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Texte 2 : résumé de l’épopée réalisé par Kwenzi Mikala

4 Définition générique et performance de la devise « kûmbù »

4.1 Essai de définition et de catégorisation de la devise

4.1.1 Devise clanique

. Ce nom ne figurant pas dans l’acte d’état civil de ceux qui le portent, nous jugeons plus judicieux de le rapprocher du surnom. Ce dernier à la particularité d’être un nom qui ‘’parle’’, c’est –à-dire qu’il constitue une ligne de conduite pour son porteur, voire même l’expression de sa vision du monde. De ce qui précède, il est évident qu’au sens large, la devise recoupe partiellement la nomination. Cependant, nous n’aborderons pas ce volet car il dépasse le cadre de ce travail. On distingue deux types de devises en société punu : les devises claniques et les devises individuelles. Ces textes sont reconnus par l’ensemble de la société et se distinguent par des spécificités que nous allons donner dans la suite de ce chapitre.

L’adjectif ‘’clanique’’ fait tout de suite comprendre qu’il s’agit ici de traiter de devises qui concernent les membres d’un même clan. Chaque clan punu en arbore une, ce qui limite le nombre de devises claniques à neuf. En effet, la société distingue, en fonction de la séparation

112 A la question « qu’est-ce que le kûmbù pour vous et pour l’ensemble de la communauté punu ? », nos interlocuteurs nous ont souvent répondu que pour eux c’est un nom, un sobriquet ou pseudonyme. La formulation ci-dessus nous a été énoncée par Mickala Mouity, elle a particulièrement retenu notre attention en ce sens car elle montre bien que la distinction est clairement établie entre le nom qui figure dans leur état-civil et la devise.

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des groupes au cours des migrations, neuf clans, comme nous l’avons indiqué dans le premier chapitre.

La première personne à s’intéresser à la devise clanique chez les Punu est Monseigneur André Raponda Walker. En effet, dans son ouvrage intitulé 1500 sermons,

devises et cri de guerre, il présente les devises claniques de plusieurs groupes ethniques sans

pour autant en faire une analyse. Sur la base des textes qu’il avait recueillis, nous nous sommes interrogées sur les spécificités de la devise clanique.

A la différence de ce que nous avons dit plus haut, la devise clanique ne peut pas être considérée comme un nom à part entière dans le sens où le définirait l’état civil. En effet, elle se présente sous la forme d’un énoncé plus ou moins bref dont le contenu diffère d’un clan à l’autre.

C’est un texte au style formulaire qui célèbre les ancêtres en amplifiant parfois leurs faits et les principaux évènements ayant marqué la vie et la mémoire de ceux-ci. Ainsi, elle permet à chacun des clans de se distinguer par rapport aux autres et met en valeur les qualités de celui-ci.

Les devises claniques dérivent soit d’une référence aux ancêtres, aux fondateurs du clan, au nom de leur premier village soit d’un rappel des prouesses ou faits merveilleux arrivés dans les temps anciens.

Ces textes reposent sur de nombreuses exagérations et amplifications dont le but est de valoriser avant tout les ancêtres mais aussi l’ensemble du groupe.

L’art de la guerre est souvent un motif de ces devises. En effet, comme nous l’avons dit dans le premier chapitre au sujet de la guerre, il appartenait à chaque clan de développer des techniques et moyens pour exceller dans ce domaine. Trois devises sur les neuf qui composent le corpus de devises claniques renvoient à cette activité qui autrefois était importante dans la vie des hommes punus. Ce sont en l’occurrence celles des clans Bumweli, Dibamb kadi etDidjab :

104 Dìbàmb

Exemple n° 18 :

kâ dì113 Dìbàmb kâ dì

Cri de guerre (reprise du nom du clan)

Dìdʒáb Exemple n 19 : mìkwâl Didjab de Mikwalu ìsàmbwâl yìbâtù ìmàrâŋg ná kàm Sept de personnes ils se sont battus avec milles

Didjab du village Mikwalu. Sept personnes qui se sont battues avec des milliers.

Comme on peut le voir dans les exemples précédents, ces devises mettent en avant le caractère farouche et invincible des guerriers que sont les ancêtres de ces clans.

Par ailleurs, la devise clanique peut être considérée comme un document à caractère historique. En effet, il est possible de retracer le parcours de certains clans des origines à leur installation définitive dans le sud du Gabon grâce à leurs devises. Celles-ci, rattachées à des légendes recueillies et transcrites pour la plupart notamment par Monique Koumba Manfoumbi et Christian Makaya Mboumba, donnent une idée d’ensemble ou relatent un épisode de la grande migration du peuple punu. S’agissant de notre expérience personnelle, notre quête d’informations et d’éclaircissements des devises claniques nous a conduit à enregistrer un épisode du récit de migration. En cherchant à connaître les raisons du choix de la devise du clan Budjal qui est la suivante :

105 Bùdʒàl

Exemple n° 20 :

bàwàal màtôwù

Budjal étendre les nattes

Les Budjal, ceux qui étendent des nattes

Les informateurs nous ont plutôt renvoyés au récit de migration du groupe punu. Face aux obstacles qu’ils rencontraient, les Punu devaient faire appel à des qualités physiques et spirituelles particulières. C’est ce qui s’est passé avec ce clan qui réussit à faire passer l’ensemble de la communauté de l’autre côté du fleuve Congo. A l’aide de nattes, ce clan fit un pont sur le fleuve qui permit au reste du groupe de traverser à pieds secs.

