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Texte 2 : résumé de l’épopée réalisé par Kwenzi Mikala

5 Forme et Fonctions de la devise

5.1.3 Expressivité de la devise

Comme nous l’avons souligné dans le chapitre précédent, la devise chez les Punu est un genre essentiellement parlé qui peut avoir recours à la gestuelle et à la mimique pour renforcer les propos de l’énonciateur mais l’expressivité est portée essentiellement par la métaphore et l’hyperbole.

5.1.3.1 Métaphore

On observe au regard des textes produits que les énonciateurs des devises manipulent la langue avec beaucoup de dextérité. L’un des objectifs qu’ils ont à cœur est de séduire ou d’éblouir l’auditoire dans le cas de la palabre par exemple, ils puisent donc dans le lexique toutes les ressources nécessaires à la création de leurs devises. Par la même occasion ils se définissent de la meilleure façon.

A l’image du maabo «griot» chez les Peuls, l’énonciateur de la devise exerce un travail considérable sur la langue. De même que le maabo « met en œuvre les procédés

stylistiques de son choix pour ciseler en quelques mots une image de marque qui désormais identifiera aux yeux de tous le personnage ainsi désigné » (Seydou (1997 :

99) il use de plusieurs procédés stylistiques pour réaliser son auto-louange.

La métaphore est le procédé de prédilection de la devise. Rappelons que la métaphore est une figure de rhétorique qui « consiste à présenter une idée sous la forme

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Figure d’analogie, elle produit des rapprochements de sens et d’images soit par transfert, soit par substitution. Dans le cas de la devise, la métaphore constitue une sorte de substitution identitaire. En effet, comme on a pu le voir déjà, la devise repose sur un symbole issu du monde animal, végétal etc. Le choix de ce symbole substitue l’objet du discours c’est-à-dire l’énonciateur au symbole même, de telle sorte que l’énonciateur s’identifie au symbole

Exemple n°40 :

Ivunde yi tsoli: l’aîné des oiseaux

Ìvùnd 135 tsólì

Le grand des oiseau

páwàpúrúmûɣ ùwódɔ̀d

Si tu ne t’envoles pas Tu ne vas pas picorer

Le roi des oiseaux

Si tu ne t’envoles pas, tu ne te nourriras pas

Le recours à la périphrase «le roi des oiseaux» prend ainsi une valeur métaphorique dans la mesure où elle évoque de l’objet qu’elle représente une qualité implicite qui ne saurait lui être attribué autrement : en choisissant de s’identifier à cet oiseau, l’énonciateur se substitue à celui-ci et s’approprie les qualités qui sont les siennes, illustrant ainsi les propos de Michel Meyer (2008 : 71) : «la métaphore est la substitution identitaire par

excellence puisqu’elle affirme que est A est B».

Dans notre exemple, l’énonciateur (A) s’identifie puis se substitue au symbole «le roi des oiseaux» (B). Ce phénomène de substitution «A égal B» se vérifie pour quasiment l’ensemble des devises personnelles qui sont construites sur ce modèle.

Par ailleurs, cette substitution établit une relation de connivence entre les différents interlocuteurs. Comme nous l’avons évoqué dans le schéma représentant le fonctionnement polysémique des devises, c’est grâce au contexte énonciatif et culturel qu’il est donné aux

135 Ce mot signifie ‘’grand’’ ou ‘’aîné’’. Cependant, tenant compte des explications du porteur de cette devise, nous l’assimilons au terme de ‘’roi’’.

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interlocuteurs de cerner la portée symbolique des devises et par la même occasion de la métaphore.

En effet, saisir le sens des devises exige, comme nous l’avons déjà dit, un décodage symbolique des images poétiques. La relation de connivence entre les interlocuteurs réside en ce que chacun, par le biais de leur connaissance de la culture possède une clé d’accès au sens des textes énoncés.

La métaphore dans la devise se présente en outre comme un « détour métadiscursif ». En effet, leur charge symbolique entraîne l’auditeur à rechercher la signification symbolique du discours. C’est l’expression imagée qui est l’essence même du discours. De ce fait, nous pouvons affirmer que la devise procède d’un langage fortement codé.

Exemple n° 41 :

Má là pâɣ : J’ai vu le doute

Màlà pâɣ mâmbù

J’ai vu doute problèmes

nìnə̀ díwùm dì bâtù nà bâtù bàɣánù,

J’ai dix personnes avec cinq personnes

núŋgí nìkɛ́lì

plantation je garde

J’ai vu le doute, j’ai quinze personnes à ma charge, c’est une plantation que je garde.

