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Stratégie et design de recherche

3.2 La stratégie d’accès au terrain

3.2.1 Un design de recherche qualitative multiforme

Nous avons donc choisi de développer dans cette thèse, deux cas très contrastés et deux cas moins approfondis en renfort. Nous avons choisi de mettre en exergue ces études de cas, mais notre recueil de données empi- riques est beaucoup plus riche et diversifié. Des entretiens ont été menés auprès de plus d’une dizaine de pôles différents. Nous avons assisté à plu- sieurs séminaires et à des réunions organisées par des agences étatiques. Ce que nous qualifierons par la suite de ’situation de gestion’ nous révèle des morceaux de la construction du pilotage étatique des pôles.

Dans une perspective de triangulation, nous n’aurions pu nous contenter uniquement d’entretiens. Il fallait construire des dispositifs permettant de développer une plus grande proximité avec les terrains. Pour faire face aux besoins de triangulation, il a fallu trouver des modes d’intervention modeste qui ont été autant de petites étapes pour construire ces terrains.

Rendre des services aux acteurs (jouer les rapporteurs de certaines réunions), acquérir le droit d’assister à des réunions très fermées (comité de pilotage ou comité de projet), suggérer des petites solutions aux acteurs,

La légitimité acquise grâce à notre travail dans l’Observatoire des Pôles a facilité ce travail. Il a en outre permis de participer à la construction d’un réseau voire d’une communauté épistémique (les chercheurs sont très pré-

sents dans l’assistance). Là aussi, le développement d’un réseau relationnel, fait de petits échanges divers, a été une tâche importante de la démarche de recherche.

3.2.1.1 Design des études de cas

Le recours à l’étude de cas est courante dans l’analyse des systèmes ter- ritoriaux. En majorité les travaux sur les formes territoriales, comme les districts industriels, les régions apprenantes, se reposent sur des monogra- phies d’un ou de plusieurs territoires, analysés parfois sur une longue pé- riode. L’étude de cas se justifie dans l’analyse des pôles de compétitivité pour restituer des phénomènes complexes, riches en sens et en interpréta- tions possibles. L’analyse de la gouvernance et du pilotage nécessitent de s’intéresser autant aux discours et aux représentations qu’au contexte et aux évènements marquants.

Une étude de cas « est une recherche empirique qui étudie un phénomène contemporain dans un contexte réel, lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte n’apparaissent pas clairement, et dans laquelle on mobilise des sources empiriques multiples »(Yin, 1994). L’étude de cas peut cependant revêtir plusieurs formes. Ainsi, Stake (2000) distingue trois grandes types d’études de cas : l’étude de cas intrinsèque, l’étude de cas instrumentale et les études de cas multiples.

Démarche de recherche Objectifs de recherche Etude de cas

intrinsèque Lorsque le chercheur setrouve face à une situation ayant un caractère très rare, difficile d’accès, particulièrement riche

Analyse en profondeur des divers aspects de la

situation pour en faire apparaitre les éléments constituants et les liens

qui les unissent Etude de cas

instrumentale chercheur veut illustrerSituations où le des phénomènes préalablement définis

dans un modèle théorique

Vérifie la capacité d’un modèle théorique à

rendre compte des phénomènes étudiés

Etude de cas multiple ou

collective

Démarche de recherche

inductive Identifie des phénomènesrécurrents parmi un nombre de situations observées et analysées chacune pour elle mêmes

Table 3.1 – Les différents types d’études de cas (Stake, 2000; Mucchielli, 2004)

L’étude de cas unique est souvent mise en cause sous prétexte qu’elle pro- duit des connaissances hautement contextuelles et peu généralisables, mais David (2005) montre qu’il est nécessaire de redéfinir la question de la géné- ralisation pour comprendre la valeur d’une étude de cas.