De même, la devise clanique offre la possibilité de reconstruire la généalogie des membres d’un même clan jusqu’à l’ancêtre fondateur dont le nom est évoqué ou clairement cité dans le texte. C’est le cas pour le clan Bumweli. Le nom de son fondateur, Mweli, est évoqué au premier vers de la devise.

Partant de cette observation, on peut considérer la devise clanique comme une archive de la mémoire114. Le rappel des généalogies, l’inscription d’un passé commun dans les textes et l’évocation des faits historico-sociaux accomplis par les ancêtres justifient ce point de vue. Cette archive a un caractère vivant car elle est proférée, recréée et actualisée par les différents énonciateurs.

Si les devises claniques sont majoritairement bâties sur des formules de revendication de quelques qualités propres à chaque clan ou sur les vertus dans lesquelles les membres de ces clans excellent, deux devises sont néanmoins construites à partir de termes réducteurs car ce sont les seules devises qui ne valorisent pas le clan. Ce sont les devises des clans Basumb et Baghambou dont nous donnons les exemples ci-dessous :

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Nous avons eu l’occasion de développer cet aspect de la devise clanique au cours du congrès biennal de l’Association Pour l’Etude des Littératures Africaines qui eut lieu les 26, 27 et 28 septembre 2013 à Bordeaux. Le congrès était accueilli par le Laboratoire des Afriques dans le Monde, UMR 5115 du CNRS, le thème retenu ‘’ Archive-Texte-Performance’’ a permis de faire dialoguer les disciplines qui donnent aux textes et à l’archive une place importante.

106 Bàsùmb Exemple n° 21 : 115 Basumb Bàsùmb ŋgâatsì màlàmù

Ils achètent noix de palme avec vin de palme

Ceux qui achètent des noix et du vin de palme

Bàɣámb

Exemple n°22 :

bámáɣâ mb ná byòtsù

Bajambou Ils ont manqué avec tout

Baghambou, ceux qui manquaient de tout

Elles font exception, celle des Baghambou apparaît comme une lamentation. Il n’est pas question d’exhiber quelque talent ou prouesse ici. Dans le même ordre d’idée la devise des Basumb parle d’un achat qui serait selon nos informateurs celui de leur ancêtre, qui d’après des légendes, se serait fait acheter et se voir réduit en esclavage pour des noix et du vin de palme.

Ces deux évocations à partir de termes réducteurs, voire peu élogieux permet de faire une lecture des rapports entre les clans. Il semblerait que certains soient considérés comme supérieurs aux autres. Ces deux clans sont situés plus bas dans l’échelle sociale.

A l’opposé, on constate un désir d’affirmation de soi dans les exemples suivants :

Bàsùmb

Exemple n° 23:

116

Basumb

Bàsùmb ŋgâatsì màlàmù

Ils achètent noix de palme avec vin de palme

Ceux qui achètent des noix et du vin de palme

115Basumb ici renvoie au nom du clan tandis que dans le vers suivant il s’agit plutôt du verbe‘’acheter’’ au présent.

116Basumb ici renvoie au nom du clan tandis que dans le vers suivant il s’agit plutôt du verbe ‘’acheter’’ au présent.

107 Mwélì Exemple n 24: byàl Mwéli intronisé Dùmbùmb tâ adʒìbâ n gnângùl bìkùt

(completer) père des enfants défaire habits Bìrù bwâàng tsólì múvɛ̀ɛmb ? oiseau albinos

àmárôɣ mìkâ ambù bàmbâatsì myàand ɳgîitsì.

Il s’est réchauffé

cadres pour les autres pour lui interdiction

Mweli, celui qui a été intronisé pour défendre les enfants et les biens de la communauté. L’oiseau blanc qui a détruit les habitations des autres, les siennes sont intouchables.

La devise clanique a laissé de la place à la devise individuelle qui est aujourd’hui la plus utilisée. L’individu qui autrefois s’identifiait d’abord au moyen de sa devise clanique, le fait à présent beaucoup plus par sa devise individuelle. Toutefois, signalons que cet état des choses n’altère pas le statut des devises claniques dans la société punu. Elle reste un texte d’orgueil communautaire qui fait prévaloir les qualités des clans et qui renferme l’histoire de tous ceux qui lui reconnaissent une valeur sociale importante.

A travers ce fonctionnement, la devise clanique situe chaque individu dans un réseau complexe de relations sociales. Les Punu étant une société matrilinéaire, la transmission de la devise clanique se réalise par la mère, qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille.