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Initier une démarche de pilotage des réseaux in terorganisationnels

agencement inter-organisationnel

2.3 Les processus de pilotage d’agencements inter organisationnels

2.3.2 Initier une démarche de pilotage des réseaux in terorganisationnels

Malgré l’abondance des recherches sur les réseaux, les connaissances sur leur pilotage demeurent lacunaires pour les chercheurs en gestion (Josserand, 2007). Nous suggérons que l’utilisation d’un modèle formel comme celui pro- posé par Acquier permet d’« outiller » l’analyse du pilotage en offrant une grille de lecture simple mais cohérente.

2.3.2.1 Les modèles de performance des réseaux territoriaux in- terorganisationnels

Les pôles de compétitivité sont confrontés à la même difficulté que l’en- semble des organisations ne relevant pas d’une logique financière de la per- formance. Il n’existe pas d’indice simple de la performance comme la rentabi- lité ou la profitabilité. Cet obstacle génère néanmoins un potentiel, puisqu’a priori les acteurs du pilotage d’un pôle devraient nécessairement s’interroger sur leurs visions de la performance.

La question de la performance est une question centrale aux sciences de gestion. Selon Ernult (2005) la performance a trois caractéristiques essen- tielles, (1) le fait d’être une notion relative par rapport au contexte concurrentiel et oganisationnel choisi en fonction de la stratégie. (2) La performance est aussi construite transversalement et globa-

lement, entre métiers et compétences distinctes. Enfin, (3) la per- formance n’existe que si on peut la mesurer, c’est à dire qu’il faut pouvoir la décrire par un ensemble de mesures. Cependant il ne faut pas la confondre avec ces mesures en question.

A ces caractéristiques de la notion de performance, nous proposons d’ajou- ter d’autres caractéristiques spécifiques aux formes inter-organisationnelles.

(4) Nous suggérons que la performance des réseaux inter-organisationnels nécessite de prendre en compte les objectifs des constituants des pôles et des parties prenantes externes. Dans ce sens, la performance d’un réseau inter-organisationnel ou d’une méta-organisation est directement en lien avec la nature du système de gouvernance. Car celui-ci aura pour mis- sion de hiérarchiser les objectifs des diverses parties prenantes en fonction des contraintes et des ressources, pour formuler ce qui sera ensuite, la théorie de la performance du réseau lui-même.

(5) La performance des réseaux inter-organisationnels territoriaux résulte de l’imbrication de plusieurs niveaux de performance (Pro- van & Milward, 2001) : le niveau des membres, le niveau du réseau entier, le niveau de la « communauté » qui dans notre cas peut être assimilé au niveau territorial. Kenis & Provan (2006) soulignent à la fois la difficulté de bien distinguer ces niveaux d’analyse, mais aussi l’importance de le faire.

D’abord, comment définir une théorie de la performance pour le pôle dans son ensemble, compte tenu des caractéristiques des pôles et de leur gouvernance ?

Ensuite, comment être sûr que cette vision est bien mise en oeuvre, que l’on a choisi les modalités adéquates ?

Une co-existence de plusieurs modèles de performances

Notre revue des modèles territoriaux dans le chapitre 1 suggère que la théorie de la performance varie selon le modèle théorique auquel on se réfère.

La littérature montrent que les clusters et autres formes de systèmes ter- ritoriaux peuvent générer un éventail très large d’effets bénéfiques pour les entreprises localisées dans leur territoire (Boix & Galletto, 2008).

Mais la littérature illustre aussi la diversité des déterminants possibles de cette performance locale. Par exemple, pourIammarino & McCann (2006), qui s’inscrivent dans une réflexion en termes de coûts de transaction, les bénéfices d’un système territorial résultent l’existence de plusieurs formes d’economies externes :

– les spillovers d’information et de connaissance – l’offre locales de ressources

– la constitution d’un marché local de travailleurs qualifiés

Pour d’autres chercheurs comme Asheim et Mariussent (2003), inspirés par l’économie de la connaissance et de l’innovation, il pourrait exister une forme de boucle systémique qui conduirait une agglomération d’organisations à dé- velopper des échanges puis des transferts de connaissances qui conduiraient à terme à produire de l’innovation et ainsi à l’amélioration de la compétitivité.

Figure 2.3 – Le cercle vertueux du processus d’apprentissage localisé, d’après Asheim & Mariussen (2003)

identifie des schémas de causalité avec certaines causes menant à certains effets, mais les causes et les effets ne sont pas nécessairement comparables d’un modèle à l’autre, et les liens entre ces facteurs ne sont pas non plus nécessairement les mêmes selon les modèles.