Plusieurs recherches françaises (Mendez et al., 2008)ou étrangères(Wolfe & Gertler, 2004) révèlent l’utilité des analyses comparatives sur plusieurs cas dans divers contextes territoriaux, industriels et concurrentiels. Cette analyse de cas multiple peut être difficile si la recherche est menée individuellement car l’accès au terrain des pôles de compétitivité nécessite la construction d’un statut d’observateur particulier et la constitution de relations de confiance. Ce processus étant consommateur en temps, peu de chercheurs sont capables d’observer en profondeur plusieurs cas de pôles. Dans cette recherche docto- rale, ce sont des études de cas multiples qui ont été menées. Elles ont permis de rendre compte des caractéristiques et de la complexité du fonctionnement des pôles. Elles visaient une meilleure connaissance et compréhension des

systèmes d’acteurs locaux, formant les systèmes de gouvernance des pôles. Elles visaient également à enrichir au travers de l’analyse des pratiques ges- tionnaires une théorie du pilotage des agencements inter-organisationnels.

Deux cas centraux

Pour les besoins de cette recherche, nous nous sommes concentrés princi- palement sur deux études de cas étudiées en profondeur, tant par le nombre d’entretiens réalisés, que par la durée du recueil de données.

(1) Cap Digital

La région Ile de France concentre 80% des capacités de recherche et d’innovation dans les technologies du contenu numérique (jeux vidéo, TIC, images). Avant l’initiative de pôles de compétitivité, il existait sur le territoire un certain nombre de réseaux et de lieux propices à l’émergence d’actions collectives : les associations d’entreprises et syndicats (syndicat français des producteurs d’animation) et des systèmes productifs locaux (Capital Games, Silicon Sentier) labellisés par la Datar. Contrairement à d’autres pôles comme Sophia-Antipolis ou Rennes-Atalante, la filière n’avait pas une existence for- melle reconnue. Le pôle Cap Digital a pourtant été labellisé à vocation mon- diale suite à la mobilisation des différents acteurs et parties prenantes. Le pôle se structure autour des industries de la création culturelle, de la connaissance et du multimédia pour susciter une dynamique d’innovation croisée entre ces six thématiques : les jeux vidéo, l’image et le son, l’ingé- nierie de la connaissance, le patrimoine numérique, l’éducation et les nou- veaux usages. La vision sous-jacente est que malgré leurs différences intrin- sèques, ces thèmes ont beaucoup d’enjeux en commun, parmi lesquels celui de la convergence des technologies, des compétences et des usages. Le pôle se singularise par le nombre de PME impliquées. Plus de 200 PME sont membres de l’association Cap Digital. A ces chiffres, la structure de gouver- nance ajoutent à celles ci 80 ‘membres indirects’, qui sont les membres des associations d’entreprises, nombreuses dans le pôle. Plusieurs grands groupes

(Thales, Thomson, France Telecom, Motorola etc.), institutions de recherche et de formation, mais également les collectivités locales et territoriales (Ville de Paris, Conseil Régional, etc.) forment le reste des membres du pôle. Les associations pré-existantes avaient lancé plusieurs actions collectives, du lob- bying politique (pour le pacte PME ou pour un crédit d’impôt recherche dédié aux Jeux video) aux projets de recherche. Cependant le secteur n’est pas un secteur mature. Le secteur est très fragmenté avec une myriade de TPE et PME. Beaucoup d’acteurs connaissent des difficultés de financement. Enfin, l’Ile De France a souffert de la compétition mondiale avec des métro- poles comme Montréal et Londres qui attirent entreprises et compétences.

L’ambition du pôle est de dynamiser le tissu industriel local en renforçant l’innovation, la recherche et l’emploi, au moyen de la mise en réseau et des collaborations entre les acteurs publics, privés et investisseurs. La structure de gouvernance du pôle s’est organisée pour proposer plusieurs services à ses membres : l’accompagnement au montage de projet ainsi qu’à leur labelli- sation, les rencontres entre adhérents, l’accompagnement sur des probléma- tiques de financements des entreprises, le lobbying, et l’internationalisation des marchés des membres. Après des débuts assez prometteurs, au regard du nombre de projets financés, les acteurs de la gouvernance du pôle ont cherché à apporter un deuxième souffle à la dynamique collective. En parti- culier, ces derniers ont cherché à attirer de nouvelles communautés (logiciel libre, design, et robotique) et ont développé de nouvelles actions : réflexions prospectives, l’amélioration des relations recherche – industrie.

