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5 Les qualités sociales de la langue des journalistes

5.4 Le devoir professionnel

5.4.1 Un devoir fondé sur une responsabilité sociale

Le premier ensemble d’arguments nous permet de révéler un nouvel enchâssement entre plusieurs idées de notre modèle d’analyse : la responsabilité des journalistes à l’égard de la langue est souvent présentée comme une justification à un devoir professionnel.

Nous avons déjà abordé plusieurs textes relatifs à l’Association internationale des journalistes de langue française. La création, en 1950, d’une telle association professionnelle peut être considérée comme révélatrice d’une responsabilité, assumée ou revendiquée par au moins une frange du groupe professionnel, à l’égard de la défense de la langue. Elle démontre le besoin qu’ont éprouvé – et qu’éprouvent toujours – certains journalistes de se rassembler autour d’une posture défensive reposant sur une pratique partagée de la langue française. Selon la perspective adoptée par ces journalistes, il semble que la défense de la langue constitue même un devoir professionnel. En effet, les statuts de l’association approuvés à Neuchâtel en 1953302 précisent dès le premier article que l’association « a pour objet d’établir des liens de confraternité entre les journalistes professionnels de culture et d’expression françaises, ainsi que

299 S.n. (1953), « A l’Association ... », op. cit., p. 16 ; Duwaerts, Léon (1972), op. cit., p. 80.

300 Cette affirmation se retrouve également dans la critique de Riocreux (2016 : 317) : « Les [fautes de français] sont parfois graves dans ce qu’elles impliquent, de la part du journaliste, comme méconnaissance de son outil de travail principal (la langue) [...]. »

301 Grevisse, Benoît (2014), op. cit., p. 7.

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de défendre la langue française par les moyens appropriés »303. Le deuxième article rejoint explicitement l’idée de devoir professionnel mais aussi de responsabilité sociale par rapport à la langue : « Chaque membre de l’Association s’engage à assurer, dans l’exercice de sa profession, le respect et la défense de la langue française.304 » Dans le compte rendu du Congrès de Neuchâtel publié dans Le Journaliste305, on lit que « [l]’objectif majeur de l’Association des journalistes de langue française consiste […] en la défense et en l’entretien en bon état de leur outil de travail »306. L’association justifie par ailleurs son existence : « La constitution d’une association de journalistes de langue française paraît d’autant plus nécessaire que, dans de nombreux pays où cette langue est tenue pour langue officielle, le français court divers périls.307 » Dans l’Annuaire de la presse belge de 1981, la présentation qui est faite de l’association précise que l’un de ses objectifs est de « veiller à la sauvegarde de la langue française »308. On ne peut ignorer la dimension politique que revêt la défense de la langue dans certains pays ou régions membres de l’association, dont le Canada francophone qui en est même le cofondateur. En effet, l’association est née à Limoges en 1950309 d’une initiative franco-canadienne. Elle intègre rapidement des journalistes belges d’abord, puis suisses, avant de s’étendre en Afrique francophone et au reste du monde310. La section belge voit le jour dès la fin des années 1950311.

Au fil des années, l’association a vu son nombre de membres augmenter de manière importante et les sections nationales de l’association ont proliféré. L’association compte six pays membres en 1962312, un millier de journalistes répartis dans 40 pays en 1993313, 2 000 journalistes dans une cinquantaine de pays en 1997314 et près de 3 000 journalistes dans 125 pays ou régions du monde en 2015315. Plusieurs noms se sont succédé : l’Association

303 Ibid., p. 17. 304 Ibid. 305 Ibid., p. 16-17. 306 Ibid., p. 16. 307 Ibid.

308 S.n. (1981), « Union Internationale des Journalistes et de la Presse de Langue Française », Annuaire de la presse belge, 1981, p. 475.

309 S.n. (1960), « Le Congrès international … », op. cit., p. 21 et Union de la presse francophone (2014), « Histoire de l’UPF », site de l’Union de la presse francophone, disponible sur http://www.presse-francophone.org/l-union/histoire/article/histoire-de-l-upf. [Page consultée le 11 mars 2017.]

