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État des lieux des politiques publiques migratoires françaises et suédoises.

2. La mise en œuvre de l’action publique migratoire en France.

2.2. Les coopérations interétatiques.

En mars 2016, l’Europe passe avec la Turquie un accord de coopération93 prévoyant des

expulsions depuis la Grèce vers la Turquie, le renforcement propre à la sécurisation des frontières turques afin d’empêcher que de nouvelles personnes échoient en Grèce, la contribution de l’accès au travail des ressortissants syriens en Turquie, la création de camps de réfugiés (réservés aux ressortissants syriens) et de camps d’expulsion. En contrepartie, la Turquie obtient une aide de six milliards d’euros pour mettre en œuvre le plan d’action sur son territoire et la facilitation de l’obtention des visas pour ses propres ressortissants.

En décembre 2015, dans le cadre du suivi de la coopération de l’UE avec l’Union africaine, les États africains et européens se sont rencontrés à La Valette (Malte). Des fonds d’un montant de 1,8 milliard d’euros94 ont été mis en place dans le but que les États africains collaborent et

facilitent les expulsions depuis l’Europe et contiennent leurs ressortissants sur leurs territoires tout en consolidant les contrôles aux frontières, en réformant le système d’asile sur place.

92 LAMBERT, Élise, chargée d’instruction des titres de séjour, guichet 4, admission exceptionnelle au séjour,

préfecture de Bobigny, jeudi 20 aout 2015 à 13H, durée 45 minutes, langue : français

93 Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016 :

http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18/eu-turkey-statement/ 94 La coopération entre l'Union européenne et l'Afrique en matière de migration :

L’Italie quant à elle signe des accords avec des États africains cibles comme le Niger, le Sénégal ou encore le Mali.

En juin 2016, la Commission européenne propose la mise en place des pactes migratoires dans le but de revenir sur les réelles et causes profondes de l’immigration pour l’ensemble des pays africains visés par ledit pacte. En échange, 8 milliards d’euros95 seront alloués aux pays

africains visés sur les cinq prochaines années. Une seule condition à satisfaire, les États africains devront accepter de faciliter les expulsions depuis l’Europe.

L’UE met en place « une forme de système de récompenses » pour les États les plus coopérants, les autres verront les aides européennes s’affaiblir. Dans le jargon de la lutte politique des sans- papiers, cette politique porte le nom de « politique de la carotte »96.

L’UE signe aussi des coopérations pour la mobilité avec neuf États voisins comme la Géorgie, Biélorussie ou encore la Jordanie97. Ces coopérations concernent plusieurs objectifs. On peut

citer par exemple la simplification des expulsions des personnes irrégulières depuis l’Europe, le raffermissement des frontières de l’État signataire contre une la facilitation des visas et mieux encore l’obtention de travail pour les ressortissants du même État signataire. La coopération en matière d’expulsion a été négociée dans le cadre des accords communautaires de réadmission. Lesdits accords permettent aux États membres européens de « congédier » vers l’État coopérant les ressortissants de ce dernier.

Les négociations pour ce type d’accord sont longues, car pour les États coopérants, l’énigme de la gestion des personnes expulsées se pose lorsqu’elles ne sont pas leurs ressortissants.

Il est donc certain que l’UE, par le biais de ces différents accords externalise la question migratoire en affairant des compensations en termes de mobilité et d’accès au marché du travail européen pour les ressortissants de l’État signataire.

95 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le Fonds européen pour les

investissements stratégiques et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013 :

http://www.senat.fr/ue/pac/EUR000001024.html

96 Cette expression est donc une métaphore. Elle est récente en France (1966) et n'est autre qu'une traduction

littérale de l'anglais "the carrot or the stick" dont l'Oxford English Dictionary dit qu'elle date de 1948.

97 C'est quoi le « pacte migratoire » entre la Turquie et l'Europe, menacé par la crise diplomatique ? : https://www.lci.fr/international/crise-entre-la-turquie-et-l-europe-c-est-quoi-pacte-migratoire-menace- 2028982.html

Pour l’Europe et ses États membres, La France et la Suède n’échappe pas à cette règle, l’expulsion des personnes étrangères en situation irrégulière est un réel enjeu. Ainsi, l’UE a négocié 17 accords communautaires.98 Une autre stratégie déployée dernièrement par l’UE

est la mise en place d’accords en dehors du contrôle du parlement européen à l’instar du « dialogue joint UE-Afghanistan » signé en octobre 201699 en amont d’une grande conférence

internationale d’aide à ce pays qui reste ravagé par l’insécurité́. Ce document prévoit, de manière détaillée, le retour forcé de plusieurs dizaines de milliers d’Afghans déboutés du droit d’asile dans les pays européens.

