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Les Turcs dans la confection du quartier du sentier à Paris : 22 jours d’actions protestataires.

et les politiques.

Pendant 6 mois, d’autres grèves de la faim apparurent dans toute la France 29 décembre 1972 : plusieurs travailleurs tunisiens à Marseille et à La Ciotat.

2. De la loi Bonnet du 10 janvier 1980 à la circulaire Deferre du 29 octobre 1981 : 9 mois d’actions

2.1. Les Turcs dans la confection du quartier du sentier à Paris : 22 jours d’actions protestataires.

L’exposé de l’action protestataire des Turcs dans la confection du quartier du sentier à Paris retrace l’histoire de l’une des plus grandes mobilisations de l’action des sans-papiers sur le territoire français. Cette action a abouti à une régularisation de tous les grévistes suite au même répertoire d’actions collectives utilisé durant les années 70.

Mes recherches m’ont montré qu’il existait deux types de travailleurs clandestins. Les premiers représentaient ceux qui étaient entrés de manière individuelle sur le territoire français afin de chercher du travail, et l’autre catégorie était celle organisée par le patronat. La Confédération française démocratique du travail (CFDT) s’est pour la première fois impliquée dans la lutte relative aux personnes étrangères et irrégulières : les clandestins.

257 La loi Peyrefitte à la portée de tous : https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/02/17/la-loi-peyrefitte- a-la-portee-de-tous_2706827_1819218.html

Cette implication syndicale dans la cause des sans-papiers est unique dans l’histoire française dans le sens où elle conditionnera dans les années à venir la scission entre syndicats aidant ou non les travailleurs sans-papiers. Pour la CFDT, avant même de considérer les sans- papiers comme étant irréguliers sur le territoire, il était important de les reconnaître en tant que travailleur.

Le refus de la CFDT, relatif aux conditions de régularisation proposées comme la date d’arrivée en France ou la durée de présence sur le territoire, a fait l’objet de controverses. La seule condition de régularisation des sans-papiers imposée par la CFDT aux pouvoirs publics à l’époque était le travail.

Le quartier du sentier n’était pas encore connu durant les années 1979-1980. On ne connaissait pas encore la population qui l’habitait dans la mesure où ces derniers effectuaient un travail illégal dans des confections258. C’est à la suite des durcissements effectués par le

gouvernement de Valery Giscard d’Estaing que les Turcs de ce quartier décidèrent de sortir de l’ombre pour la première fois. Déclencheurs de la grande grève des sans-papiers de 1980, les Turcs du quartier du sentier constituent un milieu très hiérarchisé, avec des mondes complètement différents des communautés ethniques. Le premier monde est celui des fabricants, qui sont la plupart du temps des négociants qui choisissent des modèles, pour ensuite répartir les commandes dans les ateliers au sein desquels vit le deuxième monde : celui des chefs d’ateliers et des travailleurs clandestins. Les chefs d’ateliers ont généralement été des clandestins avant d’être régularisés. Ces derniers sont plus connus comme étant des Yougoslaves, les populations venues dans le quartier du sentier avant les Turcs.

En ce qui concerne les déclencheurs de la grève de 1980, le mode opératoire des Turcs s’est consolidé au courant des mois précédents. En effet, leur première prise d’initiative s’est articulée en septembre 1979 au siège de la CFDT à Paris. Selon Marie-Noëlle Thibault, ancienne secrétaire générale de la CFDT, trois Turcs se sont présentés dans la permanence, se présentant comme représentants des travailleurs turcs clandestins du Sentier.

258 René Galissot (entretien avec Laure Pitti et Marie Poinsot), « Le mouvement ouvrier face aux travailleurs

Ils expliquèrent qu’ils allaient commencer une grève de la faim afin de protester contre la loi Bonnet. Ils demandaient le soutien de la CFDT259.

Je me suis intéressé à l’accord que la CFDT avait donné aux travailleurs Turcs car, pour la première fois, la lutte des sans-papiers allait prendre une ampleur importante grâce à la participation de la CFDT dans leur cause.

