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Analyse des référentiels justifiant la conception d’une nouvelle politique

formes d’organisation territoriale

1.3 Le cas français des pôles de compétitivité

1.3.1 Analyse des référentiels justifiant la conception d’une nouvelle politique

La politique des pôles de compétitivité se situe à l’interface entre trois champs différents, celui de la politique industrielle, de la politique de re- cherche et d’innovation, et celui de la politique régionale, comme on peut l’observer sur le schéma suivant. Ces dernières années, plusieurs dispositifs ont été lancés pour répondre aux objectifs d’un ou de deux volets d’inter- vention, mais la politique des pôles est la seule initiative qui réponde de manière explicite à ces trois volets de l’action publique. En conséquence, le programme des pôles de compétitivité est un programme intégrant des ob- jectifs multiples, prioritaire pour le gouvernement qui a choisi d’y consacrer des ressources importantes, y compris en terme de médiatisation.

Figure1.4 – Intersection des volets de l’action publique : le cas de la France (notre application aux politiques françaises du schéma des volets de l’action publique comparant les cas de plusieurs politiques de clusters, OCDE, 2007, p.70)

1.3.1.1 Justifications à une politique de soutien à l’innovation in- dustrielle

Nous rappelons ici brièvement l’état des réflexions et des raisonnements tenus par les gouvernements successifs pour promouvoir les pôles de compé- titivité. Nous suggérons que ces pôles de compétitivité servent une politique industrielle fondée sur un paradigme, celui de la compétitivité par l’innova- tion. comprenant trois postulats :

La nécessité d’investir dans la R&D

De nombreux travaux ont montré que l’investissement en R&D contribuait à la capacité d’innovation d’un pays. L’objectif de Lisbonne de 3% du PIB

consacré à la recherche et développement constitue un moteur pour la poli- tique de soutien à la recherche. Si la part de la recherche publique atteint la moyenne européenne de 1% du PIB, la part privée n’atteint pas encore les objectifs de 2%. Un des grands axes de la nouvelle politique industrielle vise dès lors à inciter les acteurs privés à investir en R&D.

L’importance des collaborations et des réseaux

Si elle est une condition nécessaire, la seule dépense en R&D ne suffit pas à générer de l’innovation. Les innovations proviennent de la rencontre de di- vers acteurs de ce processus d’innovation (Lundvall & Borras, 1997). Le rôle des acteurs publics est de créer les conditions de cette rencontre, d’une part en créant des lieux hybrides et des interfaces entre producteurs et utilisa- teurs des connaissances, d’autre part en incitant directement les entreprises à engager des coopérations. Depuis les lois de 1982 et 1999, le gouvernement français a travaillé à mettre en place différents dispositifs ciblant la diffusion des résultats de la recherche publique vers la recherche privée : incubateurs, plateformes technologiques, etc. Les orientations actuelles poursuivent cette orientation au travers du financement de divers programmes collaboratifs et de la mise en réseau des acteurs. Les entreprises sous-évaluent les avantages qu’elles pourraient tirer de collaborations avec la recherche publique ou avec d’autres entreprises, et surestiment les difficultés et les inconvénients de ces relations. Le financement public de projets collaboratifs permet d’accélérer le processus de coopération. Les partenaires apprennent à mieux se connaître, à comprendre leurs besoins respectifs et à établir les conditions d’une coopé- ration confiante, efficace et mutuellement bénéfique.

La priorité donnée aux PME.

Alors que la politique industrielle française a longtemps soutenu des poli- tiques de grands champions nationaux dans les années 60 à 80, on remarque une inflexion récente du discours politique aujourd’hui tourné vers le soutien à la croissance des PME (cf. Rapport Guillaume, 1999).

