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État des lieux des politiques publiques migratoires françaises et suédoises.

2. La mise en œuvre de l’action publique migratoire en France.

2.4. Les droits sociaux et fondamentaux : une universalité pour tous ?

Les personnes étrangères sont bien souvent confrontées à des obstacles dans l’accès à leurs droits en tant que justiciables et en tant qu’usagers du service public. Face à la justice, le durcissement de l’arsenal législatif éloigne chaque jour un peu plus ces populations du droit commun. Audiences par visioconférence, tribunaux délocalisés en rétention, délais de recours raccourcis, droit dérogatoire en outremer, difficultés d’accès au juge en détention constituent un véritable régime juridique d’exception.

112 Amnesty International assimile ces actes à de la torture dans un rapport de novembre 2016 : Rapport des

Par ailleurs, ces populations sont aussi les victimes de discriminations ciblées. Certaines discriminations institutionnelles113 sont assez récurrentes, par exemple en ce qui concerne

l’accès au marché du travail. D’autres sont liées à des pratiques administratives illégales. L’absence de dispositif tenant compte de la spécificité de la situation des personnes détenues étrangères génère aussi des inégalités.

Le principe d’égalité des usagers garantit à chacun un accès égal au service public, sans traitement défavorable du fait de sa situation ou de la nature de sa demande. L’accès au guichet des différentes préfectures est dans la plupart des cas un défi : on peut noter par exemple les longues files d’attente (à Bobigny ou encore Evry) sans toujours permettre de pénétrer dans l’enceinte administrative. De plus en plus de préfectures obligent à prendre rendez-vous par Internet, ce qui dépossède certaines personnes de l’accès à la procédure. Les rendez-vous sont saturés et le délai d’attente est de plusieurs mois, voire un an, y compris pour un renouvellement du titre de séjour, ce qui provoque des ruptures de droit114.

En France, les préfectures ne délivrent pas systématiquement de récépissé pendant l’instruction d’une demande. Même si cette instruction dure bien plus que les quatre mois prévus par les textes, les personnes préférant demeurer dans l’attente d’une décision favorable plutôt que de se lancer dans démarches contentieuses115.

En mars 2012, l’Union nationale des sans-papiers a initié une campagne contre « le racket d’État »116 suite à l’augmentation des taxes à la charge des personnes demandant un titre de

séjour. La loi de finances pour 2012 venait d’apporter une augmentation atteignant 500 % pour certains titres.

Le droit de de régularisation dû par une personne en situation irrégulière au moment de sa demande, a augmenté́ à hauteur de 340 euros en 2012.

113 Wihtol de Wenden, Catherine. « Police et discriminations institutionnelles », Cliniques méditerranéennes,

vol. 94, no. 2, 2016, pp. 83-92.

114 Les étrangers ont de plus en plus de mal à accéder aux préfectures :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/03/16/les-etrangers-ont-de-plus-en-plus-de-mal-a-acceder-aux- prefectures_4883594_3224.html

115 SOUBRIEU, Daniel, chargé d’instruction des titres de séjour, guichet 2, admission exceptionnelle au séjour,

préfecture de Nanterre, mardi 25 aout 2015 à 16H30, durée 1H, langue : français

116 Collectif Racket : Collectif informel né en 2008, regroupant syndicats, associations, partis et collectifs de

sans-papiers, pour dénoncer des inégalités de droits touchant les sans-papiers (en matière de protection sociale, ou vis-à-vis du fisc...). Chaque année, est organisée par ce collectif une campagne de sensibilisation aux refus d’enregistrement de déclarations des revenus des sans-papiers.

Son paiement, dont une partie est acquittée au moment de la demande, sans remboursement en cas de refus, reste un effort parfois irréalisable pour des personnes auxquelles la préfecture a décidé de délivrer un titre de séjour. D’autant qu’au frais relatif à la régularisation s’ajoutent la taxe de fabrication du titre 19 euros et la taxe de l’OFII pouvant aller jusqu’à 250 euros117. Cette

pratique semble également être dissuasive pour les employeurs qui souhaitent soutenir la régularisation d’un sans-papiers, et qui doit verser à l’OFII, une taxe d’un montant de 50 % du salaire mensuel. Même si elles remplissent toutes les conditions légales, plusieurs personnes n’arrivent pas obtenir un titre de séjour du fait de leur incapacité à régler ces taxes.