La coopération avec les États non membres de l’UE fait partie des missions de l’agence Frontex. Ces missions se sont considérablement développées ces dernières années grâce à la mise en place d’accords de travail avec des Etats tiers. (Balkans de l’Ouest et Commonwealth)100. Elles

visent à renforcer la sécurité des frontières à travers la formation d’agents nationaux, à des soutiens aussi bien financiers qu’en équipements, ou alors en matière de vols de retour conjoints.

L’action extérieure de l’agence Frontex se trouve amplifiée par le règlement entré en vigueur le 6 octobre 2016 créant un corps européen de garde-côtes et gardes-frontières. Cependant, les exigences relatives aux respects des droits fondamentaux ne sont pas renforcées. Des officiers de liaison peuvent ainsi être déployés dans les États non membres de l’UE dans le cadre d’opérations, sans contrôle au préalable. Par ailleurs, les autorités compétentes des États tiers peuvent participer aux opérations de retour conjointes. Elles sont censées respecter, comme les agents européens, le code de conduite dans le cadre des retours conjoints. Ledit règlement offre aussi la possibilité de conclure des accords de travail sans exiger davantage de transparence.

98 Les accords de réadmission de l’Union européenne : http://www.fmreview.org/fr/destination-europe/rais.html 99 « Dialogue joint UE-Afghanistan » signé en octobre 2016 :

http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/02/13/afghanistan-cooperation-agreement/ 100 Frontex, nouvelle Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes : Des données et des hommes : https://journals.openedition.org/revdh/3037

Frontex a aussi la possibilité de se déployer en dehors de l’UE sur le territoire des États avec lesquels elle a signé des accords de coopération. Eurosur101 vient en sus du travail de Frontex,

afin de lui apporter une aide visa son système européen d’échange d’informations sur la situation aux frontières et en amont de celles-ci.

On peut aussi citer les dispositifs militaires comme l’opération européenne EUNAVFOR Med102, lancée en juin 2015. Localisé en méditerranée centrale, entre l’Italie et la Libye, elle a

pour mission de lutter contre les passeurs en détruisant les bateaux utilisés. L’OTAN103

(Organisation du traité de l’Atlantique nord) intervient également en méditerranée. L’organisation a pour objectif, le renseignement, la surveillance et un travail de reconnaissance en mer Égée et à la frontière terrestre turco-syrienne. Europol, l’agence des polices européennes, interagit avec plusieurs de ces dispositifs dans le cadre de la lutte contre les passeurs.

Frontex, EUNAVFOR Med, l’OTAN et Europol ont pour mandat principal la lutte contre l’immigration irrégulière par la dissuasion au passage. Leur objectif est d’empêcher les personnes de quitter les pays voisins ou de les intercepter en mer afin d’opérer une sélection entre celles qui pourraient rester sur le sol européen et les autres.

Or, les personnes continuent d’arriver aux frontières européennes. Bien qu’un ralentissement des arrivées s’observe depuis novembre 2015, les traversées ne se sont pas arrêtées. En effet, le renforcement des contrôles aux frontières n’entraîne pas le tarissement des arrivées, mais un détournement des routes migratoires qui deviennent plus longues et plus dangereuses. Ainsi, l’année 2016 a été déterminante en termes de perte et disparition en méditerranée avec plusieurs morts le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)104. Comment expliquer

l’augmentation des morts aux frontières européennes ?

101 Eurosur est un système de surveillance mis en place par l'Union européenne pour suivre l'immigration

clandestine. Les moyens techniques mis en œuvre sont principalement des drones, des avions de reconnaissance, des satellites et des capteurs sur les littoraux.

102 L’opération EUNAVFOR Med, aussi appelée opération Sophia, est une opération militaire décidée le 18 mai

2015 par l'Union européenne au titre de la politique de sécurité et de défense commune pour lutter contre le trafic de migrants en Méditerranée.

103 L’Organisation du traité de l'Atlantique nord est l'organisation politico-militaire mise en place par les pays

signataires du traité de l'Atlantique nord afin de pouvoir remplir leurs obligations de sécurité et de défense collectives

104 Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, basés à Genève, est un programme de l'ONU. Il a

pour but originel de protéger les réfugiés, de trouver une solution durable à leurs problèmes et de veiller à l'application de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951.

