critiquée ou encensée aussi sur cet aspect, comme dans le cas du musée de l’Ara Pacis à Rome, par Richard Meier (2006) (ig. 4.5), qui suscita une longue polémique, étant la première intervention contemporaine dans le centre histo- rique de Rome depuis l’époque de Mussolini69. La construction de ce musée fut aussi

le point de départ de la réorganisation de la piazza Augusto Imperatore.

Figure 4.5 Musée de l’Ara Pacis, Rome, Italie. Richard Meier, 2006. (Alexandra G. Paquin, 2008.)

69 Cette polémique a été couverte dans mon mémoire de maîtrise (voir Georgescu Paquin,

Le musée du Théâtre romain de Carthagène, qui a été retenu pour les ins de notre analyse, tient à la fois un rôle urbanistique et de mise en valeur de la ruine à tra- vers un parcours muséographique et architectural.

TEMPS 1 : CONTEXTE DE PRODUCTION

La construction du musée du Théâtre romain de Carthagène s’insère dans un vaste projet archéologique amorcé en 1988 avec la récupération des ruines d’un théâtre romain, découvert accidentellement près de la colline de la Concepción à Carthagène, dans le sud-est de l’Espagne. Ain de conserver et d’exposer les pièces découvertes lors des fouilles, la construction d’un nouveau musée fut coniée à l’architecte espagnol Rafael Moneo Vallés qui, en plus de valoriser la ruine, agit sur le site sur lequel il est construit en l’interprétant et en intégrant le théâtre dans son environnement urbanistique.