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La fréquence des écarts linguistiques, une zone de tension

4 Les qualités linguistiques de la langue des journalistes

4.3 Les discours permanents de déploration

4.3.2 La fréquence des écarts linguistiques, une zone de tension

De nombreux textes expriment l’idée d’une abondance des problèmes de langue dans les productions journalistiques. En 1947, un député du Parti social-chrétien, Étienne de la Vallée Poussin, publie un article sur la langue et la culture148. L’auteur évoque la place du français en Belgique, en soutenant que les Belges éprouvent un certain malaise vis-à-vis de la langue française149 et sont « hantés par le souci de correction »150. Il établit que le « bon français » est déterminé par les écrivains qui sont les plus lus et les plus admirés151. L’importance de la langue est prônée, au motif qu’elle constitue « le plus indispensable des instruments de pensée »152

147 Snyers, Bénédicte (à paraitre), Qu’est-ce que le « bon français » ? Analyse des processus d’élaboration des normes linguistiques en Belgique francophone [titre provisoire], thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain.

148 de la Vallée Poussin, Étienne (1947), op. cit., p. 799-816.

149 Ibid., p. 799.

150 Ibid., p. 810.

151 Ibid., p. 809.

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mais aussi « le principal instrument des relations sociales »153. L’auteur évoque l’effort social qui, selon lui, doit être consenti en matière de langue.

(14) Mais, dès que nous parlons d’effort social, voyez jusqu’où il s’étend. Il ne s’agit pas seulement de la conversation courante, mais de toute la littérature quotidienne : le journal, les lois, les arrêtés communaux, les règlements d’ateliers, le sport, la bourse, la radio déversent sans cesse sur nous des torrents de mauvais langage154.

La critique est, ici aussi, généralisée à un ensemble d’acteurs de la communication publique. L’extrait démontre que cette idée de la fréquence des écarts linguistiques dans les médias n’est pas apparue récemment. En témoigne, de façon plus évidente encore, une citation tirée d’un manuel publié en 1983 par l’Institut pour journalistes de Belgique, Vade-Mecum pour journalistes débutants155 :

(15) Comme l’a dit Voltaire dans ses « Conseils à un journaliste », « Les papiers publics et les journaux sont infectés continuellement d’expressions impropres auxquelles le public s’accoutume à force de les lire »156.

Datant de 1739, cette citation révèle l’extrême ancienneté des discours critiques sur l’utilisation de la langue par les journalistes, mais aussi de la réflexion relative au pouvoir d’influence de ces derniers en matière de langue (voir section 5.2). Par ailleurs, elle fait apparaitre la prise en compte du public dans les questionnements et préoccupations relatifs à la langue des journalistes.

L’idée de la fréquence des écarts linguistiques apparait aussi dans une chronique de Mauritz Van Overbeke157. Le chroniqueur s’arrête sur de nombreux énoncés entendus au journal télévisé et jugés mal formés. Il soutient ensuite que « les perles de ce genre abondent dans nos médias audiovisuels »158.

Certains discours affirment même que la fréquence des écarts tend à augmenter, ou que la situation linguistique dans les médias décline. L’idée d’une situation décadente se retrouve déjà dans le premier volume illustré de l’Annuaire de la presse belge en 1908159. L’APB offre une tribune à divers acteurs en début d’ouvrage. Parmi les préfaciers, on trouve Henri Carton de Wiart, député du Parti catholique et auteur des paragraphes suivants.

(16) Il semble que nous assistons au progrès d’un mal auquel nous avions jusqu’ici à peu près échappé. Ce mal ne se traduit encore que par quelques cas isolés. Mais le mal

153 Ibid., p. 808. Les italiques sont de l’auteur.

154 Ibid., p. 812.

155 Schmieder, Maurice (1983), Vade-mecum pour journalistes débutants, s.l., Institut pour journalistes de Belgique.

156 Ibid., p. 18.

157 Van Overbeke, Mauritz (2004), op. cit., p. 63-68.

158 Ibid., p. 67.

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est contagieux. Et s’il devait se répandre davantage, l’influence de notre Presse, son crédit et son bon renom en seraient singulièrement affectés.

