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Texte 2 : résumé de l’épopée réalisé par Kwenzi Mikala

4 Définition générique et performance de la devise « kûmbù »

4.2 Performance de la devise

4.2.1 Contextes d’énonciation de la devise

. Cette définition permet d’appréhender certains éléments caractéristiques de la littérature orale, notamment la notion de transmission qui implique un émetteur –énonciateur et un destinataire précis. Le message poétique qui est simultanément transmis et perçu renvoie à l’immédiateté, souvent évoquée au sujet de la consommation de la littérature orale.

De ce qui précède, on ne peut se permettre de décrire la performance sans l’envisager par rapport à une situation d’énonciation précise, réunissant un énonciateur et un destinataire spécifiques dans un cadre spatio-temporel unique comme le suggère Ursula Baumgardt (idem : 52). Les textes de littérature orale sont donc effectivement tributaires de la performance. Celle-ci peut être prise comme critère définitoire des genres en littérature orale, c’est pourquoi nous ne pouvions pas définir la devise sans aborder le volet de la performance. Il s’agira ici d’étudier les éléments qui relèvent de la performance de la devise. Nous analyserons plus précisément les différents contextes d’énonciation de la devise chez les Punu et les éléments nécessaires à réalisation de la performance.

Par contexte d’énonciation, nous entendons présenter le cadre de production et de vie du kûmbù en société punu. Ces contextes sont variés et peuvent se regrouper en contextes historique, solennels et ordinaires.

4.2.1.1 Contexte historique de la devise : la guerre

Des divers entretiens avec nos informateurs, il ressort que la guerre est le cadre originel du kûmbù. En effet, nous avions déjà évoqué le caractère belliqueux de ce peuple dans le premier chapitre, ces derniers accordant un intérêt particulier à l’art de la guerre.

Nous appuyant sur les propos de Lié Luc Mounguengui, nous osons penser que ce sont les guerres tribales qui ont donné naissance à cette pratique langagière. En effet,

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quelque temps avant le départ pour l’affrontement, les hommes se retiraient du village pour un lieu inconnu des autres villageois. Ce lieu pouvait être une forêt ou une grotte, ils y recevaient une préparation physique et mystique qui avait pour but de les rendre invincibles.

Pendant ce temps de retraite, les guerriers se livraient à l’énonciation des devises qu’ils composaient ou actualisaient au gré des circonstances. L’utilisation de la devise dans ce cadre relevait à la fois de l’encouragement et de la démonstration des prouesses de chacun.

Quatre devises sur les neuf qui composent le corpus de devises claniques, en l’occurrence celles des clans Bumweli, Dibamb Kadi, Badumbi et Didjab, font référence à des batailles ou mettent en exergue des prouesses accomplies autrefois. Ce contexte particulier serait l’une des explications de cette pratique langagière.

Aujourd’hui les guerres entre groupes ethniques au Gabon ont cessé depuis longtemps. Le contexte particulier qui, nous semble-t-il, a donné naissance à ce type de discours n’est plus d’actualité. Mais, il n’est pas rare qu’il soit mentionné par les anciens dans les conversations au sujet de la devise.

4.2.1.2 Contextes solennels

Les contextes solennels renvoient aux situations d’énonciation de la devise en dehors des situations de communication quotidiennes ou ordinaires. Deux situations de communications ‘’extraordinaires’’ donnent lieu à l’énonciation de la devise. Il s’agit de la palabre ikùmbùet de l’initiation.

Dans le cadre de ce travail, nous ne présenterons qu’un seul de ces contextes solennels, à savoir la palabre. Le contexte de l’initiation ne le sera pas pour les raisons que nous avons déjà évoquées dans le chapitre précédent au sujet de la devise initiatique.

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4.2.1.2.1 La palabre :ikûmbù

La palabre ikûmbù est une assemblée qui réunit les membres de la communauté et où s’échangent des informations et se prennent des décisions. Ce terme, formé à partir de la même racine que kûmbù, peut être considéré comme son lieu de déclamation privilégié.

Chez les Punu, la palabre ikûmbù constitue le moyen par excellence pour régler les différends de la société mais aussi pour sceller des alliances entre familles, clans ou ethnies dans le cas de l’union entre deux personnes par exemple. Deux évènements marquants donnent lieu à la tenue d’une palabre : le mariage ou le décès d’une personne. En effet,

Le deuil et le mariage ouvrent un type particulier de discours. Il suscite une assemblée coutumière, occasionne des joutes oratoires, crée un véritable débat contradictoire où les parties en présence doivent pouvoir s’entendre sur un accord minima, à défaut de celui plus large, qui unifierait tous les avis. Grégoire Biyogo in Nza-Mateki (2005 : 6).

Elle réunit ainsi deux parties qui s’opposent par l’intermédiaire d’un porte-parole choisi pour ses qualités oratoires et son maniement des tournures linguistiques complexes. C’est tout naturellement au nzontsi et ivovi, à ces maîtres de la parole présentés dans le chapitre 2 que reviennent cette tâche.

La palabre se déroule dans des lieux différents selon qu’on soit en milieu rural ou urbain. Dans le premier cas, elle se déroule soit sur la place du village ou dans le corps de garde.123

En effet, la palabre se déroule selon un ordre d’étapes précises qu’il faut respecter et qui diffèrent selon qu’il s’agisse d’une palabre de deuil ou de mariage.

