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Texte 2 : résumé de l’épopée réalisé par Kwenzi Mikala

4 Définition générique et performance de la devise « kûmbù »

4.3 Les interlocuteurs

. De fait, les gens qui se connaissent bien s’interpellent par leur devise lorsqu’ils se croisent dans la rue. Ainsi l’énonciation de la devise entre deux personnes qui se connaissent peut donc intervenir à n’importe quel moment et dans n’importe quel lieu. Inviter une connaissance à déclamer sa devise quand on le croise dans la rue, c’est une façon de le saluer et de prendre ses nouvelles. Ce type de salutation suppose aussi une familiarité entre les deux interlocuteurs.

En dehors de ces moments de rencontre, la déclamation de la devise peut aussi intervenir au cours d’une activité physique, sociale ou culturelle quelconque. Lorsque cette déclamation intervient pendant qu’on pratique une activité qui exige une certaine adresse ou de la force, la devise est dite pour saluer les prouesses du détenteur de la devise. C’est une façon particulière de flatter son égo.

Cependant, énoncer une devise n’est pas quelque chose d’anodin. Même si les individus sont très proches, les textes sont dits selon un protocole précis. (Voir infra). De même, le droit d’ainesse, le sexe, l’âge et bien d’autres critères font que toute personne ne peut pas demander à n’importe qui de déclamer sa devise.

De par son contexte historique, à savoir la guerre, la devise chez les Punu était considérée comme l’apanage des hommes. En effet, les femmes ne pratiquant pas la guerre, elles ne pouvaient en avoir une. Pendant longtemps, elle a été prise en société punu comme un genre essentiellement masculin.

Porter une devise, c’était à la fois exprimer sa masculinité et sa maturité. En effet, la devise marquait l’accession à un autre stade dans la société. Selon Florent Makita, les jeunes qui avaient par exemple reçu une devise de leurs parents ne pouvaient la dire que

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lorsqu’ils étaient capables de saisir le sens de chacun des vers qui la composent appelés

mikàk. Etre capable d’expliquer la symbolique de son kûmbù et de donner le sens de ses mikàki pour un jeune c’est obtenir le droit de la déclamer en toute légitimité et par la

même occasion devenir un homme aux yeux des membres de la communauté.

Aujourd’hui encore, dans des villes comme Moabi, Tchibanga et les villages environnants, tout homme se doit de porter une devise pour ne pas être la risée des autres. Cette situation qui était quelque chose de très formel dans la tradition est résumée par un proverbe en ces termes:

Dibál

Exemple n°33 :

áɣan kûmbù muɣatsi bámbatsì

Homme qui n’a pas devise femme des autres

Un homme sans devise est la femme des autres

Ce proverbe justifie le caractère typiquement masculin attribué aux devises pendant longtemps. Cependant, les mutations de la société et des pratiques qui lui sont liées font que la devises aussi soit dans sa pratique l’objet de changements.

En effet, on rencontre de plus en plus de femmes qui portent un kûmbù en société

punu. Même si elles sont peu nombreuses 128

128Seulement quatre devises de femmes ont étés recueillies dans le cadre de ce travail sur les cent onze devises personnelles qui constituent le corpus.

contrairement aux hommes, elles revendiquent aussi le droit d’exprimer leurs points de vue à travers ce type de discours. C’est pour elles un moyen de contestation et de revendication face aux maux de la société aujourd’hui. Parmi les thématiques abordées dans leurs devises, le mariage et les difficultés qui y sont associées occupent, une grande place. Comme on peut le voir dans les exemples ci-dessous, trois sur les quatre devises de femmes dans le corpus renvoient à cet univers :

129 Exemple n° 34 : kás dʒi úrɔ̀ond démangeaison de aimer La démangeaison souhaitée Exemple n° 35 : Mɛ̂ múndzìy βá dî mbw'ɛ́ ɛ̀ɛ̀