Je veux parler d’un abaissement graduel dans le niveau de nos discussions de presse, et de la substitution aux polémiques dignes, loyales, voire courtoises, des procédés violents et grossiers qui me font l’effet d’être empruntés au monde des apaches. Certes, on ne peut demander aux journaux le ton des académies. La polémique veut la passion et l’ardeur. Les mots sont faits pour qu’on s’en serve. L’invective elle-même peut n’être que l’expression licite d’une pensée libre. Il n’est pas un vocable, si énergique qu’il soit, qui n’ait le droit, à son heure, d’éclore sous la plume. […] Tout de même, du ton des académies au langage du Père Duchêne, il y a place pour bien des nuances ! Et c’est vers la prose duPère Duchêne et vers le Quartier des Halles que certains de nos journaux se laissent glisser avec une rapidité qui devient inquiétante160.

Le propos ne concerne pas directement ou uniquement la langue. Néanmoins, les termes « vocable », « plume », « ton » et « prose » indiquent que la réflexion inclut des composantes linguistiques ou discursives. Cet extrait démontre une attention particulière pour l’expression et le style dans les journaux ainsi qu’une insatisfaction envers ceux-ci. Il faut remettre cet extrait dans le contexte social de l’époque, où la massification en cours de la presse et le basculement vers une presse d’information suscite des inquiétudes dans les milieux élitaires ou intellectuels conservateurs et chez ceux, nombreux, qui sont davantage attachés au caractère littéraire, esthétique, et intellectuel de la presse (Van den Dungen, 2001 : 639). Van den Dungen (2001 : 640) souligne par exemple que « les tenants de l’antimassification161, conservateurs en politique et élitistes en art, opèrent […] un distinguo de valeur entre les deux modes d’écriture. » Dans ce contexte, l’extrait que nous venons de présenter révèle, lui aussi, que les changements qui traversent l’activité journalistique font émerger des critiques spécifiques à l’égard de la langue utilisée par les journalistes.

Dans le compte rendu, déjà présenté, d’un Congrès de l’Association internationale des journalistes de langue française qui s’est tenu en 1953162, on peut également lire :

(17) La langue des journaux de France n’est pas non plus à l’abri de graves altérations, ainsi que l’exposa M. Berthaud, qui souligna la décadence de la langue des quotidiens de Paris et de province ainsi que l’apparition massive, dans toutes les rubriques de la presse de son pays, de néologismes indéfendables163.

160 Ibid.

161 Les italiques sont de l’auteur.

162 S.n. (1953), « A l’Association … », op. cit., p. 16-17. Pour une présentation de cette association, voir la section 5.4.1.

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Quelques années plus tard, cette idée de la décadence de la langue est également exprimée par le directeur de l’agence de presse Belga et professeur à l’Institut pour journalistes de Belgique Antoine Seyl, qui évoque « des signes inquiétants de dégradation du vocabulaire » 164.

En 1960, le sixième Congrès international de l’Association internationale des journalistes de langue française se tient à Lausanne165. Le Journaliste développe dans son compte rendu la position tenue par Pierre Oguey, chef du Département de l’Instruction publique. L’homme politique suisse, également professeur dans une école polytechnique, s’est exprimé lors de ce congrès au nom du département vaudois.

(18) [Pierre Oguey] se félicita […] de voir réunis tant de journalistes de pays différents, par un même amour de la langue française, un commun désir de la servir et, au besoin, de la défendre.

Cela est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui la presse change d’aspect d’une manière inquiétante. « Les journaux deviennent souvent impersonnels, sans caractère, préférant la confection à la mesure, et par là même perdant le sens de la mesure ». Lentement mais sûrement, l’habitude de la médiocrité se propage et la langue française s’abâtardit et se détériore166.

Gabriel Thoveron, figure majeure de la formation en journalisme de l’Université libre de Bruxelles des années 1970 aux années 1990, est intervenu lors du colloque Le français et les Belges, qui s’est tenu en 1988. Dans sa communication intitulée « Le pouvoir médiatique de la langue »167, l’auteur livre une série d’usages condamnables qui, d’après lui, prolifèrent :

(19) [L]’on voit se multiplier les formes du style « nous…, on… », la substitution de « ça » à « cela » et de « que » à « dont », l’ablation du « ne » (« je ferai pas ça »), les phrases sans verbe (il vaut mieux éviter les verbes si l’on n’est pas sûr de bien appliquer les règles de concordance des temps), un usage de la ponctuation fondé davantage sur l’oral que sur l’écrit, les troncations qui font de la voyelle o une finale française de plus en plus courante dans info, météo, stéréo, toxico ou fluo… (tout intello que tu sois, crois le pro que je suis) !

