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L’hétérogénéité des situations de pôles : études de cas descriptives

4.1 Cap Digital, un réseau de réseau

Le pôle Cap Digital est situé en Ile de France, sur un périmètre géogra- phique centré autour de Paris et des départements périphériques. Le pôle rassemble plusieurs industries du contenu numérique, secteur caractérisé par sa jeunesse et par les évolutions rapides qui affectent les technologies, les marchés et les usages.

Nous verrons dans cette monographie que le pôle a été constitué par plusieurs collectifs pré-existants, ce qui a grandement facilité le démarrage des actions collectives. Le pôle fait partie des pôles à vocation mondiale, ce qui signifie à la fois que les acteurs publics estiment que le potentiel de

développement est réel, mais que les bases de la légitimité du pôle étaient à solidifier. Nous verrons que les stratégies des acteurs sont des réponses aux caractéristiques initiales et aux ambitions du pôle.

4.1.1 Historique

Certains acteurs jugent que le pôle de compétitivité IMVN ne faisait pas partie des pôles ‘évidents’, mais qu’il a réellement émergé lors de l’appel na- tional à projet pôle de compétitivité. En cela on aurait pu le qualifier de pôle de synthèse. En effet, à la différence d’autres pôles de compétitivité en Ile de France, le pôle IMVN ne s’est pas créé autour d’une seule structure locale centrale. Si on se réfère à l’exemple de Systematic, la création du pôle s’est faite grâce à l’existence d’Optics Valley, une association dont l’objectif était déjà la mise en réseau des acteurs de l’optique sur le plateau de Saclay, le développement et la promotion de la filière. De même, le pôle Medicen1

s’est appuyé sur le Génopôle d’Evry qui avait déjà constitué un réseau de compétences reconnues sur les sciences du vivant. Certes, le pôle IMVN ne bénéficiait pas d’une telle structuration locale. Il est néanmoins le fruit du rapprochement de plusieurs initiatives sur le territoire. Sans nier le fait que le pôle est réellement une initiative nouvelle pour le territoire, nous pouvons identifier un historique des ‘projets parents’ lointains ou directs, qui ont déjà contribué à ‘organiser’ la proximité, soit au travers de projets de mutualisa- tions de ressources, soit au travers de la construction de réseaux plus ou moins formels. En effet, il existait sur le territoire francilien un certain nombre de réseaux, d’associations avec des ressources et une maturité inégales.

4.1.1.1 Des réseaux pour amorcer la rencontre initiale des acteurs On peut y distinguer deux catégories de réseaux :

• Des fédérations d’acteurs comme le canal numérique des savoirs, ou le Syndicat Français des Producteurs d’Animations, qui cherchait à structurer

la filière et leur métier, afin d’assurer sa représentation et sa promotion au niveau des pouvoirs publics et à l’international.

• Des réseaux localisés qui traduisent à la fois une forme de spécialisa- tion thématique et une inscription sur un territoire. Les systèmes productifs locaux, label développé par la Datar, en constituent des exemples significatifs.

Dans le cadre de nos investigations nous n’avons pas été en mesure d’ana- lyser les fédérations d’acteurs, même si plusieurs entretiens révèlent leur rôle dans le démarrage du projet d’ensemble du pôle. Nous avons été davantage en contact avec les systèmes productifs locaux parisiens membres du pôle.