Moi brindille à la maison

Je suis la brindille dans la maison

Le premier exemple cité est l’une des devises les plus répandues chez les femmes. Elle est même parfois reprise comme une maxime pour expliciter les difficultés liées au mariage. En effet, toucher une plante urticante, c’est prendre le risque de subir une crise de démangeaisons. Comme pour cette plante, s’engager dans la vie conjugale c’est avoir le courage de supporter toutes ses contraintes. En l’occurrence pour la femme interrogée ici, c’est le manque de reconnaissance de son époux et de sa belle-famille qu’elle dénonce. Obligée en quelque sorte de le vivre car elle respecte les engagements de son mariage, les femmes étant des «paniers troués » dans cette communauté, c’est-à-dire qu’elles ne retiennent que ce qui est bon pour l’équilibre de la famille.

Le deuxième exemple va dans le même sens, il s’agit de la devise d’une femme qui vit dans un foyer polygamique. Ce qui est marquant dans celle-ci est le fait qu’elle ne met pas en valeur celle qui la porte. Au contraire, elle la présente comme une brindille, c’est-à-dire quelque chose de minuscule qui passe donc souvent inaperçue. Nous pouvons toutefois y voir une stratégie pour mieux contester l’attitude négligente de l’époux, voir même dénoncer celle des coépouses qui ne sont pas toujours agréables à vivre dans ce type d’union.

Par contre, les deux autres devises de femmes abordent elles, des thématiques plus générales :

130 Exemple n° 36 : pàbô Ndéútsítùmùn mêénù Si tu provoques moi Ngà wùɣàŋgìl Je te tiendrais

Si tu me provoques, je te montrerai que je suis capable du pire

Exemple n 37:

Mùwúrə̀ : ce qui est usé par la durée

ìmôɣə̀ bàbàléé,

passe-temps garçons

mùɣɛ̂ tù nùŋɡiéé,

femme plantation

màdʒek mûsàfuéé

point de naissance des branchages

de safoutier129

mâmbə̀ àɣà mùbànduéé,

l’eau n’est pas appropriation

tsǔ ŋg àɣà dìkùɣé

cigarette n’est pas satiété

ùkùβɔ̂l, ùkùβɔ̂l, ùwóɣùkúɣ

tu vas fumer, tu vas

fumer,

tu ne te rassasieras pas

Le passe-temps appartient aux hommes, la femme est une plantation,

c’est le point de naissance des branchages du safoutier. On ne s’approprie pas l’eau.

La cigarette ne rassasie pas,

Tu auras beau fumer, tu ne te rassasieras jamais.

On constate que contrairement aux devises précédentes, celles-ci renvoient chacune à des univers divers. La première apparaît comme une démonstration de force, ce qui peut être étonnant de la part d’une femme. La deuxième devise célèbre en quelque sorte la femme car comme on peut le voir au deuxième vers elle est assimilée à une plantation. Pour ce peuple d’agriculteurs, la plantation représente pour certaines familles le plus grand

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bien qu’elles possèdent. En outre, planter constitue leur moyen de subsistance, c’est donc considérer la femme comme le pilier de la famille. Il est important de signaler ici que cette devise est à l’origine celle d’un homme. L’énonciatrice l’a héritée de son père, comme lui et les autres membres de cette famille, elle perpétue cette philosophie.

4.4 Interdits

Au regard des éléments évoqués dans les points précédents, on peut affirmer que la devise n’obéit à aucune exigence par rapport à la performance. Il n’y a d’interdits ni de temps, ni de classe, d’âge ou de sexe. De même, il n’y a pas de lieu privilégié pour la profération du kûmbù. Tout le monde peut énoncer une devise sans risquer de braver un interdit sauf s’il s’agit de devises initiatiques.

Cependant, comme nous l’avons déjà dit, sa profération ne se fait pas de façon désordonnée. Un enfant ne peut pas demander à un adulte de déclamer sa devise. Le droit d’aînesse exige de s’adresser d’une façon particulière aux adultes car ils n’appartiennent pas à la même classe d’âge. En outre, même lorsque deux personnes qui se connaissent bien se rencontrent, elles prennent souvent la peine de s’arrêter, de se saluer avant de dire leur kûmbù.