Si on perçoit de prime abord dans cette devise l’inquiétude d’une personne qui a à sa charge une famille nombreuse, d’autres niveaux d’interprétations se donnent à lire en recherchant au-delà du sens premier. En effet, par cette devise l’énonciateur témoigne d’une certaine force. Contrairement à ce que l’on peut penser au début, ce texte montre que cet énonciateur est doté d’une capacité à garder des personnes. Signalons que chez les Punu, ceux qui ont à leur charge un grand nombre de personnes sont considérés comme des sages.

La métaphore se poursuit dans le texte au dernier vers. L’énonciateur assimile sa famille à une plantation. Là encore on serait tenté d’expliquer le thème du texte qui est le doute par cette métaphore car les plantations sont souvent soumises à diverses

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intempéries. Cependant, la plantation symbolise aussi l’assurance alimentaire et bien plus la fécondité, donc la perpétuation de la communauté.

Le langage fortement codé ne doit pas être compris comme une tentative d’obstruction du sens mais plutôt comme une façon d’y accéder. En effet, le sens des symboles est connu dans la culture. Ainsi, le coq renvoie au lien entre le monde des vivants et celui des morts car c’est cet animal qu’on sacrifie dans plusieurs cérémonies. Il est aussi offert comme présent pour sceller des amitiés ou alliances entre les familles. Par conséquent, les symboles peuvent être décodés par tous ceux qui ont une connaissance de cette culture. Il ne s’agit pas pour les énonciateurs d’opacifier le sens des devises pour le plaisir de le faire. Au contraire, ils considèrent que l’accès à tout sens est un dévoilement, comme plusieurs énonciateurs me l’ont affirmé.

Les devises de notre corpus présentent toutes un sens caché qui ne peut être saisi qu’à partir d’une recherche dans la société qui les produit. Au-delà des phénomènes observés ou présentés par les textes, le sens véritable est à décrypter.

Toutefois, le corpus présente quelques énoncés non figurés comme c’est le cas des exemples suivants :

Exemple n°42 :

Bíbûkù : Morceaux

váɣà díambù mútôŋgù múbûtàmb

rien histoire de complète sur terre

môtsú bíbû kù

tout est morceaux

Aucune histoire n’est complète sur la terre, toute histoire n’est qu’un assemblage de morceaux d’histoires.

147 Exemple n° 43 :

Dìsìŋg : Le filet

Dìsíŋgà áɣéβìɔ̀s íɣìɣì

filet Il ne laisse pas passer ordure

Le filet ne laisse passer aucune ordure.

Les deux exemples ci-dessus se présentent certes comme des proverbes qu’ils mettent en lumière des vérités d’ordre général mais leur sens ne pose pas de difficultés particulières de compréhension.

Cependant, les cas de devises non figurées sont rares, car l’objectif des locuteurs est de persuader, de dissuader, ou d’agir sur l’interlocuteur.

5.1.3.2 L’hyperbole

Figure de style consistant à exagérer l’expression pour produire une forte impression, l’hyperbole est la mise en relief d’une chose ou d’une idée. Dans le cas de la devise, elle apparaît comme une stratégie du performateur dans la déclamation des textes. Elle est ainsi la deuxième figure après la métaphore dans laquelle est exprimée la devise. Ce procédé s’établit à partir de deux étapes : une référentialisation, et un processus de valorisation, voire d’hyper-affirmation de soi par les énonciateurs.

Plusieurs genres de la littérature orale, en l’occurrence l’épopée et le conte exploitent l’hyperbole. Cette figure est utilisée pour créer un style emphatique : les auteurs grossissent les faits ou grandissent un personnage par une exagération qui tend vers l’impossible.

L’hyperbole est liée à la métaphore dans le cas de la devise. En effet, comme pour la métaphore, l’hyperbole se réfère à un symbole. Par conséquent, la référentialisation hyperbolique se construit à partir du symbole sur lequel repose la devise. Comme on peut le constater dans le corpus, ce symbole est souvent l’animal le plus grand, le plus fort ou le plus rusé ou l’arbre le plus difficile à abattre.

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Mùtsíétsíèndə̀

Exemple n° 44 :

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ùwâ ng, ùwâ ng ìβɔ́ɣ làndílɛ̀ɛ̀137

abattre, abattre, difficulté

Abattre est une chose, arpenter l’arbre couché en est une autre.

