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Sans-papiers et politiques de protection sociale : entre exclusion et inclusion.

État des lieux des politiques publiques migratoires françaises et suédoises.

3. La mise en œuvre de l’action publique migratoire en Suède

3.2. Sans-papiers et politiques de protection sociale : entre exclusion et inclusion.

Par définition « légale », les sans-papiers n'ont pas le droit de rester dans l'État où ils vivent et travaillent. Gardant à l'esprit le risque d'être détectés et expulsés, ils sont contraints de se tourner vers l'économie informelle pour exister. Ils sont généralement exclus de l'économie formelle, mais aussi de la possibilité de bénéficier de la sécurité sociale et de la sécurité au travail.

Contrairement à ce que l'opinion publique croit, les économistes considèrent que les sans- papiers contribuent plus à l'économie d'un État qu'ils n'en coûtent aux services sociaux.

L'économie informelle, aussi bien que formelle, accueille plusieurs acteurs. Le migrant non identifié n'en est qu'un parmi tant d'autres.

La question principale dans ce cas de figure est de savoir si un acteur individuel, en participant à l'économie informelle, devrait être exclu du système de protection sociale.

« L'économie informelle » se définit selon Schneider129 comme une production légale de biens

et de services, fondée sur le marché et qui est délibérément dissimulée aux autorités publiques pour éviter le paiement d'impôts, le paiement de cotisations sociales, le respect de certaines normes légales du marché du travail et le respect de certaines procédures administratives. L'économie informelle ne peut être comprise qu'en termes de relation avec l'activité génératrice de revenus régulée. C'est donc une forme d'activité qui relève du concept plus large d

128 MELLSTROM, Joakim, officier exécutif au sein de l’unité immigration irrégulière à la Direction Générale de

l’Asile et des Migrations, jeudi 8 octobre 2015, ville de Malmö, durée 1H, langue : suédois

129 Économie informelle, Regards sur l'économie allemande [En ligne], 81 | mai 2007, document 4, mis en ligne

'«économie souterraine». D'autres composantes de l'économie souterraine sont des activités purement criminelles, comme la vente de stupéfiants.

Il existe deux discours dans le domaine scientifique, traitant de la relation entre l'économie formelle et informelle. Harding et Jenkins130 définissent l'économie informelle comme une

négation de l'économie formelle. A contrario, Slavnic et d'autres auteurs ont problématisé la vision dominante de l'économie informelle comme une sorte d'économie séparée, liée principalement aux petites entreprises (immigrantes) et distincte de l'économie formelle, qui englobe pour la plupart les grandes entreprises et les activités économiques de l'État. Slavnic131

suppose que tous les acteurs économiques sont de plus en plus prêts à adopter des stratégies économiques informelles pour assurer leur survie économique. Les acteurs économiques ne peuvent donc pas être strictement divisés entre l'économie formelle et l'économie informelle.

Dans le cadre de ce sous-chapitre, l'économie informelle est définie comme étant composée d'activités qui se déroulent généralement dans l'économie formelle, mais sous des formes qui ne sont pas conformes à diverses réglementations.

La Commission européenne estime qu'il y a 8 millions de personnes sans-papiers dans l'UE132.

En Suède, ce nombre est probablement compris entre 30 000 et 50 000133.

Beaucoup d’entre eux sont probablement des personnes qui ont demandé une nouvelle demande d'asile en Suède, après un refus de protection ou de titre de séjour. Le Conseil des migrations a rejeté 13 021 demandes de ce type. Avec les 4 163 personnes dont les permis de résidence temporaire expirent, cela fait un total de plus de 17 000 personnes potentiellement sans-papiers. Ces chiffres nous ont été donné lors de l’entretien que nous avons eu avec Josefine OLSON134.

Il est facile d'imaginer que la plupart de ces personnes vivent encore en Suède, mais sans papiers ; on peut ajouter à ces chiffres d'autres sans-papiers arrivant continuellement de diverses parties du monde.

130 Harding, P. et Jenkins, R. (1989). The Myth of the Hidden Economy : Towards a New Understanding of

Informal Economic Activity.

131 Zoran Slavnic PhD (2009) Political Economy of Informalization, European Societies. 132 Communication et information de l’Union Européenne : https://eur-lex.europa.eu/legal- content/FR/ALL/?uri=OJ%3AC%3A2016%3A262%3ATOC

133 Reported in ‘RITA, rättvis ingång till arbete’ (Fair Entrance to Work) (2008), pp. 7 and 32.

134 OLSON, Josefine, fonctionnaire chargée des réexamens des demandes des personnes déboutés du droit

Les tendances macro-économiques influencent l'emploi des travailleurs étrangers. En Europe occidentale, la main-d'œuvre étrangère a diminué au milieu des années 70 en raison du ralentissement économique et de la récession.

