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Dénominations, importance et hiérarchisation de la parole chez les Punu

2 Dire l’oralité chez les Punu

2.1 Dénominations, importance et hiérarchisation de la parole chez les Punu

caractérise ces sociétés, on peut relever des spécificités dans chacune d’elles. Chez les Punu, plusieurs critères rentrent en compte dans cette classification mais nous insisterons sur un point essentiel, à savoir la parole, nous montrerons son importance et les fonctions des productions qui en découlent.

2.1.1 -Dénominations

L’on désigne par « oralité » le mode de civilisation des sociétés dans lesquelles le patrimoine verbal est un élément essentiel de la culture. Dans ces sociétés, les traditions sont

49B.Minko Mve et S.Nkoghe, Mondialisation et sociétés orales secondaires gabonaises, Paris, l’Harmattan, 2005, p.14.

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On peut la définir comme « la somme des données qu’une société juge essentielles, retient et codifie principalement sous la forme orale, afin d’en faciliter la mémorisation et dont elle assure la diffusion aux générations présentes et à venir ». B.Minko Mve et S.Nkoghe (2005 :15).

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transmises de bouche à oreille. Ce mode de communication est le fait d’un choix délibéré plutôt que le résultat d’une incapacité à accéder à l’écriture. La parole occupe une place primordiale dans la société et peut être considérée comme inhérente à celle-ci, elle est bien au-dessus d’un simple ‘’acte naturel’’ tel que le fait de marcher.

C’est une fonction non instinctive, acquise, une fonction de culture. Si l’individu parle, communique son expérience, ses idées, ses émotions, il doit cette faculté au fait qu’il est né dans une société. 51

En premier lieu c’est le vocable «mbémbù» qui est utilisé. Cette expression renvoie à la fois à la notion de « langue » dans le sens de « ensemble de signes spécifiques aux membres d’une communauté servant de moyen de communication »

On ne peut donc pas dissocier ces deux réalités que sont parole et société. Dans beaucoup de ces sociétés africaines c’est le fait de parler et de manier la langue qui caractérise l’être humain. Celui-ci se définit d’abord par la référence à la parole. C’est d’ailleurs un des éléments qui permet à Paulette Roulon-Doko (2008 :35) de distinguer les sociétés africaines des sociétés occidentales qui elles privilégient « la référence à la raison, à la pensée […] comme en témoigne le ‘’je pense, donc je suis’’ de Descartes »

Le fait de parler chez les Punu se dit « Uvòs ». Dans cette communauté, la parole revêt plusieurs formes d’expression. Plusieurs termes désignent la parole.

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, et en même temps de « voix » considérée comme « l’ensemble des ondes sonores produites dans le larynx par la vibration des cordes vocales sous la pression de l’air subglottique53

Ce terme renvoie aussi à la notion de parole entendue comme « la faculté de s’exprimer dans un langage articulé et une chose dite par quelqu’un à laquelle on accorde une valeur » 54 51 DUBOIS.J et alii (1994 : 346)

52Saussure (F.de) cité par Andeme Marie France, Séminaire de linguistique générale DUEL I et II, Université Omar Bongo, 2004-2005 et 2005-2006.

53 Dubois.J et alii (1994 : 509)

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C’est aussi le terme « mbémbù » que le révérend Père Joseph Bonneau 55

* « munu » : au sens premier, il désigne la bouche (organe). Il peut être aussi employé

pour désigner les paroles qui sortent de la bouche des locuteurs. Ainsi, il est synonyme de la ‘’version’’

utilise pour désigner la parole dans son lexique Punu- Français, puis Français-Punu.

En dehors de la notion générique de «mbembu », il en existe d’autres qui lui sont proches et qui prennent le sens de « parole » selon le contexte d’utilisation. Ce sont entre autres les expressions suivantes :

* « igumà » : ce terme renvoie à une parole profonde, celle qui touche. On a ici l’idée

d’un argument incontestable et qui fait autorité. Lorsqu’un ancien prend la parole au cours d’une cérémonie, si celle- ci vient trancher des avis controversés ou apaiser des tensions, on dira par exemple « ah ça c’est la parole : a´ yineIguma ».

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C’est donc tout naturellement que les locuteurs du yipunu emploient ce terme pour évoquer la notion de parole. Une parole qui a valeur d’avis, d’indications données à quelqu’un pour le guider. En somme, c’est une recommandation, un conseil.

d’un récit. Cela montre l’association entre la parole et la personne humaine, la parole étant considérée comme une production mettant en scène plusieurs organes du corps humain. C’est à ce titre que les Punu considèrent que la meilleure parole « mû lə̀ » ou la bénédiction doit venir du cœur « mùrím ».