De nombreux rapports soulignent que le développement des PME est essentiel à l’adaptation et au renouvellement du tissu industriel. Le comité Richelieu,

fer de lance du lobbying des PME innovantes, souligne que sur les 25 plus grandes entreprises américaines en 2000, 6 n’existaient pas dans les années 60, alors les 25 plus grandes entreprises européennes existaient déjà dans les années 60. Autre chiffre illustrant la faible capacité de croissance des entre- prises en Europe : parmi les 50 nouveaux géants économiques apparus après 1975, 26 sont américains, 21 sont issus des pays émergents et seuls 3 sont européens.

Qui plus est à l’échelle européenne, la comparaison avec l’Allemagne montre que les PME françaises sont trop petites pour engager des dépenses de recherche. La capacité d’un système national à soutenir la croissance de ses jeunes entreprises, soit en créant des incitations ciblées, soit en écartant les barrières au développement est donc un élément essentiel de la compétitivité d’une économie de la connaissance. De plus, face aux risques de délocalisa- tion, la création et le développement de ces petites et moyennes entreprises constituent une solution pour ancrer une activité technologique sur le terri- toire national.

De nombreuses aides directes et indirectes sont destinées aux PME. Le grou- pement OSEO, issu de l’intégration de l’Agence Nationale pour la Valorisa- tion de la Recherche et de la BDPME, depuis 2005, finance des prêts et des aides à l’innovation pour les entreprises de moins de 2000 salariés. Cependant ces aides à des entreprises individuelles laissent aujourd’hui la place aux aides dédiées à l’innovation collaborative.

1.3.1.2 Un élément nouveau : la question de l’ancrage territorial

La réflexion sur la gouvernance territoriale est liée au développement de la recherche de nouveaux modes d’organisation et de gestion, alternatifs aux démarches territoriales descendantes classiques (Leloup et al., 2005; Crowley, 2003)9.

Un bref coup d’oeil à l’histoire de la pensée de l’Etat pour le territoire permet d’éclairer les manifestations de formes de gouvernance territoriale.

Behar & Estebe (1999) retracent ainsi l’évolution du projet de l’Etat pour son territoire. Se fondant sur une analyse historique de la doctrine sur l’amé- nagement du territoire, les auteurs soulignent que cette doctrine est née avec la IVème république et a atteint son apogée pendant les 10 premières années de la Vème République.

Le modèle d’action publique territoriale gaullien repose sur l’idée de mo- dernisation du territoire impulsée par le centre. Pour les auteurs, on peut y lire un projet d’une grande cohérence qui recherche une division spatiale du travail au niveau du territoire national. Mais comme pour l’ensemble des politiques publiques, les politiques industrielles et de recherche ont été su- jettes à la perte de centralité de l’Etat et à l’émergence d’acteurs nouveaux. L’évolution de l’action de l’Etat en matière d’aménagement du territoire est significative de cette nouvelle manière de gouverner les politiques de dévelop- pement. Les territoires ne sont plus pensés uniquement comme les réceptacles des décisions prises au niveau central. La question du développement territo- rial devient celle de la compétitivité, dans une situation de concurrence entre les différentes régions et surtout avec le reste du monde.

Dans ce contexte, la politique industrielle n’est plus l’apanage des seules autorités étatiques. Au contraire, les lois de décentralisation (1982 et 2004) renforcent les compétences des nouvelles entités administratives, Région et départements, dans le développement économique. La conception de l’amé- nagement du territoire s’oriente vers un développement des territoires, plus globale et plus intégrative (Hagnerelle, 2002; Coppin, 2001). Cette concep- tion du développement territorial est plutôt bottom-up, avec une plus grande implication de l’ensemble des acteurs socio-économiques privés et publics. Le niveau local prend ses décisions de développement économique, l’Etat étant un accompagnateur de ces décisions.

Pour Nicolas Jacquet, ancien délégué à l’Aménagement du territoire et à l’Action régionale : « On ne peut pas laisser les territoires seuls face aux

mutations économiques et technologiques. Il est nécessaire de construire un accompagnement, outil de cohésion territoriale. La période où l’Etat à lui seul pouvait remplir cette fonction est révolue. Ce sont aujourd’hui les forces conjuguées des collectivités territoriales et de l’Etat, des en-

treprises et des universités qui peuvent permettre de faire évoluer les choses. » (Jacquet, 2003).