Dans un document de la Commission européenne sur « le travail non déclaré », les citoyens des pays tiers résidant illégalement dans l'UE sont identifiés comme formant l'un des quatre groupes de participants à une économie déclarée. En tout état de cause, la Commission recommande l'utilisation de la législation, des sanctions et des campagnes d'application de la loi. La mise en œuvre effective des stratégies choisies pour lutter contre le travail non déclaré est jugée importante quelle que soit la combinaison de stratégies choisie par les différents États membres. Selon le Michel WILLIAMS135, il existe deux attitudes à adopter face au travail non déclaré.

La première est de dire que les individus profitent du système et minent la solidarité sociale. L’autre est de voir cela comme le résultat d'une plus grande flexibilité sur le marché du travail et d'une adoption plus lente de la législation existante.

Le choix d'une politique sociale par un État est crucial pour déterminer si les sans-papiers doivent intégrer le système de sécurité sociale et de quelles façons. Concernant la sécurité sociale, il n'y a pas de modèle de gouvernance mondiale, voire européenne. Elle peut être considérée comme un avantage apporté par la société en échange de quelque chose. Il est donc utile de relier l'ensemble de la question à une discussion sur les catégories de personnes qui sont assujetties à l'impôt, ou participent d'une autre manière à l'économie, contribuant ainsi au financement de la société.

En Suède, les prestations sociales sont réparties en deux axes principaux : la résidence et le revenu. Indépendamment des redevances payées ou des revenus perçus, il est possible dans certaines circonstances de bénéficier de prestations sociales générales, telles qu'une allocation pour les enfants.

Les mineurs demandeurs d'asile âgés de moins de 18 ans ont le droit d’aller à l'école, y compris l'école maternelle et au collège. Les mineurs déboutés du droit d’asile n'ont aucun droit légal à la scolarisation, mais selon la coutume dans différentes municipalités, ils peuvent continuer à

135 WILLIAMS, Michael, membre du syndicat suédois Landsorganisationen i Sverige (LO) et de Papperslosa

aller à l'école même après que leur demande ait été rejetée. Selon Zara ASHADI136 en 2007, il

a été suggéré que les enfants des familles, dont les demandes d'asile en Suède ont été rejetées, mais pas encore expulsées, devraient avoir le droit absolu d'aller à l'école.

Les demandeurs d'asile déboutés ou encore les sans-papiers ne peuvent qu’obtenir des soins immédiats ou encore d’urgence. Les mineurs étrangers ont cependant droit aux mêmes soins et services que les mineurs résidents sur le territoire suédois, conformément à un accord passé entre le gouvernement et les municipalités suédoises en 2000. Le sans-papier doit payer ses soins d’urgence, même si dans la plupart des cas, il est dans l’impossibilité de le faire, soit parce qu’il est incapable de payer, soit qu’il évite souvent de demander des soins par crainte d'être expulsé. Dès lors, ils s’appuient sur des amis ou des organisations à but non lucratif soutenant leur cause, dans le but de bénéficier d’une aide médicale137. L’exemple le plus fréquent en

Suède en termes de coût de soins élevés est l'accouchement. Les femmes sans-papiers préfèrent accoucher à domicile plutôt que le faire à l’hôpital, afin d’éviter un éventuel rapport de police qui pourrait s’en suivre.

Au sein de l'Union européenne, il existe une certaine coordination entre les systèmes de sécurité sociale des États membres. Le principe essentiel est qu’en vertu du règlement n°1408/71138, les

citoyens de l'UE qui se déplacent d'un État membre à l'autre ne doivent pas perdre leurs droits aux prestations sociales.

Les États membres décident eux-mêmes quels sont les avantages, à quelles conditions et comment ils doivent être calculés et facturés. Toutefois, les règles ne doivent pas discriminer les citoyens des autres États membres.

Les règles de coordination s'appliquent également aux ressortissants de pays tiers s'ils résident légalement dans un autre État membre de l'UE, avec certaines restrictions. Cela ne s'applique qu'aux personnes qui se déplacent d'un État membre à un autre et ne donne pas aux citoyens des pays tiers le droit automatique de résider dans d'autres États membres de l'UE. Ils doivent normalement demander à la fois l'asile, ou un titre de séjour et un permis de travail dans le pays d'accueil.

136 ASHADI, Zara, ancienne sans-papiers, Présidente de l’association No one is illegal Göteborg et journaliste

freelance à Göteborg, mardi 11 octobre 2016, durée 1H, ville de Göteborg, langue : anglais

137 ZANDIN, Johan, conseiller politique à la mairie de Göteborg sur les questions relatives aux logements des

migrants et membre actif de l’association No one is illegal, jeudi 27 octobre 2016, durée 1H, langue : suédois.

138 Les régimes de sécurité sociale et la libre circulation des personnes: règlement de base : https://eur- lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Ac10516

Le règlement s'applique également aux membres de la famille et aux proches de la personne. Selon l'article 2 de la loi sur le service social139, une municipalité suédoise est responsable de

toute personne résidant sur son territoire, qu'il s'agisse d'un sans-papiers ou d'un citoyen de l'UE. Une enquête peut néanmoins entraîner un refus d'accorder des avantages sociaux.