Par exemple, dans un article récent, Bocquet & Mothe (2009) considé- raient qu’en confrontant les deux formes idéal-typiques de systèmes territo- riaux que sont le district industriel et le cluster porterien, il apparait deux modèles de performance distincts. Dans le modèle du district industriel, la performance se pense en termes d’économies de coûts et d’allocation de res- sources existantes. Dans le modèle du cluster est la production et la diffusion de nouvelles connaissances pour soutenir la dynamique d’innovation.

District industriel Cluster Performance

économique et sociale à l’intérieur du

territoire

PIB local, taux

d’emploi revenus d’emploi, revenusPIB local, taux

Performance collective, à l’échelle du district ou du cluster Externalités (accès à un bassin d’emploi dynamique et qualifié, à des infrastructures de qualité, à des connaissances communes) Externalités et échanges volontaires de connaissances Performance à l’échelle des entreprises

Économies de coûts Économies de coûts et innovation

Table 2.7 – Nature de la performance dans le district industriel et dans le cluster (Bocquet & Mothe, 2009)

Ce travail de typologie de modèles de performances des districts nous semble pertinent et congruent à l’idée des formes de développement hétéro- gènes présentées dans la section. Néanmoins, la proposition des auteurs peut présenter plusieurs limites. Les auteurs affirment s’appuyer sur les formes

« pures » du district et du cluster, mais il est difficile, y compris d’un point de vue théorique, de justifier des formes « pures » de district industriel et de cluster, puisque les auteurs fondateurs de ces concepts ont eux-même fait évoluer leur réflexion et leur argumentation sur leurs modèles théoriques (voir par exemple Daumas, 2007, à propos de l’évolution de la pensée de Beccattini sur les districts).

Nous avons ainsi montré que le modèle de cluster de Porter, au départ, ne situait pas l’avantage concurrentiel dans la proximité géographique mais la dimension « coopétitive » du cluster. De même le modèle de Porter à notre connaissance ne traite pas spécifiquement d’innovation et d’échanges volon- taires de connaissance. Si on suit le raisonnement de Porter (1998), l’existence de grappes industrielles stimulerait la compétitivité des entreprises, des ré- gions et des nations de trois manières. Premièrement, les entreprises localisées dans un cluster bénéficient de gains de productivité, car elles ont accès des moyens, à des ressources auxquelles elles ne pourraient avoir accès si elles étaient isolées. Deuxièmement, ces firmes sont non seulement plus produc- tives, mais elles ont également une plus forte capacité d’innovation. Enfin les clusters favorisent l’entrepreneuriat, dans la mesure où les barrières à l’entrée sont diminuées.

Malgré ces limites, l’intuition demeure qu’il peut y avoir a minima deux visions de la performance : une performance tournée vers la création de res- sources locales et spécifiques mutualisées et une performance tournée vers l’innovation et la production de connaissances.

Mais nous pouvons envisager d’autres types de performances attendues comme la capacité d’un territoire à faire face aux crises et à pouvoir no- tamment s’adapter aux contraintes de la globalisation. Différents critères comme l’attractivité en terme de capital humain, des investissements étran- gers (Haussler et Zadelmach, 2007) sont évoqués (aussi dans le discours des acteurs des pôles).

Le modèle des districts italiens a particulièrement été vanté pour sa capa- cité à créer des liens non seulement locaux mais globaux. Ces liens externes peuvent se traduire économiquement par la capacité des firmes à exporter

(les districts italiens comptent pour 40% de l’export en 1998) (Beccheti et al. 2007).

En bref, nous sommes confrontés à une réelle difficulté, d’un point de vue théorique. Et d’un point de vue empirique, le problème reste entier, puis- qu’au démarrage de cette politique des pôles, il ne nous semble pas que les objectifs de performance étaient bien définis. On ne sait pas à l’origine si les pôles doivent servir la compétitivité, l’emploi ou l’innovation ou encore l’aménagement du territoire.

Cette situation a pour conséquence une incertitude sur les préférences.

Si le problème de la définition de la performance se pose, un autre pro- blème se situe au moment de l’évaluation de la performance.

La question de l’évaluation de la performance

A la lecture des travaux sur cette notion de la performance du réseau, nous pouvons en dégager au moins deux éléments interdépendants sur cette question de l’évaluation de leur performance :

– le problème du niveau d’analyse de la performance et des effets liés à l’encastrement de ces niveaux

Les recherches actuelles ont jusqu’à présent porté essentiellement sur la per- formance au niveau du membre du réseau. Or comme le soulignent Kenis & Provan (2006), il n’y a pas nécessairement de couplage fort entre la perfor- mance pour les membres et la performance au niveau du réseau.