En s’appropriant les caractéristiques de cet arbre qui est difficile à abattre, l’énonciateur se déclare invincible, ce qui, nous le savons, n’est pas un attribut humain. Par cette référentialisation, c’est sa personne qui est grandie et ses capacités à résister sont exagérées.

L’utilisation de l’hyperbole par les énonciateurs a une incidence sur la longueur et la forme du discours. En effet, dans leur désir de se caractériser du mieux possible, les énonciateurs n’hésitent pas à recourir à l’accumulation de substantifs qui rallongent l’énoncé comme on peut le voir dans l’exemple suivant :

Exemple n° 45 :

Kang tag : le gravelot à front blanc

mw ɛ̂ndù βàdʒúl dìmânì

marche au-dessus rocher

ùràmb ùwóràmb

piéger tu ne pièges

pas

ùkùɲûuŋgìl kúɲûŋgìl

tu envies pour envier

dìwàndzì βà ndzîl

bosquet sur chemin

pùŋg atsìmúbɛ̀ɣ

vent l’a emmené

dʒénù bɔ́ŋgànù mìkwàtì na mwìimbi

vous autres prenez machettes avec haches

nândi mbó 138 mbó

136 Mùtsítsíndə̀ est le nom que l’on donne à un arbre que l’on retrouve dans les forêts de la Nyanga. Il a la particularité d’être difficile à abattre et de porter des épines ce qui le rend inutilisable pour la construction. Nous n’avons pas trouvé d’équivalent en français.

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sur lu cognez avec cognez

mùlìtsì ŋgâtsì kùsù

Celui.qui mange

noix de palme perroquet

mùbɛ́ŋgìtsì mûnù mîiŋgì

le rouge bouche pigeon

dìdzèmbì àkyέn rànds mîisù

Potto de bosman

fait grossir yeux

dʒènu wâ mwîr ùmát ik mùmbòlôoŋgù ?

vous aussi arbre grimper c’est aubergine ?

le gravelot à front blanc oiseau des rochers

sa scène de vie c’est le rocher tu ne peux y tendre un piège

tu ne pourras que l’admirer indéfiniment comme le nid sur le chemin

c’est le vent qui l’a emporté

prenez machettes et haches pour tenter de l’abattre c’est vain

le perroquet apprécie les noix de palme, mais c’est le pigeon qui se retrouve avec le bec rouge

et le potto de bosman a les yeux rouges

vous aussi l’arbre sur lequel vous voulez grimper c’est l’aubergine ?

L’individu qui porte cette devise se présente à la fois comme la piste sur le rocher, l’obstacle sur le chemin, celui qu’on peut frapper à l’aide de hâches et machettes sans réussir à le blesser. Cette accumulation le présente comme un être extraordinaire doté de supers pouvoirs qui le rendent invincibles. Ces substantifs dont l’accumulation ressemble à des couches de peinture accentuent les effets de l’hyperbole.

L’accentuation de l’hyperbole est en outre perceptible à travers un fait assez singulier. En effet, le gravelot à front blanc est un oiseau minuscule, cependant, l’abattre nécessite des moyens considérables comme on peut le voir au vers 6. Les chasseurs sont invités à prendre hâches et machettes pour l’atteindre, mais malgré cela, tous les efforts restent vains. Le rapport entre cet oiseau minuscule et les efforts demandés pour l’atteindre

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créent un chiasme qui se construit dans cet énoncé par une relation antithétique. En effet le rapprochement que l’on fait entre cet oiseau et les moyens mis en œuvre pour l’abattre exprime une opposition qui permet de lire un contraste. Ce chiasme est d’ailleurs renforcée dans les deux derniers vers à travers l’interrogation adressée à ses agresseurs. Le contexte de cette devise qui n’est autre que celui de la sorcellerie, pratique courante dans cette société. La personne qui porte cette devise déclare qu’elle est invincible et que ni la sorcellerie, ni, le mauvais sort ne peuvent l’atteindre. L’énonciateur rappelle à tous les membres de la communauté qu’il ne peut malgré sa faiblesse symbolisée ici par la taille du gravelot à front blanc constituer une proie pour ces derniers.

Ces référentialisations construisent l’identité du performateur et sont perçues dans le cas de l’exemple ci-dessus comme une démonstration de force. On peut aussi les considérer comme des étendards qui signalent un aspect de la personnalité de celui qui porte la devise.

5.1.4 Le processus de valorisation : l’hyper affirmation de