310 Union de la presse francophone (2014), « Histoire de l’UPF », site de l’Union de la presse francophone, disponible sur http://www.presse-francophone.org/l-union/histoire/article/histoire-de-l-upf. [Page consultée le 11 mars 2017.]

311 S.n. (1957), « L’association internationale des journalistes de langue française », Le Journaliste, 1957, n° 11, novembre, p. 8.

312 S.n. (1962), « L’Association internationale des Journalistes de langue française », Le Journaliste, aout-décembre, n° 4, p. 17-18.

313 Annuaire de la presse belge, 1993-1994, p. 329.

314 Annuaire de la presse belge, 1997-1998, p. 382. Il faut noter que les chiffres pour cette période semblent incohérents car l’Annuaire 1996 fait état de 2 000 journalistes dans 85 pays (p. 380).

315 Union de la presse francophone (2015), « Tout sur les 43èmes assises », site de l’Union de la presse francophone, disponible sur http://www.presse-francophone.org/les-assises/dakar-2015/article/tout-sur-les-43emes-assises. [Page consultée le 29 décembre 2017.]

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internationale des journalistes de langue française (AIJLF) devient l’Union internationale des Journalistes de la Presse de Langue Française (UIJPLF) en 1971, pour adopter son nom actuel en 2001, l’Union de la presse francophone (UPF).

Il faut noter qu’avec le temps, les missions de l’association se sont élargies. Ainsi, les objectifs que celle-ci se donne aujourd’hui, consignés dans l’article 3 de ses statuts316, sont au nombre de sept. La première mission est de « défendre et développer la liberté de la presse, première de toutes les libertés ». « [V]eiller à la promotion de la langue française » arrive en troisième lieu. L’article trois précise encore que « [l]es journalistes et les médias francophones de tous les pays ressentent la nécessité de s’organiser pour mieux se connaître, mieux défendre la liberté de la presse et leurs intérêts professionnels, mieux promouvoir la langue française ». Notons qu’on parle ici de « promotion » de la langue française et non plus de sa « défense » comme c’était le cas dans les premiers statuts. Malgré une formulation moins « défensive », la « promotion » de la langue française n’en demeure pas moins une responsabilité sociale attribuée aux journalistes à l’égard de la langue française.

Dans la revue Le Journaliste, on peut lire en 1958 le compte rendu d’un Congrès de l’Association Internationale des journalistes de langue française qui s’est tenu à Bruxelles317. Plusieurs intervenants ont abordé la question de la défense de la langue dans leurs pays respectifs. René Braichet, président de l’association et originaire de Suisse, évoque même « la mission éducatrice du journaliste »318.

En 2003, Marie-Madeleine Arnold, administrateur de la section belge de l’Union de la presse francophone, présente son association dans un article de la revue Journalistes intitulé « Servir une “langue belle” »319.

(79) Nous qui avons le privilège de nous exprimer et de communiquer dans la langue de Voltaire, tout autant que de nous en servir, nous devrions nous devrions [sic] la servir, la défendre, l’enrichir et la protéger. C’est un des rôles qu’a choisi l’Union de la Presse francophone […].

L’intervention

(80) a pour but avoué de motiver et remotiver encore les membres de notre association, parfois dévorés par d’autres urgences, ou qui perdent de vue [l’]importance [de cet enjeu].

L’association s’adresse donc aux journalistes en affirmant que le respect de la langue constitue un enjeu social. On voit aussi réapparaitre la temporalité du travail journalistique,

316 Union de la presse francophone (2014), « Les statuts de l’UPF », site de l’Union de la presse francophone, disponible sur http://www.presse-francophone.org/l-union/statuts/article/les-statuts-de-l-upf. [Page consultée le 11 mars 2017.]

317 S.n. (1958), « Le Congrès de l’Association Internationale des journalistes de langue française », Le Journaliste, juillet, n° 7, p. 5-6.

318 Ibid., p. 6.

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entendue ici comme un obstacle potentiel à l’accomplissement du devoir des journalistes ou à l’attention accordée à leur responsabilité sociale vis-à-vis de la langue.