Le langage guindé déserte peu à peu les médias, qui cèdent à l’argot, au verlan, au calembour voire à l’à-peu-près. […]

Un même journaliste passera allègrement du plus sophistiqué au plus vulgaire, façon de montrer qu’il est capable de maîtriser tous les registres. La scription se mêlera à l’écriture, l’auteur hésitant entre le besoin d’être compris et le désir d’être admiré.

164 Seyl, Antoine (1960), « Le journal moderne. Rédaction, illustration et mise en page », Annuaire de la presse belge, 1960, p. 319.

165 S.n. (1960), « Le Congrès international des Journalistes de langue française », Le Journaliste, septembre-octobre, n° 9, p. 20-21.

166 Ibid., p. 21.

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Au gré de ces mouvements divers, les libertés de l’oral débordent dans l’écrit, autant qu’à la radio ou à la télévision, où ce qui est dit est pourtant parfois lu168.

L’auteur regrette également les « fransquillonnades »169 et l’utilisation du « frangliche »170. L’idée d’un délitement de la qualité linguistique dans les médias apparait encore dans deux autres textes. Dans sa chronique déjà présentée supra, le chroniqueur Fernand Fastré évoque également « la dégradation du français sur les ondes »171. Enfin, comme nous l’avons vu dans la section précédente, l’ancien présentateur René Thierry soutient que la situation linguistique actuelle est plus mauvaise qu’à l’époque où il travaillait. Notre approche diachronique met en exergue que les critiques relatives aux qualités linguistiques de la langue des médias existaient déjà à l’époque dont parle René Thierry, et même bien avant.

Les propos de deux auteurs révèlent une certaine hésitation à conclure de manière catégorique que les problèmes relatifs à l’usage de la langue sont fréquents ou abondants.

Dans un article publié en 1967172, Marcel Boucher écrit : « Combien d’erreurs, de maladresses et aussi d’absurdités langagières ne charrient pas les colonnes des quotidiens à gros tirage, certains hebdomadaires ou magazines féminins dévorés par des millions de lecteurs et de lectrices. » Plus loin dans le texte, l’auteur avance que le francophone est « comme déchiré entre deux systèmes d’expression qui s’opposent de plus en plus » : le « français codifié » et un « français extraordinairement instable », en précisant que nombre de journalistes et écrivains continuent d’attester la première variété173. En d’autres termes, le français serait globalement utilisé par les journalistes de manière conforme aux codes considérés, mais beaucoup y dérogeraient.

De même, tout au long de son article relatif à la langue des journalistes de télévision, le chroniqueur politique André Hella relève de nombreux faits linguistiques qu’il condamne. Néanmoins, il tempère son propos à plusieurs reprises.

(20) Disons-le d’emblée : les journalistes et présentateurs du petit écran s’appliquent assez généralement à s’exprimer dans un français correct. Les fautes massives de vocabulaire et de syntaxe sont plutôt rares174.

(21) Soyons juste. Ces divers types de “dérapage”, et plus encore les barbarismes et solécismes contrevenant au bon usage, ne se commettent qu’à un rythme de fréquence relativement peu élevé175.

168 Ibid., p. 56-57.

169 Ibid., p. 57-58.

170 Ibid., p. 58-60.

171 Fastré, Fernand (1991), op. cit., p. 14.

172 Boucher, Marcel (1967), op. cit., p. 51-65.

173 Ibid., p. 60.

174 Hella, André (1988), op. cit., p. 67.

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Que ce soit dans ce sens ou lorsqu’il critique les usages « fautifs », l’auteur use de nombreux marqueurs de fréquence (de moins en moins, fréquemment, couramment, trop régulièrement, très rare, etc.) qui ne sont jamais étayés de chiffres. Il avance que les fautes sont rares, mais s’indigne dans le même temps de leur fréquence élevée. On voit donc qu’un discours critique fort est possible même lorsque son auteur admet explicitement la faible présence des écarts linguistiques.