Capital Games

Le SPL Capital Games est né à l’initiative d’un entrepreneur du secteur, Frédéric Weil (FW), éditeur indépendant de jeux vidéo, sur le modèle de ce qui avait été entrepris en Rhône Alpes dans le SPL Lyon Games. Cet entrepreneur avait pris conscience de la nécessité de former un collectif d’édi- teurs indépendants pour faire face à la crise historique du secteur. En 2002, plus d’une trentaine de studios ont fermé, même si d’autres se sont éga- lement créés. A cette occasion, plusieurs associations se sont lancées pour défendre les intérêts du secteur. Le projet de SPL démarré fin 2003, fonc- tionnait d’abord sur le bénévolat des premiers membres. Un petit groupe d’une dizaine de PME dans le développement de jeux vidéo que FW connais- sait personnellement a commencé à se réunir. Frédéric Weil a démarché les différentes parastructures : la mairie du XXème, la ville de Paris, la Région pour définir comment monter une action collective. Ils obtiennent une pre- mière aide de Paris et de la Région, ainsi qu’un local à la mairie du XXème. Rapidement ces institutions auxquelles Frédéric s’adresse, lui conseillent de faire la démarche de labellisation SPL auprès de la Datar. FW a approfondi le concept de SPL. L’aide de la Datar permettait d’obtenir un financement de l’animation. Il a fallu aux membres du SPL convaincre la Datar de la représentativité du réseau, en s’engageant à augmenter le nombre de PME. Il a donc fallu mener un travail de motivation, un véritable ‘travail politi- que’ auprès de ces Pme, ce qui nécessita l’organisation de plusieurs réunions.

Le travail politique se continue également vers l’extérieur, se traduisant par exemple par la participation de Frédéric Weil au comité de développement de la Ville de Paris. Comme le dit FW, le SPL a su bénéficier du dynamisme politique de Paris en adoptant une attitude un peu opportuniste. En 2005, Frédéric Weil devient salarié pour le SPL.

Le SPL se donne quatre axes de travail : • Améliorer le financement du jeu vidéo • Améliorer l’export des sociétés du secteur • Monter des projets de R&D mutualisés

• Améliorer les ressources humaines : il n’y avait pas de convention col- lective propre au secteur

L’émergence des pôles de compétitivité a précipité les actions du SPL. Etant donné la relation existant entre le SPL et la Ville de Paris, le SPL s’est engagé dès les premières réunions du pôle de compétitivité dans la dé- finition de projets collaboratifs. Il est à ce titre un des membres fondateurs et administrateur du pôle de compétitivité.

Silicon Sentier

Le SPL Silicon Sentier est né de la fusion de deux projets collectifs : l’asso- ciation « Nouvelles Entreprises et Territoires » et l’association Silicon Sentier. L’association NET est née à l’initiative d’une consultante, spécialisée dans le ‘coaching’ qui a commencé à réunir les entrepreneurs de la ‘net-économie’ localisés dans son immeuble . Ces réunions au départ très informelles, se sont petit à petit structurées pour essayer de trouver des axes de mutualisation possible. L’association se positionnait alors comme un incubateur associa- tif et propose des services (immobilier, ressources humaines, appels d’offres) du conseil (technologie, commercial, exportation au proche orient et dans le bassin méditerranéen). L’autre association Silicon Sentier est née d’une boutade entre amis. Il a été dit que cette association était davantage tour- née vers la dimension communication et promotion de ce secteur des TIC. Un de nos interlocuteurs nous confie que le Silicon Sentier était une associa- tion ‘paillette’. Très clairement, l’objectif des fondateurs était d’établir une

marque, un ‘branding’de l’adresse. Les fondateurs faisaient le constat que ce quartier (rue de Réaumur, rue des Jeuneurs, rue du sentier) abritait de plus en plus d’entrepreneurs de la net économie. Les acteurs de cette industrie des NTIC justifiaient à l’époque le choix de cette localisation par les prix attractifs des loyers (suite aux délocalisations des ateliers de confection du Sentier), par la présence d’infrastructures de réseaux haut débit (les back- bones présents autour de la place de la Bourse) mais aussi par cette position très centrale dans la ville de Paris.