Dans le second cas, c’est la cour de la maison familiale qui sert de théâtre à sa production, sa réalisation. Dans les deux cas l’assemblée présente participe au déroulement de cette manifestation culturelle donnant lieu à l’énonciation de plusieurs genres littéraires.

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Le Larousse définit le corps de garde comme une construction militaire destiné à protéger une fortification, ici il désigne un lieu aménagé dans le village où les hommes se rencontrent pour passer du temps, discuter et régler les conflits de la communauté. Ce lieu est chargé de symbolique pour l’ensemble des membres de la communauté.

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Nous n’avons pas souhaité présenter en détails les différentes étapes de la palabre de deuil et de mariage car elles changent d’une circonstance de décès ou de mariages à une autre. N’ayant pas suffisamment enquêté sur ce sujet, il nous a paru judicieux de ne pas l’aborder dans le cadre de ce travail.

Au cours de ces différentes étapes sont énoncés contes, proverbes et chants. Les orateurs y ont recours

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pour étayer ou illustrer leurs propos. Ils peuvent aussi servir d’intermède entre les différentes étapes de la palabre. Bien plus encore, par ces genres littéraires les orateurs parviennent très souvent à apaiser les tensions entre les deux parties en présence. 125

La devise intervient aussi souvent au cours de la palabre. Lorsque c’est le cas, son énonciation se fait à la demande d’une personne de l’assemblée. En effet, la palabre s’avère être une véritable joute oratoire entre les deux porte-parole soutenu chacun par les membres de leurs familles respectives. Ce soutien se manifeste par des conseils que le

nzontsireçoit au cours des conciliabules ‘’ifùndù’’

En ce qui concerne la devise, elle n’intervient pas systématiquement dans les palabres. Lorsque c’est le cas, elle est énoncée au début ou pendant la palabre. Son énonciation en début de palabre constitue une présentation dunzontsi. En effet,

La prise de parole dans une assemblée exige de se présenter à ses interlocuteurs en énonçant son nom, celui de son père et de sa mère, son clan paternel et maternel et sa devise si on en porte une. Nza-Mateki (2005 : 8).

Cette présentation permet aux personnes présentes d’identifier très rapidement celui qui parle. Cette énonciation peut suffire à changer les positions des interlocuteurs quand ils s’aperçoivent d’un lien familial quelconque avec l’orateur.

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125Nza- Mateki les considèrent comme des instruments du débat traditionnel, c’est par eux que les énonciateurs parviennent à trouver un consensus lors de ces échanges.

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Moment au cours de l’exécution de la palabre pendant lequel les membres les plus importants ou les plus âgés se retirent pour prendre une décision ou revoir la stratégie argumentative de leur porte-parole. Il peut y avoir plusieurs au cours de la même palabre.

. Ces conseils lui permettent de revoir ou de maintenir sa stratégie argumentative. Demander au nzontsi de déclamer sa devise au cours de la palabre c’est le valoriser en lui donnant l’occasion de dire sa louange.

L’énonciation de la devise prend ainsi une valeur d’encouragement à l’endroit de l’énonciateur. La plupart du temps, cette invitation est une façon de lui montrer qu’on apprécie ses propos. C’est aussi pour l’énonciateur le moment de s’affirmer vis-à-vis de ses interlocuteurs. En effet, dans ces cas-là ce sont les vers plus élogieux de leur devise qu’ils choisissent de dire.

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4.2.2 Contextes ordinaires

Nous entendons par contextes ordinaires, toute énonciation de la devise en dehors des cérémonies liées à des évènements particuliers et des manifestations rituelles. Ces moments de production ordinaires sont plus nombreux que les moments solennels car ils interviennent plus régulièrement. Cela peut être au moment de l’arrivée au corps de garde, au moment de la rencontre entre deux personnes qui se connaissent ou au cours de toutes autres activités communautaires. Ces deux derniers aspects font qu’il n’y ait pas de cadre spatial spécifique défini à la déclamation de ce genre.

4.2.2.1 Le corps de garde

La déclamation de la devise dans le corps de garde se fait principalement au moment de l’arrivée au village. En effet, tout étranger qui arrive dans le village se doit de passer par ce lieu pour saluer les anciens et recevoir le droit de séjourner chez eux. Comme dans le cadre de la palabre de mariage et de deuil, ils sont invités à se présenter en citant les éléments déjà énoncés plus haut.

Cependant, dans les faits cette pratique n’est pas toujours vraie car même si elle persiste dans certains villages punus, elle a perdu son caractère formel.

La personne qui arrive dans le corps de garde peut être saluée par une demande d’énoncer sa devise. Par cet acte, les différents interlocuteurs s’enquièrent de l’état des uns et des autres : « il est facile de se rendre compte de l’humeur d’une personne par la réponse faite au moment de l’invitation à dire sa devise ». Mickala Mouity (entretien : 2011).

Cette façon «d’annoncer les couleurs de la journée » peut aller jusqu’au refus catégorique de cette invitation. Par la réponse faite à une demande d’énonciation de la devise, on peut saisir le type de relation ou les sentiments nourris à notre endroit par nos congénères.

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4.2.2.2 La rencontre entre deux personnes qui se connaissent

Rappelons que la devise est perçue avant tout par les Punu comme un pseudonyme. Il n’est pas rare que ce pseudonyme prenne l’ascendant sur le nom qui finit parfois par disparaître127