Cette tension entre la fréquence et la rareté des écarts linguistiques des journalistes apparait, sous un autre angle, dans l’étude menée par Michel Francard et al. en 1993. Les auteurs ont mené une enquête par questionnaire et des entretiens auprès de 108 Belges, âgés de 18 à 20 ans, au sujet de leurs représentations linguistiques. Les chercheurs ont enquêté auprès de jeunes issus de trois milieux scolaires différents : général, technique et professionnel. L’enquêteur soumettait une série de stéréotypes sur la langue, dont « Les gens des médias utilisent un français impeccable ». Les auteurs concluent que cette proposition « recueille une large adhésion des jeunes Wallons et Bruxellois » avant de souligner une nuance importante liée au type de scolarité : « les élèves de l’enseignement général manifestent plus explicitement leur réserve que leurs condisciples des autres filières »176. Malgré cette « large adhésion »177, les jeunes font remarquer que « les journalistes ne sont pas exempts de tout reproche dans leur pratique du français »178. On voit donc apparaitre à nouveau ce paradoxe : les jeunes adhèrent à l’idée selon laquelle le français des journalistes est « impeccable » mais en soulignent également les écarts.

La question spécifique de la fréquence des anglicismes179 rassemble plusieurs textes. En 2009, la Maison de la Francité publie une brochure de 72 pages intitulée Notre français file à l’anglaise. Langue française et anglomanie aujourd’hui180. Les auteurs ont analysé diverses sources afin d’évaluer la présence d’anglicismes dans une diversité de discours publics, dont ceux de la presse écrite et audiovisuelle. Dans ce document, on ne trouve pas de discours de déploration explicite, mais on décèle une posture négative à l’égard des anglicismes181. Par ailleurs, s’ils affirment avoir réalisé une « enquête », il faut constater que rien, dans leur publication, ne permet d’évaluer la fréquence de ces anglicismes. Seuls certains passages contiennent des évaluations relatives à la quantité d’anglicismes, et il est, la plupart du temps, impossible de se faire une idée de leur fréquence.

176 Francard, Michel et al. (1993), op. cit., p. 31.

177 Notons toutefois qu’aucune donnée chiffrée dans le document ne permet de mesurer l’ampleur de cette « large adhésion ».

178 Francard, Michel et al. (1993), op. cit., p. 32.

179 Le fait que les anglicismes soient présentés dans cette section concernant la fréquence des « écarts » s’explique uniquement par la posture manifestée par plusieurs auteurs des textes étudiés.

180 Maison de la Francité (2009), Notre français file à l’anglaise. Langue française et anglomanie aujourd’hui, Bruxelles.

181 Voir notamment l’avant-propos du président de l’association, Serge Moureaux, dont nous livrons des extraits dans la section 5.

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On peut lire, par exemple, au sujet de la RTBF, que « [l]’écoute des émissions de la fin 2005 n’a pas fourni une importante récolte d’anglicismes, surtout si l’on excepte des mots devenus banals […] » et qu’« [e]n septembre 2006, la présence d’anglicismes sur les ondes est aussi ténue »182. Concernant la chaine locale Télé-Bruxelles, « l’enquête, réalisée essentiellement sur les journaux télévisés de septembre 2006, a permis de repérer quelques rares anglicismes »183.

Pour la presse écrite, la Maison de la Francité a examiné « [l]es principaux journaux et revues de la presse francophone […] en novembre 2006 et en septembre 2006 »184. Elle constate notamment que « Le Soir présente le plus haut taux d’anglicismes, issus souvent du domaine scientifique et technique »185, que « [l]’hebdomadaire Le Vif l’Express offre également une proportion significative de mots anglais »186 ou encore que « [l]e journal Métro, fort anglicisant, reprend même parfois des citations entièrement en anglais »187.

(22) De manière générale, on constate que la quantité d’anglicismes est plus importante dans la presse écrite qu’à la radio et à la télévision, et que, parmi eux, les emprunts techniques sont également plus représentés188.

Au sujet de la presse écrite, le fascicule fournit une des rares données chiffrées :

(23) La Libre Belgique, qui publie la rubrique langagière de Jacques Mercier, semble

davantage soucieuse de la qualité de la langue [que Le Soir]: on recense une vingtaine d’anglicismes par numéro alors que le journal Le Soir en contient parfois plus du double. […]

Au nombre d’une quinzaine en moyenne par numéro, les anglicismes du quotidien

La dernière Heure relèvent d’un vocabulaire plus familier189.