Il convient de mettre en rapport la création et le succès de cette association avec la création d’autres associations liées à la langue mais aussi avec l’organisation des professionnels des médias autour d’associations diverses. Tout d’abord, le XXe siècle a connu une floraison d’associations liées à la langue française et à sa défense, qui sont le fruit d’initiatives privées, publiques, mais aussi sectorielles (Bogaards, 2008 : 145-159). Plusieurs types d’acteurs desquels sont rapprochés les journalistes dans nos textes ont également créé des associations autour de la langue française : écrivains, maires, administrations publiques, universités, professeurs de français, etc. (voir Bogaards, 2008 : 145-159 ; Organisation internationale de la Francophonie, en ligne). Ensuite, le groupe professionnel des journalistes a eu recours à la constitution de syndicats et d’associations dans le but de défendre ses intérêts et d’assurer sa professionnalisation (Van den Dungen, 2005320). Cette habitude s’est pérennisée dans l’histoire du groupe professionnel, en témoigne le nombre extrêmement élevé d’associations de tous types présentées dans chacun des Annuaires de la presse belge. Il reste néanmoins que cette association spécifique autour de la langue française et, plus encore, son succès exponentiel semblent significatifs d’une responsabilité sociale à l’égard de la langue intériorisée par une partie des professionnels de l’information. Comme nous l’avons noté, les Belges font partie des premiers membres de l’Association internationale des journalistes de langue française.

Van den Dungen (2005 : 475-477) montre que l’implication des journalistes belges francophones dans la « défense du français » est bien antérieure à l’existence d’une association professionnelle ad hoc. Certaines motivations de ces journalistes sont propres au contexte sociopolitique de la Belgique. À la fin du XIXe siècle, alors que le français est demeuré depuis l’indépendance du pays « la langue de la Nation belge » (Van den Dungen, 2005 : 475), le flamand gagne progressivement de l’importance. Cette progression aboutit, en 1898, à la loi dite d’égalité relative à l’emploi de la langue flamande comme seconde langue officielle. Une telle réforme politique est réprouvée par la majorité des publicistes d’expression française (Van den Dungen, 2005 : 475). De ce fait,

[d]evant ce qu’ils considèrent comme une néfaste « flamandisation » de la Belgique, nombre de rédacteurs gagnent les rangs d’associations de défense de la langue française qui se multiplient à la fin du siècle321. Ainsi, l’Alliance française possède une succursale à Bruxelles en 1891 alors que l’Association internationale pour l’extension et la défense de la culture de la langue française naît à Liège à l’occasion de l’Exposition universelle de 1905.

Van den Dungen (2005 : 477) résume les raisons de cette implication dans la défense du français :

En somme, les milieux de gens de plume belges, dans leur majorité d’expression française avant 1914, défendent leur outil de travail – la langue française – qu’ils jugent menacé par un double

320 En ce qui concerne la France, voir notamment Ruellan (2007, 2011).

321 Comme le montre Bogaards (2007, 2008), ces associations n’ont toutefois acquis une certaine ampleur qu’à partir des années 1930.

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péril. À l’intérieur des frontières, ils affrontent en effet les revendications du mouvement flamand, dont ils rejettent plus l’argumentaire linguistique que social. À l’extérieur des frontières, enfin, ils cherchent à contrecarrer les premiers reculs de la langue et de la culture françaises, moins face à l’anglais que devant l’allemand, langue d’une nation dont ils craignent les visées expansionnistes – pangermanistes – des dirigeants322.

Il ne s’agit pas de prétendre que les objectifs et les motivations des journalistes belges de la fin du XIXe siècle sont identiques à ceux qui ont animé les journalistes qui se sont investis dans l’Association internationale des journalistes de langue française plus d’un demi-siècle plus tard, mais de souligner que la défense de la langue française a compté parmi les préoccupations du groupe professionnel – ou du moins d’une partie de celui-ci – dès sa naissance.