Dans l’ensemble, ces réseaux sont assez récents. Les plus anciens datent de moins d’une dizaine d’années. La nécessité d’organiser ces réseaux résulte de ‘situations anxiogènes’, ou à une baisse des crédits à la recherche. Par exemple, l’industrie de l’édition de jeu vidéo a dû faire face à une crise du secteur depuis 2002. La concurrence territoriale notamment avec la région de Montréal a provoqué un effondrement de l’offre française. Plusieurs sociétés phares telle Ubisoft se sont installés à Montréal pour bénéficier des avan- tages proposés par la métropole. La crise de 2002 a presque tué le secteur en France, en provoquant la fermeture de la moitié des éditeurs. Autre exemple, le financement de la recherche dans le multimédia a connu des hauts et des bas : en 2004, il n’y a pas eu d’appel à projet RIAM.

Outre les SPL qui ont, de par leur label, une existence reconnue auprès des pouvoirs publics locaux et nationaux, d’autres collectivités ont mené des initiatives plus locales de mise en réseau des acteurs dans le cadre des actions de soutien aux filières et au développement industriel. L’exemple suivant fait référence à ce type d’actions.

Le projet PRISM

Le département de Seine Saint Denis avait lancé en 1998, un projet de structuration de la filière images intitulé le Pôle réseau Images Son Multimé-

dia (PRISM). Le projet PRISM s’organisait autour de quatre orientations : – Mettre en œuvre un réseau de coopération entre les entreprises et de

faciliter le développement et la structuration d’un secteur.

– Créer un pôle d’excellence attractif, avec des infrastructures mutuali- sables sur un territoire pilote

– Une dimension d’expérimentation de nouveaux dispositifs (par exemple au niveau de la fomation)

– L’action internationale

Le PRISM a été créé pour porter une candidature pour l’organisation exposi- tion internationale de l’image en Seine Saint Denis « Images 2004 » mais qui n’a pas abouti. Le pôle image a été abandonné en 2002. Certaines collectivi- tés locales rencontrées estiment que le projet a échoué en raison d’une part de la personnalité du porteur du projet et d’autre part de conflits politiques. Malgré son échec, cette initiative constitue une première expérimentation de structuration de la filière images et multimédia sur le territoire francilien, avec déjà la présence des individus clés de la mise en réseau (dont un futur chargé de mission de Cap Digital) et des différentes associations comme le pôle audiovisuel de Seine Saint Denis, la Fédération des Industries Cinéma Audiovisuel Multimédia, le Syndicat des Producteurs de Films d’Animation etc.

Nous verrons par la suite que cette préhistoire du pôle de compétitivité est intéressante à plusieurs titres. D’une part, elle questionne les relations entre les entités pré-existantes et la dynamique de la construction du pôle de com- pétitivité. En particulier, elle interroge la légitimité et le sens des actions portées par le pôle. D’autre part, elle pose évidemment la question des « fac- teurs clés de réussite » de telles formes d’actions collectives dans la mesure où certaines initiatives n’ont pas réussi.

4.1.1.2 Naissance du projet « Images Multimédia et Vie Numé- rique »

Nous avons montré qu’au moment du lancement de l’appel à projet, il existait un terreau, certes fragilisé par la crise récente qui a touché la plupart

des secteurs du multimédia, mais déjà sensibilisé à la nécessité de participer à des formes d’actions collectives. Autrement dit, la plupart des acteurs de ce pôle étaient convaincus de l’intérêt de former des collectifs et des mises en réseaux, même si les intérêts des uns et des autres n’étaient nécessairement les mêmes. Nous avons essayé de repérer au travers des descriptions données par les acteurs, différentes phases de construction du pôle de compétitivité. Dans une première phase qui va de décembre 2004 à juillet 2005, l’objectif des acteurs est de constituer un collectif et dans une certaine mesure de lé- gitimer ce projet d’ensemble. En effet, avec le lancement de l’appel d’offre Pôles de compétitivité, a émergé la possibilité de la constitution d’un pôle multimédia sur la région francilienne. L’idée a même été suggérée par la Da- tar, seulement, il ne devait y avoir qu’un seul projet en Ile de France sur ce secteur multimédia. L’Agence régionale de développement d’Ile de France a donc été chargée du dossier par la Région, pour concilier les projets des différents territoires et notamment régler la rivalité entre Paris et les départe- ments environnants. La Seine Saint Denis avait déjà démarré un pôle Images. La ville de Paris était plutôt orientée sur les TIC et les télécoms. La ville de Paris a notamment fait appel à l’expertise de Francis Jutand, à l’époque responsable du Groupement des Ecoles de Télécommunication, pour struc- turer le projet de pôle. L’agence Paris développement a contribué à animer les premiers groupes thématiques pour faire émerger des projets.