Les Turcs en question étaient étudiants et avaient émigré en France du fait de la répression politique en Turquie. Ces derniers faisaient un ensemble de petits métiers étudiants dans le but de financer leur séjour. Ils étaient également militants politiques turcs d’un groupe du nom de « Dev Vol ».

Se déclarant très proches du mouvement de la gauche révolutionnaire chilienne, ils se disaient marxistes, mais pas communistes orthodoxes, ce qui était important pour la CFDT. Le syndicat décida alors de se joindre à leur cause dans l’optique d’une régularisation effective.

La demande de régularisation touchait au moins 10 000 à 11 000 sans-papiers260. Le

répertoire d’actions collectives étant réfléchi puisque les Turcs avaient déjà contacté Michel Honorin261 chargé de réaliser un documentaire sur les ateliers de confection du sentier. Ce

dernier réalisa « French confection » qui devait permettre d’avoir un effet médiatique sur les travailleurs du Sentier : il s’en suivit une grève de la faim ainsi qu’un slogan portant le titre de « carte de séjour et carte de travail ». Le premier répertoire d’actions collectives lié à la projection du documentaire « French confection » fut un succès. L’impact souhaité a été obtenu. En effet, les personnes étaient sidérées de voir les conditions de travail dans le Sentier. Toute la presse en avait parlé, les syndicats avaient tout de suite pris parti. Les deux structures qui avaient à l’époque porté l’affaire étaient l’UD de Paris et le syndicat de Hacuitex.

259 Dominique Manotti, « Du militantisme à l’écriture tout en parlant de politique », Mouvements, n° 15-16,

2001/3, p. 42. On trouvera des détails authentiques sur cette grève dans le roman policier qu’elle écrivit par la suite : Sombre Sentier, Points Seuil, 1995.

260 Sur l’importance cruciale de l’autonomie, à partir de l’exemple de la grève des loyers, cf. « Vingt ans après.

Assane Ba, une histoire du mouvement des foyers Sonacotra », Vacarme, n° 16, été 2001, p. 4-14

261 Boutron, Pauline, et Nathalie Ferré. « Une vie entre syndicat et immigrés », Plein droit, vol. 89, no. 2, 2011,

Comme la régularisation ne portait pas seulement sur les 23 grévistes de la faim turcs, mais aussi sur tous les Turcs du Sentier, les syndicats mirent en place des structures syndicales par branches et non par ateliers, du fait de la diversité et du caractère changeant des confections du Sentier, afin de procéder à un plan de lutte efficace. Des formes d’organisations syndicales ont donc été créées sur la base de la rue, avec des délégués de rue. Les réunions avec les Turcs du Sentier ainsi que les Syndicats étaient cependant très irrégulières et se déroulaient généralement le soir262.

Considérant l’ampleur que la mobilisation avait prise suite à la fusion entre les deux syndicats français et les travailleurs turcs du quartier du Sentier, le secrétaire d’État chargé de la condition des travailleurs manuels, Lionel Stoleru, décida de recevoir les représentants syndicaux afin de négocier des conditions de régularisation en mars 1980. Le critère mis en avant à l’époque était l’entrée sur le territoire français depuis 1976.

Le syndicat proposa une autre alternative, celle de procéder à des régulations sur la base de promesses d’embauche signées où figuraient l’adresse de l’atelier et la description du poste de travail. Stoleru refusa cette proposition et créa un bureau de régularisations sur ses propres critères, à savoir la date d’arrivée en France. L’objectif de cette lutte ayant été la régularisation de tous les travailleurs clandestins, les syndicats décidèrent, grâce à l’appui de ces travailleurs, de boycotter le bureau. Suite à une non-présentation des travailleurs clandestins, les négociations reprirent sur la base des propositions du syndicat : celles-ci furent prises en compte et la procédure de régularisation aboutit après plusieurs mois263.

262 ROLLINDE, Marguerite, Présidente sortante de la coordination93 de lutte pour les sans-papiers et docteur

en Science Politique, mardi 6 janvier 2015, ville de Saint-Denis, durée 2H, langue : français

263 CLUZEL, Jean-Claude : ancien vice-président de la coordination 93 de lutte pour les sans-papiers, entretien

effectué le 27 mars 2015, ville de Saint-Denis, durée 1H, langue : français

Chronologie de la lutte du 11 février au 5 mars 1980 (22 jours) Source principal GISTI

Vendredi 8 février 1980 : 20h30, FR3 présenta : « French confection ou une nouvelle forme d’esclavage moderne », documentaire réalisé par Michel Honorin. Le reportage révéla les conditions de vie et de travail des sans-papiers de la confection à Paris.

11 février : 17 ouvriers (dont une femme), tous Turcs et sans-papiers travaillant dans la confection, entamèrent une grève de la faim à la « Maison Verte » du 18ème arr., un centre

avaient participé, les militants de l’Association des étudiants turcs (également militants de Dev Yol) organisèrent cette grève de la faim. Un collectif de soutien (MTI, Gisti, Groupe de femmes algériennes, LCF, OCT, FASTI, PS, PSU…) appela à une solidarité active.

17 février : Mr. Lionel Stoléru, secrétaire d’État aux travailleurs immigrés, rendit visite aux grévistes puis déclara « Leur régularisation est malheureusement impossible… Paris ne doit pas devenir Hong-Kong sur Seine ».

18 février : la Maison Verte devait accueillir des cours d’alphabétisation pour des femmes immigrées. Les grévistes de la faim, avec le soutien de la CFDT, s’installèrent alors dans une salle prêtée par l’église Saint-Bruno (18ème arr.).

20 février : 1000 personnes se rendirent au meeting à la Bourse du travail, organisé par les sans-papiers du Sentier en présence des grévistes.

21 février : Mr. Stoléru annonça la venue devant la 31ème chambre correctionnelle de Paris

du procès de plusieurs trafiquants de main-d’œuvre : le 25 février, un seul inculpé se présenta, un couturier yougoslave.

Les grévistes de la faim obtinrent la création d’un groupe de travail pour étudier leur situation. Ce groupe était composé de Mr. Stoléru, de représentants de l’Ambassade de Turquie, de responsables de l’Union des industries de l’habillement, de membres de la CFDT et de délégués des grévistes de la faim. Résultat de la première réunion tenue le 22 février : M. Stoléru était disposé à examiner chaque dossier « individuellement ». Une nouvelle réunion était prévue pour le 4 mars.

23 février : le plus âgé des grévistes de la faim fut hospitalisé.

25 février : Ali Alkan, « patron » turc et sans papiers d’un petit atelier de confection illicite, fut arrêté et retenu toute la nuit dans les locaux de la police. Des séquences du film présenté le 8 février avaient été tournées chez lui, et son atelier avait accueilli une conférence de presse des grévistes. Une convocation pour le 5 mars lui servit de titre de séjour jusqu’à cette date…

29 février : le meeting de solidarité à la Mutualité rassembla 3000 personnes, les grévistes de la faim y étaient présents.

3 mars : manifestation de sans-papiers à Paris. Six travailleurs ont été licenciés par de petits patrons du Sentier pour avoir débrayé à l’appel de la CFDT.

4 mars : Mr. Stoléru lança la campagne en faveur de la « Semaine du dialogue Français- immigrés ». Lors de la deuxième rencontre du groupe de travail, les représentants des grévistes posèrent leurs revendications : la régularisation doit être collective, le ministre de l’Intérieur doit suspendre les procédures de refoulement, aucune sanction ni discrimination ne doivent frapper les grévistes.

5 mars : fin de la grève de la faim. Les négociations se poursuivirent par l’entremise de la CFDT et des représentants des grévistes.

12 mars : le gouvernement fut disposé à accorder la régularisation aux sans-papiers turcs de la confection, arrivés en France avant le 1er/7/1976 et en possession d’une offre d’emploi «

assurant des conditions d’hygiène, de logement et de rémunération dignes et conformes à la réglementation en vigueur ». Pour ceux qui ne pouvaient pas présenter de contrat de travail, une autorisation provisoire de séjour de trois mois était délivrée. Ceux entrés en France après le 1er/7/1976 devaient justifier d’un travail. La CFDT démentit avoir donné son accord et

qualifia ces propositions d’« unilatérales et inacceptables ».

18 mars : L’UD-CGT appela à un meeting pour protester contre son absence aux

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