Ainsi, le développement territorial traduit -ou anticipe- l’essor d’une nouvelle forme de gouvernance où l’Etat s’appuie davantage sur les compétences des tiers, gardant de son côté ses missions d’orientation stratégique et d’expertise10.

1.3.1.3 Historique des politiques

La France n’échappe pas aux différentes modes des politiques indus- trielles et de l’aménagement du territoire. Au contraire, les chercheurs et acteurs français contribuent eux-mêmes à produire des référentiels propres, par exemple sur la politique des systèmes productifs locaux où la DATAR a produit et financé plusieurs travaux de recherche et d’analyse pour dévelop- per une compréhension des phénomènes en oeuvre.

Aujourd’hui encore, dans le cadre de cette initiative de pôles de compé- titivité, les acteurs publics font souvent référence aux modèles précédents. Mieux encore, avec les pôles, les politiques antérieures se trouvent renouve- lées et réintègrent le discours politique. En témoigne par exemple le projet de la Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité des Territoires, de faire évoluer la politique des systèmes productifs locaux que l’on supposait devoir mourir face à l’émergence des pôles. De même, la notion de filière11 est remise au goût du jour dans les stratégies régionales 10. Cette hypothèse de l’émergence d’une nouvelle gouvernance équilibrée où l’Etat garde un rôle leader est néanmoins rejetée par les thèses de Rhodes (1994) qui penche lui pour l’idée d’un « hollowing state ». Le transfert des compétences vers des tiers, les problèmes liés à la globalisation, l’essor des organisations transnationale conduiraient à une érosion progressive du rôle de l’Etat.

« Fragmentation constraints the centre’s administrative ability to co-ordinate and plan. Diminished accountability constrains the centre’s ability to exercise political control. In sum, current trends erode the centre’s capacity to steer the system -its capacity of governance » (Rhodes, 1994, p. 169)

11. Très populaire dans les années 60-70, puis critiqué dans les années 80, la notion de filière, en sciences économiques, évoque l’analyse économique d’opérations physiques complémentaires, permettant la création, la circulation et la consommation d’un bien ou

d’innovation12. Il semble judicieux de considérer que les pôles de compétiti-

vité ont une parenté directe avec des initiatives de technopöles ou de systèmes productifs locaux. Mais il est également pertinent de considérer que les pôles trouvent aussi leur inspiration dans d’autres politiques structurelles, telles celles des réseaux de recherche et d’innovation technologique dont les prin- cipes de gouvernance, c’est-à-dire la délégation vers des collectifs pilotés par l’industrie. L’objet du développement suivant est de proposer un résumé des principaux dispositifs d’action publique, de leurs applications et des limites qu’on leur connaît.

Les technopôles ou l’illusion de la Cité Scientifique

Quéré (1998) rappelle l’opposition historique entre le technopôle et la tech- nopole, qui traduit une divergence du point de vue des acteurs publics as- sociés à ces projets. « Les technopôles, ou pôles technologiques, sont apparus

dans le milieu des années 80 comme un outil de l’action publique nationale en matière de développement technologique et de soutien à l’innovation » « Les technopoles au féminin, à l’inverse, correspondent à une prise de conscience des pouvoirs publics locaux, consécutive à la loi de décentralisation, de la nécessité d’intervenir en matière de développement technologique local et de soutien à l’innovation » (p.147)

Les technopoles ou parcs technologiques comprennent une forte propor- tion de recherche appliquée, éventuellement (mais pas nécessairement) en liai- son avec les universités. L’activité essentielle y est la production industrielle de haute technologie et les services aux entreprises. Deux modes de créa- tion de technopole existent (Bruhat, 1999) : soit un site était créé ex-nihilo, dans lequel on tente d’associer des activités d’enseignement supérieur, de re- cherche, et d’attirer des entreprises, soit un site en proximité d’équipements déjà existants était choisi et la création d’activités dans l’environnement de ces équipements était facilitée. Pour Benko (2000), les technopoles sont des

d’un service. Toujours utilisée dans l’analyse des systèmes agricoles, l’approche par filière est à rapprocher de l’analyse par les chaînes de valeur.