L’accès des étrangers à un juge est essentiel, notamment pour pouvoir contester des décisions administratives marquées par le fort pouvoir discrétionnaire des préfets. Lesdites décisions peuvent mettre en péril les droits primaires des personnes à mener à bien une vie privée ou familiale, se soigner en cas de maladie grave ou alors obtenir une protection au titre de l’asile. Ces obstacles quant à l’accès à un juge en cas de différend avec l’administration se sont multipliés au fil des réformes législatives et plus particulièrement celle de 2016 que nous avons vus au début de cet état des lieux des politiques migratoires.

Depuis plusieurs années, malgré la contestation marquée de professionnels aussi bien les magistrats et avocats, d’associations, de parlementaires, de personnalités et d’institutions, des étrangers enfermées dans les centres de rétention administrative sont jugées dans un tribunal délocalisé, à deux pas de leur lieu de privation de liberté, loin de la cité et d’un Palais de justice.

De plus, la situation géographique de ces salles d’audience et les obstacles pour y aller en transports en commun, rendent difficile l’exercice des droits de la défense. De même, l’idée d’audiences tenues à proximité du lieu de rétention en visioconférence avec des magistrats administratifs siégeant dans leur tribunal, suit son cours. On note aussi que les entretiens menés par l’OFPRA pourraient s’étendre dans les lieux d’enfermement : centres de rétention administrative et prison.

Pourtant, toute personne privée de liberté a le droit, en vertu de la Convention européenne des droits de l’Homme118, d’introduire un recours devant un tribunal qui doit non seulement être,

mais aussi paraître indépendant et impartial.

117 Voir la figure 4 relative au TAXES ET DROIT DE TIMBRE SUR LES TITRES DE SÉJOUR en annexe.

118 La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, plus connue sous le nom de

La loi du 7 mars 2016 a également rétabli en rétention la possibilité pour les personnes étrangères de saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) dans les premières 48 heures. Cette intervention rapide du JLD se fait néanmoins au prix de procédures, déjà jugées de sinueuses par les experts, les rendant encore plus inaccessibles pour les justiciables.

En effet, les OQTF (Obligation de quitter le territoire français) ont été découpées en différentes catégories. Les nouveaux textes ont réduit les délais de recours de trente à quinze jours, notamment pour les personnes qui ont été déboutées du droit d’asile (les sans-papiers), afin de rendre effectif leur expulsion. Les OQTF communiquées en prison doivent être contestées lors des prochains 48 heures, un délai impossible à tenir lorsqu’on est en détention. Les OQTF sans délai de départ volontaire sont plus graves, car elles sont assorties systématiquement d’une IRTF (Interdiction de retour sur le territoire français).

La question de l’accès à la justice se pose avec acuité pour les personnes qui sont emprisonnées. Elle est d’autant plus difficile pour les personnes étrangères, car l’obstacle majeur reste la barrière de la langue. Une partie des personnes étrangères ne parle pas le Français et se trouve ainsi isolé. En milieu carcéral, les démarches doivent être écrites en langue française.

Si cet obstacle peut être surmonté avec l’aide d’une autre personne détenue ou d’un surveillant, être assisté par un avocat avec l’aide d’un interprète est une autre difficulté. Dans la plupart des cas, les prisons sont très éloignées des villes et avec des moyens d’accès limités. Les avocats se déplacent peu en milieu carcéral, les faire venir avec un interprète est souvent difficile.

