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Typologie /hiérarchisation de la parole chez les Punu

2 Dire l’oralité chez les Punu

2.2 Typologie /hiérarchisation de la parole chez les Punu

(2012 :30) il déclare :

Pour nous, le sacré est lié à l’écrit, pour l’africain, il est lié à la parole. Celle-ci coule comme la vie coule. C’est elle qui est force et puissance de création, on lui accorde plus qu’à l’écrit, la capacité de créer le monde des hommes.

Certes les conceptions de la parole diffèrent d’une société à l’autre mais toujours est-il qu’elle est considérée par l’ensemble comme quelque chose d’essentiel, voire de primordial qui sert de lien entre les différentes générations :

Considérée sous l’angle social, la parole est aussi l’expression des règles qui rendent possible la vie en société et dont la connaissance est transmise par un enseignement oral. (…) Son rôle est de transmettre à son tour la tradition, sous forme de parole vivante et ininterrompue, aux générations qui viennent. G. Calame-Griaule (1987 : 26)

Bernadin Minko Mve et Stephanie Nkoghe nous rappellent la distinction faite par l’ethnographie de terrain en ce qui concerne la parole :

59Roulon-Doko (P.), «Le statut de la parole » in Littératures orales africaines. Perspectives théoriques et

méthodologiques, Paris, Karthala 2008, p 35

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Georges Balandier, est anthropologue, sociologue et écrivain. Les propos rapportés ici sont un extrait d’une interview intitulé « Le sacré est lié à la parole » accordée au magazine Le Point, Références (novembre-décembre 2012). Ces propos ont été recueillis par Valérie Marin La Meslée.

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L’ethnographie de terrain nous permet de distinguer plusieurs types de paroles ayant chacun deux niveaux de lecture ou deux codes : un niveau manifeste et un niveau latent, ou encore un code verbal et un autre non verbal :

La parole vocale représentée par les mots, les phrases, les discours, les sons que l’on prononce oralement

La parole gestuelle faite de mimiques ou de gestes corporels La sculptée renvoyant aux œuvres d’art

La parole musicale issue des sons du tam-tam, du tambour, de la cithare, du balafon ou du Mvett (chez les Fang du Gabon par exemple)

La parole visuelle qui se lit à travers une attitude visuelle, un regard

La parole auditive provenant d’une perception ou d’une interprétation auditive

La parole tactile d’une communication due au toucher La parole gustative exprimée par le goût ou les saveurs

La parole divine, cette voix intérieure, à peine perceptible qui nous parle La parole mystique, celle des ancêtres, des sorciers, des tradipraticiens, de tous les esprits bénéfiques ou maléfiques

La parole cosmique, celle exprimée par les phénomènes naturels (orage, soleil, vent, étoiles, animaux, oiseaux, cours d’eau, végétation)

Cette distinction met en lumière l’existence de plusieurs types de paroles dans les sociétés dites orales. Elles montrent en réalité que ce sont des sociétés de culture polysensorielle et qu’il existe des paroles pour chaque circonstance, des paroles pour les hommes, les femmes, les enfants et que l’accès au sens de ces paroles exige une certaine connaissance des codes.

Les différentes langues distinguent souvent plusieurs types de paroles que l’on peut classer en paires d’opposition. Les Dogons par exemple distinguent «so:yinu « parole blanche» bredouillement so:olù «parole humide» parole nette, bien articulée». Calame-Griaule (1987 : 23).

Dans la société punu, les locuteurs font une différence entre «yipunu i lɛng» et

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langue et l’adjectif «lɛng» qui signifie léger. Quant à « yipunu i batme » cette expression

signifie littéralement ‘’langue serrée ‘’

Les « paroles légères » désignent toutes les paroles ordinaires et sont comprises par tout le monde. Quant aux « paroles serrées », elles renvoient à tout discours échappant à l’homme ordinaire ou non initié.

Les ‘’paroles légères’’ relèvent de l’usage quotidien. Nul besoin de voiler ou de codifier, le langage est accessible à tous. Les ‘’paroles serrées’’, par contre, font appel à une rhétorique, un niveau de langue parfois archaïque que seuls les initiés ou les cercles restreints peuvent comprendre.

En fait, indépendamment de cette distinction et à l’observation, les « paroles légères » peuvent servir les « paroles serrées ». La devise par exemple, est portée par une « parole légère» dont tout le sens est à rechercher dans la « parole serrée », c’est le cas aussi pour le conte. Ce sont ces paroles serrées que l’on retrouve dans les énoncés tels que les proverbes qui sont des énoncés fortement poétisés et imagés, d’un niveau d’élaboration et de raffinement élevé.

Ces « paroles serées » sont l’apanage des « nzontsi » et des « ivovis », des maîtres de la parole chez les Punu. Ces derniers manient la parole avec dextérité et détiennent la magie du verbe comme les griots d’Afrique de l’ouest. En effet, « Ils ne délivrent leurs messages qu’à travers un discours porté par des termes d’un niveau très élevé d’élaboration et de raffinement » 61

61 Huannou (A.), cité par Mouely(A.C.) dans Les conceptions de la parole dans la communauté punu du Gabon,

le cas du proverbe, mémoire de maîtrise, U.O.B, 2004.

Les « nzontsis » et « ivovis » ont un statut particulier dans la communauté. Ils bénéficient du respect et de l’admiration des autres membres de la communauté. Leur mission, est de veiller à transmission du patrimoine culturel et de maintenir l’harmonie et la cohésion du groupe. Ils jouent le rôle de juge coutumier et interviennent dans le règlement des conflits qui naissent dans la société.

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On peut diviser la parole en deux catégories. L’une est dangereuse dans la mesure où elle peut mettre en péril l’harmonie de la société (malédiction) et l’autre bénéfique en ce qu’elle peut être signe de paix, donc visant l’utilité et l’harmonie sociale (bénédiction) ; il s’agit de la valeur performative de la parole déjà évoquée ci-dessus.

La parole peut aussi être considérée comme un signe distinctif du pouvoir chez les Punu. Ceux qui manient le verbe avec dextérité, éprouvent une facilité à faire accepter leurs opinions. Leur parole est davantage considérée que celle des autres membres de la société qui ont une moindre connaissance des rouages langagiers, comme les enfants et les femmes. Cet état de choses fait que selon la conception punu, l’individu qui parle bien obtient un statut dans la société et peut même se faire rétribuer pour ses talents. C’est actuellement le cas à Libreville, 62