« Souvent, le point critique, pour les clients des services comme pour les

gestionnaires au niveau du système et des financeurs, est la performance du réseau entier, et pas de savoir si des organisations qui sont membres du réseau font un meilleur travail que d’autres. Evidemment, un réseau peut être inefficace si les organisations à l’intérieur du réseau font un mauvais travail. Mais aussi, même si les organisations du réseau fournissent des services de qualité, les résultats du réseau dans son ensemble peuvent être mauvais »22.

22.

A travers ce point, c’est bien la question du « couplage » qui existe entre les capacités d’une gouvernance à formuler des objectifs généraux et sa faculté de pouvoir réellement maîtriser les actions opérationnelles qui émergent. La gouvernance doit certes d’abord parvenir à formuler des grands objectifs, mais ensuite a t-elle réellement une capacité d’influer sur le cours des choses ? La question du pilotage spécifique des formes inter-organisationnelles se situe à ces deux niveaux.

– la question de la définition des critères de performance et de leur mesure Pour les participants, l’évaluation de la performance se fait sur quatre cri- tères : les résultats obtenus pour le participant, la légitimité, l’acquisition de ressources et les coûts induits. Provan & Milward (2001) montrent que dans le cas des réseaux de santé, les agences, organisations membres du ré- seau acquièrent des ressources et de la légitimité plus facilement que si elle agissaient seules.

Se basant sur la conclusion de Simon (1976), selon laquelle un critère d’évaluation n’est pas un fait, mais plutôt l’expression d’un systèmes de va- leurs, Kenis & Provan (2006) mettent en balance la question des critères de performance :

« En principe tout critère peut être utilisé pour mesurer la performance d’un réseau (efficacité, l’atteinte des buts, qualité, productivité, niveau de conflit, croissance, survie, profit, stabilité, résilience, etc.). La raison pour qu’un critère est une norme et puisque c’est une norme, cela implique que toute décision sur le critère à utiliser pour mesurer la performance d’un ré-

and system-level planners and funders, is the performance of the entire network, not whether some organizations that are part of the network do a better job than others [...]. Obviously, a network may be ineffective if individual organizations within the network do a poor job. But also, even though network organizations may provide excellent services on their own, overall network outcomes may be low »

seau est une décision normative »23

Nous pouvons donc considérer que les critères d’évaluation seront dé- pendants des théories de l’action et de la performance portées par ceux qui évaluent.

2.3.2.2 Activités et processus

Le système de pilotage suppose de s’interroger sur les activités d’un pôle de compétitivité. Selon Martin et Sunley, les initiatives de clusters prévoient quatre types d’activités.

1. Une politique de cluster vise à promouvoir le dialogue et la mise en réseau entre des entreprises et d’autres agents économiques.

2. Le cluster est supposé mener fréquemment des actions de marketing

collectif, qui se fonde sur la reconnaissance, la promotion et la construc-

tion des ressources spécifiques et intransférables du territoire (Mendez & Mercier, 2006).

3. Il est communément admis qu’une initiative de cluster doit contribuer à fournir des services locaux pour les firmes tels du conseil spécialisé, des prestations de transfert de connaissance et de technologie.

4. Enfin, une action de cluster devrait permettre d’identifier les lacunes dans la chaine de valeur du cluster et chercher à attirer les compétences,

les investissements et les entreprises qui combleraient ces manques.

A priori, la doctrine initiale des pôles de compétitivité ne prévoyait pas une liste particulière des activités et des processus d’un pôle. Toutefois les trois priorités d’un pôle de compétitivité, telles qu’elles sont mentionnées dans le cahier des charges de l’appel à proposition sont :

23.

« In principle any criterion can be used to assess the performance of a network (efficiency, goal attainment, equity, quality, productivity, level of conflict, growth, survival, profit, stability, resilience, etc.). The reason is that a criterion is a ‘norm’, and since it is a norm, this implies that any deci- sion about the criterion used in assessing the performance of a network is a normative decision. »

– le développement de partenariats – les projets communs concrets – l’internationalisation

Ceci laisse supposer qu’il peut y avoir une part d’exploration à l’initiative des structures de gouvernance des pôles, pour définir localement comment ces activités seront mises en oeuvre et si d’autres processus créateurs de valeur peuvent venir s’ajouter dans l’agenda des pôles.

2.3.2.3 Un ensemble de dispositifs de gestion

La réalité organisationnelle des pôles ou des formes d’organisation territo- riale n’a pas été suffisamment investiguée par les chercheurs en gestion pour que nous puissions apporter des éléments contextualisés à cette situation de gestion. Aujourd’hui Chia et al. (2008) appellent justement à un programme de recherche sur les outils de gouvernance territoriale mais cette réflexion n’en est qu’à ses prémisses. Qui plus est, les recherches actuelles s’orientent davantage sur les outils de gouvernance de problèmes ou de biens collectifs (gestion de l’eau, développement durable, etc.) mais ne portent pas encore sur des objets comme les réseaux territoriaux d’innovation.

