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Par cette thèse nous avons pu concrétiser un projet entrepris depuis plusieurs années, nous confronter à un pan important de la culture punu, la devise, un sujet rarement étudié. Les quelques travaux que nous avons pu consulter à ce sujet dans d’autres sociétés africaines, notamment les Peuls, montrent la richesse littéraire de la devise. Notre étude chez les Punu a permis de le vérifier.

C’est donc au Gabon que nous avons collecté le corpus sur lequel nous nous basons. L’analyse ethnolinguistique nous a amené à répondre à l’une de ses exigences à savoir replacer les textes dans leur contexte de production. Ainsi nous avons procédé à une analyse des migrations et de l’organisation sociale ainsi que de la langue.

On peut retenir que les Punu sont originaires de l’Angola et de l’actuelle République Démocratique du Congo. Ce peuple qui a la réputation d’être particulièrement belliqueux, repoussa toutes les populations qu’il rencontra avant de s’établir au Gabon. Les Punu ont pour fiefs aujourd’hui les provinces de la Ngounié et de la Nyanga qu’ils partagent avec d’autres populations.

Suite à l’exode rural, on les retrouve aujourd’hui surtout le long de la route nationale et dans les grandes villes telles que Libreville et Port-Gentil. L’organisation sociale est basée sur un système de parenté dont le clan est l’unité fondamentale. On en compte neuf ayant chacun à sa tête un ancêtre. Le système de filiation est matrilinéaire.

La langue, le yipunu, est classée dans le groupe B sous le sigle B.43 par Guthrie, et dans le groupe ‘’Meryé’’ par Kwenzi Mikala. Elle couvre tout le pays punu. Elle est aussi parlée en dehors de cette aire géographique du fait de l’exode rural.

Ce travail a abouti à la fois à des conclusions qui répondent ou non aux hypothèses de départ et à des interrogations qui débouchent sur des perspectives d’étude nouvelles. En prenant la notion de performance comme critère permanent d’analyse, nous avons ainsi pu dégager un certain nombre traits qui permettent de mieux appréhender la devise en tant que genre littéraire.

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Grâce à l’aide matérielle et financière reçue de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales et du Laboratoire Langage Langues et Cultures d’Afrique Noire, nous avons constitué un corpus inédit de devises, ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent. Certes, il y a la publication de Monseigneur Raponda Walker (1993), mais celle-ci fait partie d’un ensemble consacré à plusieurs genres littéraires oraux issus de sociétés différentes. En effet, le nombre de devises punus dans cet ouvrage est infime (une dizaine), cet échantillon est donc sommaire et peu représentatif du genre pour pouvoir en faire une étude.

Notre corpus à l’avantage de présenter les énoncés, mais il contextualise également les devises par rapport aux personnes qui les portent, à partir des entretiens réalisés avec les différents informateurs.

Par ailleurs, nous avons situé la devise par rapport aux autres genres de la littérature orale punu. Genre bref, la devise est difficile à repérer en ce sens qu’elle relève au sens large de plusieurs domaines que nous n’avons pas abordés ici. Il s’agit entre autres de la salutation, la nomination etc. En outre, son utilisation dans des contextes variés tels que la guerre, le mariage et dans d’autres genres littéraires comme l’épopée fait qu’on soit tenté de la cantonner à ces seuls usages.

Ensuite, nous avons établi une définition de la devise chez les Punu en tant que genre littéraire en nous appuyant à la fois sur l’analyse des propriétés textuelles et sur celles qui relèvent de la performance. La devise, kûmbù est un surnom, accompagné d’un bref poème que l’individu déclame selon des contextes variés et dont la fonction première est de l’identifier.

La présente thèse a aussi permis d’identifier et de dégager les caractéristiques formelles de la devise et les caractéristiques du point de vue communicationnel. En effet, comme nous l’avons déjà énoncé, le kûmbù se présente sous la forme d’un terme-noyau suivi d’un énoncé plus ou moins long. Cet énoncé donne les traits définitoires choisis par l’énonciateur pour s’identifier et surtout se singulariser. La devise est précédée d’une

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formule stéréotypée que les interlocuteurs ne disent que s’ils ne se connaissent pas. Ainsi elle permet de voir les relations qui existent entre les membres d’une même communauté.

Au-delà de ces différentes caractéristiques, nous avons pu dégager les fonctions de la devise dans la société punu. Elles dépendent des contextes d’énonciation. En plus de l’identification, elle permet par exemple, en contexte de guerre, de décupler les forces du porteur et intimider l’adversaire. Au contraire, en contexte ordinaire, elle sert d’élément de communication entre les interlocuteurs. Elle sert à se saluer et à prendre des nouvelles les uns des autres, enfin, à prendre la parole en public.

Au terme de cette étude se dessinent les contours de problématiques nouvelles. En premier lieu nous nous interrogeons sur la relation entre le kûmbù et l’épopée : quel est le rapport entre genre bref et genre long. Il conviendrait par exemple d’analyser si la devise peut être considérée comme genre lorsqu’elle est utilisée dans l’épopée.

En second lieu, dans une approche pluridisciplinaire l’on peut s’interroger sur la portée psychologique de la devise. En effet, comme on a pu le voir, la devise permet à l’individu de se démarquer des autres membres de la communauté en se faisant accepter comme un être à part entière. Elle apparaît donc comme un espace de liberté ; probablement le seul espace de liberté d’expression pour l’individu. Se pose alors la question du rapport entre le «je» et la communauté. Il s’agira de se demander comment cette dernière se situe précisément par rapport à l’individu qui se particularise.

Il se dégage également, dans une perspective comparatiste, la question de l’existence de la devise dans d’autres sociétés proches ou plus éloignées.

En effet, ce genre est attesté chez les Fang Bulu et Béti du Cameroun. A ce jour, aucun travail n’est enregistré sur ce sujet. Donnée à la naissance de l’individu en même temps que le nom, la devise est considérée par les locuteurs comme une autre forme de nomination. Il s’agit d’un sobriquet qui permet d’interpeller l’individu à distance et de le

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définir de façon valorisante. Le sens de ces sobriquets est toujours à décrypter. La société reconnait des devises claniques utilisées par le tam-tam d’appel. 143

Ces quelques ressemblances et différences entre la devise chez les Fang Bulu et Béti144

En ce qui concerne les sociétés plus éloignées, les rapprochements que nous avons faits avec la société peule nous ont déjà permis de voir, à travers le travail de Christiane Seydou, que la devise est utilisée pour distinguer le héros épique et pour participer à l’expression de l’identité culturelle. A contrario, Abdoulaye Keïta montre à travers la poésie d’exhortation bàkku que la présentation de soi en contexte de confrontation (lutteurs) permet d’impressionner et d’intimider l’adversaire. C’est donc la notion de confrontation qui est mise en avant. Un futur travail pourrait se fixer pour objectif d’établir une typologie des devises par rapport à leurs formes, leurs utilisations et leurs fonctions ?

soulèvent des problématiques qui sont à approfondir.

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Entretien avec Marie-Rose Abomo Maurin (novembre 2014). Elle est auteure de plusieurs ouvrages portant sur la littérature orale.

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Bibliographie

Devise

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contes et récits traditionnels d’Afrique noire, Hatier, 1986.

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ONDO A, « Les noms étendards d’Angone Endong », in MVETT EKANG : Forme et sens.

L’épique dévoile le sens, l’Harmattan, Paris, 2012.

SEYDOU C, « La devise dans la culture peule : évocation et invocation de la personne »,

Langages et cultures africaines, François Maspero, Paris, 1977, pp.147-263.

RAPONDA WALKER A, « Les devises » in 1500 proverbes ; devises, serments, cris de

guerre et devinettes du Gabon .éd, les Classiques Africains, 1993.

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