Et pourtant, les normes nationales et européennes prévoient l’interprétation et la traduction, afin de garantir un traitement équitable. Cependant, la notion de « nécessité absolue et urgente » chez la personne détenue renforce la non-sollicitation des interprètes professionnels : l’interprétariat se fait le plus souvent avec l’aide d’un codétenu, du personnel pénitentiaire ou d’un visiteur. Les dispositifs mis en place relèvent de la bonne volonté de l’administration pénitentiaire. Ils sont insuffisants et très disparates, en plus de poser des soucis évidents de confidentialité. Par ailleurs, l’accès à la justice pour les étrangers signifie bien souvent attaquer les décisions des préfectures auprès d’un juge administratif.

entrée en vigueur en 1953. Elle a été le premier instrument concrétisant et rendant contraignants certains des droits énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme :

Or, certaines procédures doivent être contestées dans un délai de 48 heures. Ces procédures d’exception sont expéditives, elles ne permettent pas de saisir un tribunal de manière effective pour les personnes enfermées en cellule, sans fax, sans conseil ou interprète.

Les étrangers emprisonnés ont un traitement différent de celui réservé aux personnes de nationalité françaises à cause de l’application des textes. Les services d’insertion, sont souvent en difficultés face au public étranger. La méconnaissance du droit des étrangers ainsi que les difficultés administratives font que les agents n’ont pas les codes propices.

Les personnes dites Roms, bien qu’étant citoyennes d’un pays membre de l’Union européenne et jouissant à ce titre d’un droit fondamental à la libre circulation et installation dans l’UE, sont aussi particulièrement visées par des mesures d’éloignement. En 2016, plus de 1 800 citoyens européens, très majoritairement Roumains ou Bulgares, ont été enfermés en rétention et souvent expulsés. Ils représentent près de 15 % des personnes expulsées par la France119.

L’accès à la protection maladie est rendu plus difficile pour les personnes étrangères, car il est conditionné au statut administratif et à la durée de présence sur le territoire.

Les obstacles à l’accès et à la continuité des soins sont généralement liés à la méconnaissance des droits, aux difficultés administratives, à des barrières linguistiques.

La vulnérabilité des femmes âgées, isolées ou enceintes, ou encore des femmes repliées sur la sphère privée, du fait de leur statut administratif empêchant l’ouverture de droits, freine l’accès à la santé. Les femmes seraient d’ailleurs moins représentées dans le dispositif d’aide médicale d’État (AME).

Les discriminations propres à l’accès à l’emploi en France sont une réalité. Elles sont parfois directement liées à la nationalité de l’usager en question. Accéder à certains emplois est peu probable du fait de l’application de la préférence nationale. On note une cinquantaine de professions qui ne sont pas destinés aux étrangers notamment dans le secteur public et plus d’une trentaine qui requièrent la condition de possession d’un diplôme français. Il existe aussi des professions, dont l’exercice par des étrangers est soumis à un quota.

119 STATISTIQUES 2017 : CE QUE DISENT LES CHIFFRES DE L’EXPULSION DES PERSONNES EXILÉES : https://www.lacimade.org/statistiques-ce-que-disent-les-chiffres-de-lexpulsion-des-personnes-exilees/

Conséquemment, les étrangers sont exclus d’environ un poste de travail sur cinq. Ensuite, le diplôme ne protège pas du chômage, et pour les personnes étrangères en France, il ne garantit même pas la reconnaissance des compétences acquises. En effet, il n’existe pas de principe juridique d’équivalence entre les titres et les diplômes obtenus à l’étranger et les diplômes français. Seule une attestation de reconnaissance de niveau d’études peut être obtenue. Enfin, lorsque le droit au séjour est accordé du fait de l’activité exercée, une procédure de demande d’autorisation de travail, restrictive et complexe, est incontournable, et la coopération de l’employeur indispensable.

Les demandeurs d’asile, quant à eux, ne sont pas autorisés automatiquement à travailler. En effet, la loi transposant mal la directive européenne de 2013120 dite directive accueil, a fixé un

délai de neuf mois d’instruction de la demande d’asile par l’Ofpra sans possibilité d’être autorisé au travail. Ces dispositions maintiennent les demandeurs d’asile dans une forme de d’invisibilité sociale alors que le dispositif d’accueil ne permet d’héberger que la moitié d’entre eux.

Observons maintenant la mise en œuvre de l’action publique migratoire en Suède.

3. La mise en œuvre de l’action publique migratoire en

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