D'un point de vue européen, le règlement 1408/71140 joue un rôle central en garantissant certains

droits minimaux aux personnes se déplaçant entre les États membres. En ce qui concerne les sans-papiers, il y a clairement un manque de logique non seulement au niveau suédois, mais aussi d'un point de vue international. Ils n'ont souvent aucun bien ou lieu de résidence dans leur pays d'origine, surtout s’ils sont réfugiés, et n'ont donc aucun droit légitime aux prestations sociales, ni en Suède ni dans leur pays d'origine. Même si c’était le cas, ils viennent souvent de pays où l’ampleur des prestations sociales est relativement faible.

La raison principale qui explique ce manque de logique est que les systèmes fiscaux et sociaux ne sont pas cohérents.

Le manque de logique existant devrait cependant être remis en question par des arguments à la fois systématiques et structurels. Par exemple, un citoyen suédois a certains droits, même après avoir quitté la Suède. Un sans-papiers qui séjourne en Suède pendant plus de six mois peut être assujetti à l'impôt, mais n'a en principe aucun droit à la sécurité sociale basée sur la résidence141.

Les politiques de protections sociales en Suède montrent dès lors une certaine forme de discrimination entre les citoyens sans-papiers et réguliers vivant au sein d’une même commune. Le fait de payer la taxe relative à la résidence ne leur fait pas bénéficier des mêmes avantages sociaux, si ce n’est que les sans-papiers n’en touchent aucun. L'engagement d'un État à protéger les droits humains par des traités internationaux ne paraît alors pas respecté. Punir l’illégalité par la suppression de la protection sociale est semble-t-il le leitmotiv de la plupart des pays de l’Union européenne.

139 La Suède et la Charte sociale européenne : https://rm.coe.int/1680492960

140 Règlement (CEE) n°1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale

aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté : https://www.cleiss.fr/docs/textes/1408-71/index.html

141 BENCHADI, Youcef, ancien sans-papier, vice-président de l’association Papperlosa Stockholm, jeudi 8

En ce qui concerne les demandeurs d'asile, ils ont un accès moins limité aux services publics : ils sont différents de la catégorie des sans-papiers qui se doivent de payer eux-mêmes leurs frais sanitaires, sans que le conseil municipal ne prenne volontairement en charge ce coût. En vertu de la loi sur la santé et les services médicaux, le conseil municipal est uniquement tenu de prodiguer des soins immédiats (d’urgence), ce qui constitue une forme de soins beaucoup plus étroite que celle des demandeurs d'asile. L’opinion affirme qu'une telle pratique est éthiquement inacceptable. Les personnes sans-papiers en Suède doivent compter sur le travail illégal et /ou les cadeaux de la famille, des amis ou des organisations bénévoles pour assurer leurs droits sociaux de base142. Ils ne sont pas couverts par le droit du travail actuel et sont contraints de

compter sur la bonne foi de l'employeur. Ils doivent également trouver un logement dans le secteur informel, ce qui entraîne des déménagements fréquents et souvent accentuant le « sans- abrisme ». En Suède, les services sociaux sont tenus par la loi de signaler une personne qui tente d’échapper à l'expulsion : cela crée donc des problèmes pour ceux dont la profession consiste à travailler avec les migrants sans permis de séjour. Dans une certaine mesure, cela est compensé par le travail des organisations à but non lucratif, de l'Église en Suède, des comités locaux des droits d'asile et d'autres réseaux de soutien. En tant que principe important, les citoyens suédois sont légalement autorisés à effectuer du travail bénévole et à aider d'une autre manière ceux qui se soustraient aux ordres d'expulsion, à condition que cela ne soit pas à but lucratif.

A l’issue de ce constat, il semblerait que la territorialité ne soit pas suffisante pour que les sans- papiers obtiennent des avantages sociaux. « Ils devraient en effet déclarer ouvertement leurs revenus », seraient alors couverts par le principe de l'assurance coopérative et auraient droit non seulement aux pensions, mais également aux congés maladie et parentaux rémunérés143.

Pour avoir droit à l'assurance sociale, l'individu doit donc avoir un revenu déclaré dans l'État, ce qui est pratiquement impossible pour les sans-papiers.

142 CHALMERS, Désirée Thérèse, interprète à la direction générale de l’asile et des migrations à Göteborg et

membre actif du groupe No one is illegal, lundi 10 octobre 2016, durée 1H, ville de Göteborg, langue : anglais

143 ANDERSSON, Frida, officier exécutif au sein de l’unité immigration irrégulière à la Direction Générale de

Selon Gérard de Pouvourville144, les États européens ayant une politique sociale enracinée dans

un modèle de Beveridge145 (comme en Suède) peuvent, et devraient peut-être aussi en raison

de leur politique, être obligés d'intégrer les sans-papiers dans leur système de prestations sociales : indépendamment de tout revenu déclaré, ces personnes devraient faire partie du régime de prestations sociales de base en vertu de la seule territorialité.

3.3. Le droit du travail en Suède : le cas du travailleur sans-

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