En revanche, les définitions générales et les propos sur les dispositifs de ges- tion sont nombreux. Nous rappelons ici les principaux enseignements de la littérature sur la question.

Les sciences de gestion ont depuis longtemps élaboré des notions, des concepts et des méthodologies pour appréhender l’instrumentation de gestion.

Dans un article de synthèse sur ces objets, Berry (1983) qualifiait l’instru- ment de gestion de « technologie invisible ». Ils sont d’abord une réponse à la complexité d’une situation de gestion. L’auteur relève également le carac- tère local de l’instrument, qui correspond peu à une rationalité universelle prédéterminée.

Parmi les grandes distinctions communes dans la littérature en sciences de gestion, sont généralement distingués les outils de gestion d’un côté, les dispo- sitifs de gestion de l’autre. Selon Moisdon (1997), l’outil de gestion est défini

de manière restreinte comme « un ensemble de raisonnements et connais-

sances reliant de manière formelle un certain nombre de variables issues de l’organisation [. . . ] et destiné à instruire les divers actes classiques de la ges- tion que l’on peut regrouper dans les termes de la trilogie classique : prévoir, décider, contrôler » (p.7). Il le distingue ainsi de la notion de dispositif qui « spécifie quels types d’arrangements des hommes, des objets, des règles et des outils paraissent opportuns à un instant donné. ». Le concept de dispositif

est donc un concept plus large que celui d’outil. David (1998) lui propose une définition ouverte de l’outil de gestion comme « tout dispositif formalisé

permettant l’action organisée ». Cette définition nous semble appropriée car

elle ne voit pas l’outil uniquement dans un rôle ex post qui consisterait à mesurer les résultats, l’outil de gestion a aussi une dimension performative en ce qu’il guide les actions et les représentations.

Berry (1983) et Moisdon (1997) assignent plusieurs fonctions aux outils de gestion. Moisdon considère que l’outil de gestion a plusieurs existences :

– L’outil « consiste à normer les comportements » car les outils de gestion induisent également des automatismes de décision et de comportement. – L’outil consiste à créer et à propager du savoir.

– les outils de gestion sont souvent les révélateurs des rapports sociaux et des forces qui infléchissent l’organisation.

L’outil de gestion peut donc être à la fois outil de conformation et outil d’ap- prentissage et d’exploration.

Par ailleurs beaucoup d’auteurs se sont intéressés aux mécanismes de dif- fusion des outils de gestion dans les organisations. Di Maggio et Powell (1983) ont souligné que l’isomorphisme institutionnel pouvait mener à des adoptions d’innovations par mimétisme plutôt que dans une logique d’efficacité. Gibert (2009) souligne ainsi « Le développement d’un outil de gestion ne correspond

pas forcément chez ses initiateurs à une conviction réelle de l’importance et de l’utilité de cet outil. Une mode managériale que l’on suit parce qu’elle est valorisante et sécurisante pour ceux qui l’adoptent, une prescription venue de plus haut - à laquelle on se conforme, avec discipline mais sans zèle- sont

souvent à l’origine d’introductions d’outils de gestion de nature à souffrir plus que d’autres au cours de leur mise en oeuvre de différents travers. »

Parmi les outils classiques de pilotage, Lorino distingue l’indicateur de performance et le tableau de bord. L’indicateur de performance est défini comme « une information devant aider un acteur, individuel ou plus généra- lement collectif, à construire le cours d’une action vers l’atteinte d’un objec- tif ».

Mais les définitions et ces exemples classiques d’outils de gestion considèrent le pilotage avec un certain degré de formalisation. Cependant,Lorino (1997) souligne que le pilotage n’est pas nécessairement pourvu de mécanismes et d’instruments explicites. Il peut faire appel à différents mécanismes de coor- dination implicites. «Les modes de coordination sont variés. Ils passent par

une circulation de signes plus ou moins riche. Le degré zéro de la coordi- nation pourrait être baptisé La coordination de l’archipel : la circulation de signes est pauvre, chaque centre d’activité dispose d’une réserve de ressources importante un slack lui permettant de faire facilement face à des situations imprévues».

Ainsi un pilotage sans signes pourrait se reposer sur les mécanismes de co- ordination implicites, comme le conditionnement des acteurs (on impose des profils ayant les mêmes types de comportements) ou les affinités qui régissent des systèmes communautaires, partageant les mêmes schémas de pensée et les mêmes types de réactions. Mais Lorino suggère néanmoins que la circulation de signes implicites est conditionnée par l’existence d’excédents de ressources, le slack organisationnel comme le nomment Cyert et March (1963).