La forme de la gouvernance a été dès le début très structurée. Cette structu- ration s’est poursuivie dans une division du travail de plus en plus formelle, hiérarchiquement comme thématiquement. Outre ces actions en interne, la structure opérationnelle du pôle tente d’infléchir les actions de l’environne- ment institutionnel. La position de pôle mondial leur accorde une attention privilégiée de la part des pouvoirs publics. Nous avons observé à de maintes reprises la capacité du pôle à négocier avec ses parties prenantes sur un cer- tain nombre de dossiers.

(2) Le pôle nucléaire de Bourgogne

Le pôle nucléaire de Bourgogne (PNB) s’est construit à l’initiative ex- clusive d’industriels de la filière de production de centrale nucléaire, sur un territoire doté d’une histoire industrielle, marquée par des épisodes doulou- reux1. La filière s’est structurée autour des grands constructeurs d’équipe-

ment, appuyés sur quantité de plus petites entreprises du territoire, issues du passé industriel de la Région en matière de mines, sidérurgie, métallurgie et de mécanique. La compétence industrielle du territoire s’est spécialisée dans les filières de l’armement, du transport, de l’énergie. Les accidents de Three Miles Island (1979) et Tchernobyl (1986) avaient provoqué un « hiver nucléaire », amenant de nombreux pays à freiner, voire à arrêter leur équi- pement nucléaire. La France rentrait elle-même dans une phase attentiste en matière d’investissement, d’autant que le parc était déjà très développé et ne nécessitait pas de renouvellement immédiat. Tout cela a conduit à un effon- drement de l’industrie : les centrales nucléaires n’étaient plus d’actualité. Aujourd’hui, le retour de la crise pétrolière et les prévisions sur les besoins en énergie, les acteurs majeurs de la filière voient les premiers signes d’une reprise de l’activité. Le pôle a été créé en partie pour faire face aux enjeux de cette reprise de l’activité, qui, si elle a lieu comme les acteurs l’espèrent, nécessitera d’avoir des outils et les ressources permettant d’augmenter la ca- dence de production des centrales. L’ambition du pôle est donc de créer les ressources nécessaires aux petits et grands industriels du territoire, pour faire face à la croissance annoncée du marché mondial de la filière nucléaire, dans un contexte de vieillissement de l’organisation de cette filière.

La gouvernance du pôle est structurée autour d’un petit groupe de 9 membres fondateurs à la fois industriels (EDF, Sfarsteel, Valinox, Areva) formation (2 IUT, Ensam Cluny) et recherche (CEA Valduc, université de Bourgogne). Le pôle s’est donné quatre axes de travail : l’investissement, les projets de formation, les projets de R&D et l’international. Le PNB a vu sa structure

1. Nous verrons par la suite que la région Bourgogne a été gravement affectée par le déclin du secteur industriel. Encore récemment, en octobre 2006, Kodak a annoncé la suppression de sa dernière usine argentique, située à Chalon-sur-saone, supprimant 2000 emplois. Et en novembre 2008, le groupe Amora-Maille a annoncé la fermeture de l’usine historique de Dijon et le licenciement de plus de 300 salariés.

et ses priorités évoluer depuis le démarrage de son activité. Après ces quatres années d’existence, les fondateurs du pôle ont reconnu la nécessité de déve- lopper une dynamique collective qui impliquerait tous les membres du pôle au delà du cercle restreint des fondateurs. Au fur et à mesure de sa progression, le pôle a opéré plusieurs changements dans les modalités de gouvernance et de pilotage, comme nous le verrons en détail dans l’étude de cas.

Deux cas secondaires :

Le cas du pôle Astech, dans le secteur de l’aérospatial, en territoire franci- lien nous a intéressé pour la principale raison de sa labellisation postérieure à la majorité des pôles. En effet, en juillet 2007, cédant à la pression politique des régions frustrées mais aussi pour que des secteurs importants de l’indus- trie française puissent être présents dans cette dynamique des pôles2L’Etat

a décidé de labelliser cinq nouveaux pôles. Astech fait partie de ces nou- veaux pôles labellisés, dont la sélection a fait l’objet d’âpres négociations entre plusieurs acteurs. Y compris avec ces nouveaux acteurs que constituent les gouvernants des pôles labellisés en 2005. Nous avons pu observer quel processus a eu lieu pour faire naitre ce projet, quelles sont les stratégies pour légitimer la naissance d’un pôle.