12. On note à ce propos qu’un pôle est intitulé « Filière équine ». Egalement notons à ce propos qu’à la suite de l’évaluation, certains pôles se sont vus reprocher le fait d’être trop orientés sur le développement de la filière.

‘catalyseurs spatiaux’ qui permettent la formation d’accumulations. Wacker- mann (1992) distingue la conception française de la conception japonaise ou américaine de la technopole. Dans la première, sont prioritaires les projets relevant des technologies de pointe, alors que dans la deuxième conception, peuvent se combiner des entreprises de technologie de pointe aux entreprises plus traditionnelles, pour les faire bénéficier des diffusions de connaissances. Le concept s’est beaucoup diffusé, notamment dans sa version au fémi-

nin. Les collectivités locales restent très prégnantes dans la constitution des

technopoles. Un des exemples les plus caractéristiques de cette politique de technopôle est la création de Sophia Antipolis, initié par le Sénateur Pierre Lafitte.

Après plus de deux décennies de la politique des technopôles, quel est le re- tour d’expérience ? La politique de technopôle se fonde sur un certain nombre d’hypothèses, inférées des travaux de l’économie géographique, mais aussi des convictions issues de l’observation d’exemples étrangers. Ainsi, la proxi- mité géographique permettrait aux entreprises localisées de bénéficier de la connaissance située, voire d’externalités de connaissance. Deuxièmement, la proximité géographique serait une condition suffisante pour générer des in- novations. Enfin, le technopôle aura un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie locale.

Par rapport à ces hypothèses, les résultats sont mitigés. Certes, pour les zones d’activités concernées, les technopôles ont été une source de revenu impor- tante pour les collectivités locales : tous les parcs sont déjà au maximum de leur capacité d’accueil (Bruhat, 1999). Néanmoins, la fertilisation croisée attendue n’est pas souvent au rendez-vous. Aussi la plupart des évaluateurs reconnaissent que la proximité spatiale ne s’est pas avérée un élément suffi- sant pour favoriser ces dynamiques de création d’activités. Comme le critique Faucheux (2005), chef de bureau de la Digitip « La logique cafet-parking au- tour du technopôle est un leurre et n’est pas productive de synergies. » .

Le Système productif local, les débuts des politiques de réseaux locaux d’entreprise

Le système productif local est dans une certaine mesure l’ancêtre de l’initia- tive pôles de compétitivité. A l’origine du concept de système productif local, la Datar s’était inspiré des districts industriels, référence qui a également ins- piré l’idée de Blanc (2004). Un SPL se définit comme une concentration géo- graphique d’entreprises, souvent de petite taille montrant une spécialisation sectorielle. Pour Lahaye & Barneche-Miqueu (2003) « les SPL correspondent à une configuration d’entreprises regroupées dans un espace de proximité au- tour d’activités ou d’un métier, entretenant des relations entre elles et avec le milieu socio culturel d’insertion ».

Suite aux réflexions menées par la Délégation à l’Aménagement du ter- ritoire sur cette notion de SPL, un premier appel à projet pour identifier des systèmes productifs locaux est lancé en 1998. Un deuxième suivit l’année suivante. Cette politique des SPL visait à renforcer la mise en réseau à une échelle locale d’acteurs privés, avec le soutien et la participation d’acteurs pu- blics. Le soutien de la Datar et des collectivités locales ciblait le financement des formes d’actions collectives qui pouvaient venir renforcer la compétitivité des entreprises mais surtout le financement de l’animation du réseau, assuré par un ou des animateurs.