Cette implication de la part des médias dans les questions liées à la défense de la langue française (voir aussi Vicari, 2011 : 81) transparait aujourd’hui encore de diverses manières :

[L]a presse et les médias relaient voire participent à l’ensemble des festivités organisées par les différentes institutions autour de la langue. La dictée des Dicos d’or organisée par Bernard Pivot, événement médiatique en communauté française de Belgique, est organisée en partenariat avec les médias écrits et télévisuels et des journalistes siègent dans le jury. Les médias sont donc d’excellents relayeurs du discours puriste comme activité métalinguistique. (Paveau et Rosier, 2008 : 68)

Paveau et Rosier (2008 : 68) soulignent également la quantité de discours sur la langue que les médias eux-mêmes font circuler, notamment par les interviews d’experts de la langue, les chroniques de langue ou même la publication de courriers de lecteurs qui émettent des considérations sur la langue. Il nous semble que cet intérêt multiforme de la part des médias pour la situation du français, ainsi qu’une certaine tendance à l’autoflagellation dont nous avons parlé supra, traduisent le sentiment d’un devoir professionnel lié à une responsabilité sociale en matière de langue.

La responsabilité linguistique des journalistes apparait comme un argument fondant un devoir professionnel dans d’autres textes que ceux relatifs aux associations ad hoc. En 1960, Antoine Seyl, directeur de l’Agence de presse Belga, développe diverses considérations sur « le journal moderne »323 dans un texte dont nous avons déjà présenté un court extrait.

(81) Un […] point capital auquel il convient de veiller en raison des signes inquiétants de dégradation du vocabulaire, est la correction de la langue. On peut dire d’un directeur de journal (et à plus forte raison d’un directeur d’agence de presse fournissant des nouvelles à une multitude de journaux) qu’il joue un rôle de premier plan dans la « défense et illustration de la langue française ».

322 L’auteur (2005 : 475-477) met aussi en avant les « amitiés françaises », ces liens que de nombreux journalistes entretiennent avec la France notamment sur le terrain de la défense de la langue : « une pluie de décorations venue de France s’abat sur les journalistes belges dévoués au service de “la cause” de la préservation de la langue française. L’Association belge pour la culture et l’extension de la langue française en Belgique, devenue le Comité d’Entente Franco-Belge en 1918, joue d’ailleurs un rôle actif dans les demandes de promotion » (477).

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Pour ma part, j’ai toujours exigé de mes collaborateurs le plus scrupuleux respect de la pureté de la langue, banni farouchement les « expressions à la mode » affectionnées de Marie-Chantal, et les solécismes même l’avant-garde [sic]324.

Ces deux paragraphes illustrent bien, tout d’abord, l’assignation aux journalistes d’une responsabilité sociale « de premier plan » à l’égard de la langue française, mais également du devoir professionnel qui, d’après l’auteur, en découle : exiger le respect de la pureté de la langue est nécessaire afin de remplir son rôle de défense et d’illustration de la langue.

(82) En attendant la naissance, sous l’influence de l’O.T.A.N., de la « langue occidentale », par l’interpénétration de toutes les langues du continent en un sabir flamboyant, je crois qu’il faut continuer à préserver l’intégrité de nos belles langues européennes. Dans les quatorze volumes de la collection de ma revue « La Chronique Graphique », on ne trouverait pas cinq coquilles typographiques. Cela ne m’empêchait nullement de cultiver aussi quelques autres langues avec le souci de la perfection. Je fus, en 1936, de la fondation du service de traduction orale des débats au Sénat de Belgique dont, en 1945, j’allais devenir directeur. En 1944, à peine entré à l’Agence Belga, j’y créai une rédaction néerlandaise, à côté de la française, avec le souci de n’y grouper que des collaborateurs de premier ordre, toujours soucieux de l’importance de la haute qualité linguistique325.

Ce dernier élément concernant le recrutement démontre davantage encore l’importance accordée à ce qui est présenté comme un devoir professionnel commandé par une responsabilité sociale à assumer : un journaliste qui ne serait pas soucieux de l’importance de la qualité de la langue n’aurait pas sa place dans une agence de presse.

Léon Duwaerts, président honoraire de l’AGPB et rédacteur en chef de l’agence Belga, publie en 1963 un article dans lequel il aborde notamment l’accélération de la production de l’information326.