On voit donc que, sur l’ensemble du corpus étudié par la Maison de la Francité, cette dernière peine à conclure à une abondance d’anglicismes dans l’usage des journalistes. Cette inquiétude relative à la fréquence des anglicismes avait déjà motivé une étude réalisée dix ans auparavant par trois chercheurs190, qui se détachent explicitement d’une attitude normative. Après avoir analysé les numéros de quatre quotidiens, dont deux belges (Libération, Le Monde, La Dernière Heure, Le Soir), sur une période d’une semaine en 1994, ils concluent :

(24) [U]n échantillon limité, mais significatif, permet déjà de dissiper pas mal de malentendus et de tordre le cou à des exagérations manifestes. Le lexique commun,

182 Maison de la Francité (2009), op. cit., p. 36.

183 Ibid., p. 37. 184 Ibid., p. 39. 185 Ibid. 186 Ibid. 187 Ibid. 188 Ibid. 189 Ibid., p. 40.

190 Klein, Jean-René, Nathalie Lienart et Stéphane Ostyn (1997), « L’anglicisme et la presse : Enquête et analyse à travers quatre quotidiens français et belges », Revue de linguistique romane, vol. 61, n° 243-244, p. 337-360.

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en effet, n’est sûrement pas «envahi» par les emprunts au sens strict. En revanche, on rencontre un certain nombre d’occurrences de formes anglaises, allant de la citation aux emplois plus ou moins autonymiques191.

Cette relativisation rappelle également l’étude française réalisée en 2004 par l’Institut national de la langue française. Cette recherche conclut que la fréquence d’anglicismes dans l’usage de la langue par les journalistes de tous supports est restée constante tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, bien que les anglicismes utilisés aient évolué (Conseil supérieur de l’audiovisuel, 2013 : 72).

Enfin, à l’opposé des critiques, seul un texte de notre corpus vante les qualités linguistiques de la langue des médias et note même une amélioration. Bien que nous ayons souligné plus haut les inquiétudes et les critiques relatives aux problèmes de vocabulaire – et en particulier aux anglicismes – dans les médias, l’Office du vocabulaire français192 remet en 1961 un prix à six journaux de la francophonie, dont le journal belge Le Soir193. Il s’agit de la récompense d’une compétition organisée par l’institution consistant en une « journée sans accident de vocabulaire ». Le journal est donc primé pour sa bonne utilisation des mots.

(25) M. Georges Gougenheim, professeur à la Sorbonne, souligna l’importance du maintien d’un français universel en s’opposant à l’invasion des néologismes étrangers et à la dégradation intérieure du langage. […]

M. Alain Guillermou, représentant de l’Office du vocabulaire français intervient à son tour et se réjouit que plus encore que les années précédentes, l’Office a pu constater que son effort pour le maintien du bon langage porte ses fruits. On trouve, dans la presse moins de flash, de leader, d’armes conventionnelles, de dilemme employé pour « alternative », de périple à propos d’un voyage en ligne droite, de gangster, de hold-up, de living-room, etc.

Dans son mémoire de licence réalisé en 2006194, Régis Laurent a sondé 34 journalistes des quotidiens Le Soir (22 répondants), La Libre Belgique (6) et La Dernière Heure/Les Sports (6). À la question « comment qualifieriez-vous le français de la presse belge ? », 58 % des répondants choisissent « bon », 35 % « moyen », 3 % choisissent « mauvais », et la même proportion opte pour « très bon ». Aucun répondant n’a sélectionné « excellent » ou « très mauvais ». Ces résultats révèlent l’hétérogénéité des représentations à l’égard de l’état de la langue dans la presse belge parmi les journalistes, mais également l’évaluation très mitigée des professionnels sur la qualité de la langue dans la presse. Ces évaluations permettent de mettre en évidence qu’un certain discours critique est partagé au sein du groupe professionnel.

191 Ibid., p. 347.

192 Cet organisme a été créé en 1957 par Alain Guillermou et entend « lutte[r] contre l’invasion massive des néologismes, et avant tout contre les nombreux emprunts à l’anglais » (Bogaards, 2008 : 149).

193 S.n. (1961), « A l’office du vocabulaire français », Le Journaliste, mai-juillet, n° 4, p. 9.