* « dilongu » : on utilise constamment ce vocable pour désigner le dialecte régional

parlé par les individus, nous l’assimilons au terme parole par rapprochement à « mbembu » qui renvoie à la langue. J. Dubois et alli (1994 :143) définissent que :

Par opposition à la langue, le dialecte est un système de signes et de règles combinatoires de même origine qu’un autre système considéré comme la langue, mais n’ayant pas acquis le statut culturel et social de cette langue indépendamment de laquelle il s’est développé.

55Le révérend père Joseph BONNEAU fut missionnaire de la congrégation du Saint-Esprit. Pendant son séjour au Gabon il entreprit d’étudier la langue yipunu d’abord pour les besoins l’évangélisation de la population puis s’intéressant à la culture, il publia des monographies sur cette communauté. C’est en 1956 qu’il fit édité par les Mémoires de l’Institut d’Etudes Centrafricaines de Brazzaville sa Grammaire pounoue et lexique

pounou-français.

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Ce mot a deux sens ici, premièrement « chacun des divers aspects que peut prendre un même texte », deuxièmement « manière de raconter, de rapporter, d’interpréter un fait »

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2.1.2 Importance de la parole

La parole occupe une place centrale dans la vie des Punu, elle est au cœur de leurs activités et de leurs échanges, ils en font le ciment de leurs liens sociaux. Cette parole est polysémique et remplit plusieurs fonctions.

C’est avant tout un instrument de communication, d’échange et de partage social. Elle revêt un caractère pédagogique car tout enseignement passe par des rapports sociaux. L’acquisition de la langue ainsi que les différents apprentissages passent par ce biais. L’éducation des enfants en milieu rural par exemple s’appuie sur des jeux verbaux dont le but est à la fois d’amuser et d’enseigner. Nza-Mateki 57

Les Punu lui reconnaissent une dimension performative, c’est-à-dire qu’ils considèrent qu’elle exerce un pouvoir sur l’autre ; c’est un véritable instrument d’action sur autrui au sens de John .L Austin.

(2005 :11-12) dans son ouvrage consacré aux pratiques culturelles dans les villages punus déclare :

L’acquisition de la langue et la formation de l’esprit de l’enfant dépendent de divers modes d’expression au premier rang desquels se trouve l’expression orale (…) le jeu traditionnel favorise la socialisation de l’enfant par l’apprentissage de la langue, l’éveil de l’esprit, le respect des règles, le développement de la mémoire (…) c’est un moyen d’appropriation des connaissances instrumentales de base.

Il est donc formellement établi qu’à travers les différentes productions langagières, la parole se fait instrument pédagogique et concoure à la formation de l’individu au sein de son groupe.

En plus de cette fonction pédagogique, la parole joue un rôle de régulation et contribue par exemple à modifier la dynamique du travail (cas des chants de chasse ou de pêche etc.).

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57De son vrai nom Martin Nzamba Nza- Mateki est un enseignant de formation, il a travaillé pendant de nombreuses années à l’inspection académique de Libreville. Il est co-auteur de manuels scolaires. Peu de temps avant de prendre sa retraite de l’éducation nationale il a entrepris l’écriture d’ouvrages sur la littérature et les pratiques sociales chez les Punu dont les plus connus sont Contes et débats traditionnels chez les Punu et

Pratiques culturelles au village.

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Philosophe anglais, auteur de How to do things with words (1962). Dans cet ouvrage il élabore sa théorie des actes du langage. Elle stipule qu’un énoncé est performatif lorsqu’il ne se borne pas à décrire un fait mais qu’il fait lui-même quelque chose sur les différents protagonistes.

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Cette force de la parole est aussi attestée dans d’autres sociétés africaines comme le disent Paulette Roulon-Doko au sujet de la parole chez les Gbayas : « C’est une force vivante

qu’il faut contrôler » 59

Il convient donc de gérer cette parole qui d’une certaine façon exerce une emprise sur les individus, ce qui la positionne à la base de tous les actes rituels dans la société punu. Elle est donc ‘’sacrée’’ ou liée à tout ce qui est sacré, c’est elle qui porte la cosmogonie punu et se fait support des origines comme dans la plupart des sociétés africaines. Ce sujet a récemment été abordé par Georges Balandier dans une interview

et Sandra Bornand au sujet des Zarma du Niger, la parole : Rythme chaque activité et transmet le savoir local (technique, magico, religieux, historique). Ce qui est recherché quelle qu’elle soit (comme les rites et les règles qui l’accompagnent), c’est d’exercer une action sur l’individu. (2005 : 86)

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