(83) [L]e rédacteur d’agence doit être conscient de ses responsabilités, conscient aussi de ses devoirs vis-à-vis des abonnés de sa maison, vis-à-vis également de sa profession et de la collectivité. […] Mais il doit encore, dans la hâte de son labeur quotidien, se méfier des travers de la routine et de la facilité. Il doit éviter de recourir systématiquement aux ficelles du métier : il doit notamment se garder des formules passe-partout comme « dans le cadre de… » ou « donner le feu vert ». Il ne faut pas que sous prétexte d’être concis, il verse dans un usage abusif de « clichés » et de poncifs. Dans le rythme fiévreux de notre siècle, nos citoyens n’ont que trop tendance à avaler des idées toutes faites et à user d’expressions faciles.

324 Ibid., p. 319-320.

325 Ibid.

326 Duwaerts, Léon (1963), « Les techniques nouvelles et les agences d’information », Le Journaliste, mai-juin, n° 2, p. 23-24. Cet article avait fait l’objet d’une première publication dans un numéro de la revue Techniques Nouvelles paru le 25 novembre 1962.

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Nous devons faire en sorte que malgré un emploi poussé des techniques nouvelles, ses goûts ne soient pas dépravés. Nous le pouvons par la défense effective de nos valeurs innées, par la défense de nos façons propres de penser, d’agir et d’écrire327.

Ce passage illustre l’imbrication des idées de pouvoir d’influence, de responsabilité sociale et de devoir professionnel. La notion de devoir est ici forte : elle est d’abord considérée dans le rapport des journalistes aux abonnés de leur média et revient ensuite sous la forme de nombreuses injonctions « il doit » ou « il ne faut pas ». L’auteur parait inclure ces devoirs dans ce qu’il considère relever des « responsabilités » des journalistes. Enfin, il lie les devoirs relatifs à l’usage de la langue à l’influence des médias sur la manière dont la société pratique la langue : si les journalistes doivent éviter certaines expressions ou certains clichés, c’est notamment parce que « les citoyens » auront « trop tendance » à en user.

Plusieurs textes révèlent que l’idée du devoir professionnel des journalistes fondé sur une responsabilité sociale en matière de langue circule également en dehors du groupe professionnel.

Créé en 1985, le Conseil de la langue en Belgique francophone établit quatre ans plus tard une Charte de la langue française328. L’institution envisage davantage cette Charte comme une base d’orientation des politiques à mener en matière de langue qu’un texte normatif. On peut lire au point 8 :

(84) Tout membre de la Communauté française a le droit d’être informé dans une langue de qualité.

Les médias ont le devoir de produire des messages écrits ou parlés qui, par leur correction, leur clarté et leur précision, contribuent au prestige et au rayonnement de la langue.

Ce document révèle un lien étroit entre les idées de responsabilité sociale et de devoir professionnel. En effet, un devoir linguistique est ici assigné aux journalistes. Le fait que ce devoir soit établi par un organe public dont l’objet est précisément la langue nous amène à considérer qu’une responsabilité sociale leur est attribuée. Les journalistes auraient donc le devoir d’assumer une responsabilité à l’égard de la langue.

Enfin, la responsabilité sociale des journalistes non pas en tant que défenseurs de la langue mais en tant que modèles linguistiques pour la société apparait également comme un argument fondant un devoir professionnel lié à l’usage de la langue. Comme nous l’avons vu supra, l’étude de Michel Francard et al. publiée en 1993 a montré que les jeunes Belges, âgés de 18 à 20 ans considéraient largement que les médias « utilisent un français impeccable » même s’ils ajoutent

327 Ibid., p. 24.

328 Conseil de la langue française (1989), Charte de la langue française (1989), site du Service de la langue française, disponible sur http://www.languefrancaise.cfwb.be/index.php?id=1255. [Page consultée le 14 avril 2015.]

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« souvent » que « les journalistes ne sont pas exempts de tout reproche »329. Les auteurs de l’étude développent leurs résultats.

(85) La récurrence d’expressions comme « ils sont obligés de bien parler », « ils ne peuvent pas se permettre de faire des fautes » montre, dans un premier temps, que les médias représentent effectivement un modèle qui jouit d’une réelle légitimité. La majorité de nos informateurs y voit une nécessité sociale, appuyée sur un argument fonctionnel : comment atteindre une large diffusion si l’on s’exprime dans un