Enfin, nous nous sommes penchés sur le cas du pôle Qualitropic, dans l’agro-nutrition en milieu tropical, situé sur l’Ile de la Réunion. Le cas Quali- tropic présente un intérêt particulier du fait précisément de son éloignement géographique avec la métropole. Nous verrons comment ce pôle fait face à l’éloignement mais aussi au manque de ressources locales.

Justification théorique des choix de cas

L’opportunisme méthodique a souvent guidé notre choix des études de cas, car l’accès au terrain n’est pas toujours facile pour des observateurs d’organi- sations émergentes et surtout si « observées ». Dans les deux cas principaux,

2. On pense notamment au secteur de l’industrie et des services financiers qui n’étaient pas représentés dans la première vague de labellisation, alors que Paris veut prétendre à devenir une première place financière mondiale.

pour démarrer les études de cas, nous avons bénéficié de contacts facilités par des acteurs intermédiaires (L’Agence Régionale de Développement d’Ile de France, Sofirem), mais aussi de ressources financières pour étudier ces pôles. Dans le cas du pôle AsTech, le rattachement à l’Ecole des Mines de Paris et les contacts pris au sein de l’Ecole avec les chercheurs du centre des Ma- tériaux, impliqués dans la gouvernance du pôle, ont directement joué dans notre accès privilégié aux réunions du comité de pilotage avant la labellisa- tion du pôle.

Un des objectifs de recherche de cette thèse étant d’analyser la diversité des pôles, nous avons cherché à avoir accès à des terrains très hétérogènes pour identifier des configurations différentes de formes de gouvernance. Par extension, cette diversité des pôles permettra, si c’est le cas, de s’interroger sur le scenario possible de pratiques de pilotage et de savoirs qui seraient homogènes alors même que les situations initiales diffèrent grandement.

Mais le choix d’études de cas multiples se justifie par ailleurs par notre volonté d’apporter une comparaison des pôles entre eux. Or la comparaison n’est possible que si les cas partagent un minimum de caractéristiques com- munes. Dans sa thèse sur les pôles de compétitivité de la Région Centre, Chabault (2009) défend l’idée que malgré les variations observées entre diffé- rents cas de pôles de compétitivité, les cas qu’il étudie, présentent des traits communs susceptibles de permettre la comparaison. Il en cite quatre :

– un contexte d’émergence et une labellisation commune – des logiques d’action similaires

– un contexte institutionnel, un territoire et un ancrage consulaire com- mun susceptible de limiter la variance institutionnelle,

– un statut légal identique (structure associative) et un contexte régle- mentaire commun (guidé par l’Etat)

Nous rejoignons les propos de l’auteur sur le premier et le dernier item de sa liste. En revanche les deux autres ne sont pas applicables dans notre thèse. D’abord nos études de cas n’ont pas été réalisées sur un même territoire, au contraire de Chabault (2009). A l’exception des cas AsTech et Cap Digital

ancrés tous deux dans la région francilienne. Cependant, malgré cet angrage francilien pour ces deux pôles et la présence d’acteurs communs, il nous semble que le contexte institutionnel territorial reste différent. La particula- rité de l’Ile de France réside aussi dans la présence des niveaux administratifs infra-régionaux : ville de Paris, Départements. Si Cap Digital a été très sou- tenu par la Ville de Paris et par la Seine-Saint-Denis, le pôle Astech est davantage soutenu par la Région, les Yvelines et les Hauts de Seine.

De plus, l’idée de logiques d’action similaires va totalement à l’encontre de la thèse que nous défendons. A savoir l’idée que les pôles sont d’abord le fruit d’une politique avec différents objectifs, pas toujours conciliables. Ensuite les pôles incluent des organisations membres poursuivant des logiques différentes. Notre propos est plutôt d’essayer de comprendre la diversité de ces logiques d’action, et donc de nous nourrir de plusieurs cas différents.