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Texte 2 : résumé de l’épopée réalisé par Kwenzi Mikala

4 Définition générique et performance de la devise « kûmbù »

4.6 Les éléments paralinguistiques

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Parmi les objectifs poursuivis par le performateur de la devise, il y a sans aucun doute le désir de créer une certaine admiration, une émulation chez ses interlocuteurs. Ainsi, pour y parvenir, il met en place des stratégies pour convaincre son auditoire et l’emmener à lui reconnaître le statut qu’il revendique. Ces stratégies relèvent à la fois de l’art du bien dire que des éléments paralinguistiques. Il s’agit entre autres de la gestuelle et de la mimique. L’usage de ces deux éléments par les énonciateurs constitue une sorte de jeu que nous avons appelé «jeu corporel» ou prestance.

130Seydou (C.), « La devise dans la société peule : invocation et évocation de la personne » in langages et

cultures africaines, François Maspero, Paris, 1977, p.199

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Maalu-Bungi (C.), Poésie orale congolaise, CELTA, Kinshasa 2002, p 97

132 Groupe de musiciens Hip-Hop gabonais dont la particularité réside dans le fait qu’il allie modernité et tradition dans les compositions musicales.

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Dans la mesure où elle est émise par la voix, la devise engage aussi le corps, c’est la raison pour laquelle nous avons jugé utile d’analyser le jeu corporel au cours de sa production. En effet, on ne saurait ignorer la gestuelle et la mimique dans l’analyse des textes oraux. Le texte poétique oral s’appuie sur ces éléments paralinguistiques.

La gestuelle et la mimique participent du beau et du bien dire oral. Plus encore, elles concourent à la performance. On ne peut les dissocier du texte oral comme nous le rappelle Paul Zumthor (1983 :63)

Le texte poétique oral, dans la mesure où par la voix qui le porte, il engage un corps répugne plus que le texte écrit à toute analyse qui le dissocierait de sa fonction sociale et la place qu’elle lui confère dans la communauté réelle, de la tradition dont elle se réclame (…) des circonstances enfin où il se fait entendre.

La situation d’énonciation que nous allons étudier ici a été enregistrée au cours d’une palabre mortuaire dans un quartier de la capitale Libreville, à savoir Awendjé. Cette veillée a eu lieu le 25 juillet 2011, au cours de celle-ci, nous avons observé l’un de nos informateurs Monsieur Denis Moussadji.

Rappelons que la palabre de deuil chez les Punu réunit les familles maternelle et paternelle du défunt. Elle a lieu avant l’enterrement ; les deux familles sont assises l’une en face de l’autre sur des chaises disposées en rangées.

Une telle disposition marque l’opposition entre les deux camps. L’un d’entre eux est chargé d’expliquer les raisons du décès du défunt. Seuls les représentants des deux familles sont habilités à prendre la parole.

Représentant la famille maternelle de la défunte, Denis Moussadji notre informateur a été invité à déclamer sa devise à deux reprises au cours de la palabre. Nous avons à chaque fois observé ses gestes.

Assis au moment de son interpellation par le représentant de la famille adverse, son premier geste fut de se lever avant de décliner son identité. Se lever dans cette circonstance est un signe de respect à l’endroit des interlocuteurs.

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G. Calame-Griaule affirme que la gestuelle joue un rôle dans l’énonciation des discours (1987 :72):

Elle favorise la parole parce qu’elle aide à formuler la pensée. (…) Les gestes aident à se remémorer les paroles dont ils constituent une sorte de relais, de même que les représentations graphiques sont un relais de la connaissance orale.

Mais il ne s’agit pas de faire n’importe quel geste. Les gestes qui accompagnaient la déclamation de la devise de notre informateur ce jour étaient réalisés de la main. Ils servaient d’une part à rythmer les paroles de l’énonciateur. D’autre part, ils agissaient comme une intimidation de la famille adverse.

Dans cette même optique, le visage de l’énonciateur toujours orienté vers la famille adverse dégageait à ce moment une sorte de mimique de fierté dont l’objectif est toujours l’intimidation de l’auditoire.

Le plus marquant dans sa prestance reste son allure. En effet, pour lui comme pour les autres énonciateurs que nous avons observés dans d’autres circonstances d’énonciation, l’allure prise est souvent fière, vantarde, voire altière.

Jugée parfois exagérée, l’allure peut être prise comme une constante dans la gestuelle de la devise. Elle a pour but d’attirer l’attention de l’auditoire, l’impressionner, même de l’intimider. Il n’est pas rare qu’elle provoque l’énervement. Le jeu corporel se présente donc comme une stratégie du performateur à la fois pour affirmer son identité mais aussi pour agir sur son auditoire.

Au total, définir la devise de façon générique nous a permis de faire ressortir certaines de ses caractéristiques. Partant de la conception qu’ont les locuteurs eux-mêmes, on constate que les Punu font la distinction entre devise clanique et individuelle. La première célèbre les ancêtres et l’ensemble des individus qui composent la communauté, tandis que, la seconde caractérise l’individu dans ce qu’il a de plus singulier.

Chacun de ces textes présente des propriétés textuelles différentes. Figée au niveau de son contenu et par son style formulaire, la devise clanique s’oppose totalement à la

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devise personnelle au caractère interchangeable et dont le contenu est constamment recréée au gré des circonstances d’énonciation.

Du point de vue de la performance, devise clanique et individuelle sont énoncées soit dans des contextes solennels soit ordinaires par des interlocuteurs masculins ou féminins. Il n’existe pas d’interdits liés à leur déclamation. Celle-ci privilégie la parole comme mode d’émission et utilise une gestuelle singulière dont le but est à la fois de rythmer les paroles de l’énonciateur et d’agir sur l’auditoire.

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