Le règlement « Dublin », semble n’avoir pas été conçu comme un mécanisme de partage des responsabilités entre États membres. Il détermine l’État responsable du traitement de la demande d’asile, qui ici, est censé être le pays de première arrivée, mais aussi prévoit le transfert du demandeur d’asile dans celui-ci, faisant alors peser la responsabilité de l’accueil sur les États membres aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Face à l’inefficacité de « Dublin » et à d’importantes arrivées au printemps 2015, les États membres crée alors un mécanisme ad hoc et ayant une valeur non contraignante : la relocalisation.

La relocalisation a été adoptée par les États membres de l’UE en septembre 2015. Elle facilite le partage entre divers pays européens sur la question de la prise en charge de personnes arrivées en Grèce et en Italie ayant un « besoin manifeste de protection internationale ». Si les critères sont remplis, ces personnes peuvent être transférées, grâce une clé de répartition, dans d’autres États membres de l’UE où elles pourront demander l’asile.

La mise en œuvre de la relocalisation est toutefois un échec, à cause de la non-coopération de la majorité des États européens et des difficultés liées au système d’asile grec à enregistrer les demandes. Le nombre de personnes relocalisées reste futile par rapport aux engagements pris par l’Europe. Selon la Commission européenne, 13 270 personnes105 avaient été relocalisées en

France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Suite à cela, en 2015, plusieurs États membres ont rétabli les contrôles à leurs frontières intérieures, notamment la France, la Suède, l’Allemagne et l’Autriche.

En avril et juillet 2016 afin de permuter « Dublin » et pour concilier les normes européennes en matière d’asile, on assiste à une obligation de rejeter les demandes des personnes ayant transitée par un pays tiers considéré comme sûr ou provenant d’un pays d’origine jugé sûr doublée d’une assignation à résidence.

Le Parlement européen adopte le 15 septembre 2016 un règlement106 visant à uniformiser

l’utilisation des laissez-passer européens par les États membres et à faciliter l’expulsion de ressortissants de pays tiers dans leur pays d’origine.

Une personne ne peut être reconduite dans son pays d’origine que si elle est en possession d’un document de voyage (passeport ou laissez-passer délivré par les autorités consulaires).

105 Relocalisation des demandeurs d'asile depuis la Grèce et l'Italie :

http://www.europeanmigrationlaw.eu/fr/articles/donnees/relocalisation-des-demandeurs-dasile-depuis-la- grece-et-litalie.html

106 Le laissez-passer européen : un pas supplémentaire vers l’expulsion à tout prix :

Cependant, certaines personnes ne disposant pas de passeport ou de document d’identité ne sont pas reconnues par leurs consulats.

Pour contourner ces refus ou les retards de délivrance de documents consulaires, les administrations des États membres peuvent utiliser un laissez-passer européen, délivré par leurs soins au mépris donc des autorités consulaires et de la souveraineté des États.

Cette façon de faire était déjà utilisée par des États membres comme la France depuis plusieurs années suivant les directives de l’UE. Elle pointe toutefois de nombreux problèmes. En effet, les personnes renvoyées sont réellement danger : elles sont expulsées dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes. Conséquemment, il y a une probabilité de refoulement à l’arrivée, car ils ne sont pas reconnus par les autorités locales.

Depuis quelques années maintenant, des opérateurs privés succèdent à l’administration française en tant que principaux interlocuteurs des demandeurs de visa, notamment sur les questions d’information, de réception et de suivi des demandes de visas, ou alors de communication de la décision. Dans plusieurs pays, le consulat n’a pas de contact direct avec les personnes pour lesquelles il prend des décisions. Il en est de même pour les prestataires assurant la mission de collecte des données biométriques du demandeur.

Cette mission est revêt un caractère sensible, dans la mesure où les risques liés à la fuite des données de la part des prestataires envers les autorités locales, peuvent aboutir à des conséquences sérieuses pour les personnes qui tentant de fuir des persécutions. La Commission nationale de l’informatique et des libertés l’a par ailleurs signifié en insistant sur l’enjeu de sécurisation de la collecte des données biométriques par les opérateurs privés.

Le meilleur exemple de cette délégation du contrôle aux frontières est selon moi le tunnel sous la manche à Coquelles, près de Calais. En effet, elle montre la tendance à la délégation du contrôle de la frontière à des acteurs privés, comme le certifie cette déclaration du PDG du groupe Eurotunnel au journal Le Monde en juillet 2015107 :

« Nous continuons à assurer une forme d’étanchéité du tunnel sous la Manche par rapport au passage des migrants en Grande-Bretagne. »

107 Face à l’afflux de migrants, Eurotunnel réclame une aide financière à Paris et à Londres :

https://www.lemonde.fr/entreprises/article/2015/07/22/face-a-l-afflux-de-migrants-eurotunnel-reclame-une- aide-financiere-a-paris-et-a-londres_4693497_1656994.html

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