Cette phase de création d’un collectif se caractérise donc par un double mouvement à la fois une ouverture vers tous les acteurs possibles mais en es- sayant de rassembler autour d’un projet unique. A ce stade, il s’agit d’explorer l’ensemble des possibles, de susciter le maximum d’intérêt pour la participa- tion au pôle. Pendant cette phase, les animateurs ont eu pour objectif de recueillir, de lister tous les projets intéressants et d’inviter l’ensemble des ac- teurs potentiels pour le pôle. Un des animateurs de Paris développement, en charge du projet nous raconte qu’au démarrage des discussions sur la partie ‘vie numérique’ du pôle, tous les acteurs, y compris Microsoft, Bouygues et TF1 étaient conviés aux réunions de travail. Francis Jutand a joué un rôle es- sentiel pour « raconter » ce que pouvait devenir le pôle. Pendant cette phase

les différents réseaux évoqués dans la section précédente ont mobilisé leurs membres, contribué à monter le dossier en proposant des projets, mais aussi contribué à la définition d’un schéma de gouvernance possible. Autour de l’ARD représenté par l’équipe de Vincent Gollain, plusieurs individus ont été très impliqués sur ce projet : Francis Jutand déjà cité, Henri Verdier, direc- teur d’Odile Jacob Multimédia, alors pressenti pour devenir délégué général du pôle, Carlos Cunha du pôle Audiovisuel du Nord Parisien, Jean Gaillard, membre de la FICAM etc.

Une deuxième phase s’est engagée, une fois le label obtenu. Autrement dit, le travail devait commencer à se faire concrètement. À partir de la label- lisation, les choses se sont accélérées du fait des contraintes de l’agenda de la politique des pôles. La labellisation donnait lieu à différentes procédures administratives parmi lesquelles la définition d’un contrat cadre et du zonage R&D. Ce contrat, signé en septembre 2005 avec le préfet n’était pas qu’une formalité, si l’on relève que certains pôles n’ont pas vu leur contrat validé à cette date. En effet dans certains pôles, les structures de gouvernance ne satisfaisaient pas les critères fixés par l’Etat. En particulier, le leadership industriel a pu constituer un frein pour certains pôles. Le zonage R&D a lui aussi constitué un défi administratif pour le pôle dans la mesure où la définition du zonage exigeait d’identifier pour chaque établissement membre du pôle l’effectif en R&D.2Les commissions thématiques ont commencé leur

travail d’animation. La gouvernance a tenté de favoriser un croisement des thématiques : réunions intercommissions, projets examinés par plusieurs com- missions. Egalement des entreprises commencent à coloniser plusieurs com- missions : les entreprises de l’éducation assistent aux commissions jeux vi-

2. Pour comprendre la controverse, rappelons que la fonction initiale du zonage était de permettre certaines exonérations fiscales liées à la localisation géographique. Les entre- prises membres du pôle, situées dans le zonage R&D pouvaient être exonérées d’un certain nombre de charges et de taxes locales. Seulement la définition du zonage n’était pas ac- ceptée par tous. Au début de l’initiative pôle, le zonage devait concerner la zone où sont localisées l’ensemble des entreprises. Puis la définition a été changée pour retenir la zone de concentration des moyens de R&D. Certaines Régions souhaitaient voir le zonage étendu à l’ensemble de la région concernée. Dans les faits, ce zonage reste controversé. Certains y voient un indicateur important de l’ancrage territorial du pôle, d’autres estiment que ce