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B) Jour après jour, une vision de dévastation

3) Troisième jour : 16 février 1990

Au matin du 16 février, il ne pleut plus, une nouvelle couche de neige couvre les sommets vosgiens. Le « Florival a des allures de lendemain de bataille35 ». Le journal L’Alsace parle de « paysage désolé, parfois d’aspect lunaire36 ». Bien qu’elle soit encore tumultueuse et boueuse, la Lauch commence à baisser, les eaux se retirent peu à peu et les habitants peuvent constater toute l’étendue des dégâts37. Tout le monde s’active pour panser les plaies et rétablir

la situation. 32 DNA du 16/02/1990. 33 L’Alsace du 16/02/1990. 34 Ibid. 35 L’Alsace du 17/02/1990. 36 Ibid. 37 Ibid.

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A Linthal, la Lauch a arraché la partie arrière d’un café, emporté les murs de soutènement et fait effondrer les rues du Markstein et du Chariot38.

Figure 3 : Café Hurth à Linthal

Malgré la baisse des eaux, la population buhloise est encore sous le choc tandis que des bulldozers essayent de dégager le lit de la Lauch, obstrué par un bouchon de 300 m, afin que celle-ci réintègre son lit, stoppant ainsi le flot sauvage dans les prés le long de la « pénétrante » et à l’entrée de Buhl. Cette opération est menée avec succès avec l’aide de deux détachements du 152e RI de Colmar, après enlèvement de 4 000 m3 de déblais, au grand soulagement des riverains. Pendant ce temps, les pompiers s’affairent à pomper l’eau des caves. Les habitants font preuve d’une solidarité extraordinaire. L’entreprise Sévylor, inondée, ferme ses portes. Deux automobilistes sont sauvés par les pompiers et une voiture sombre dans la « pénétrante39 ». Buhl est la commune la plus sinistrée de la vallée.

L’action de l’eau a tout raviné, des tonnes de tout-venant soutenant la chaussée (RD 430) sont emportées, la « pénétrante » est mal en point par endroits alors qu’entre Buhl et Lautenbach, il n’en reste presque rien.

A Guebwiller, on ne peut guère se plaindre au regard de la situation des habitants de la haute vallée (Linthal, Buhl). La circulation est rétablie dans toutes les rues, excepté dans la rue Schlumberger, près de l’hôpital où la route est emportée40

. Certains anciens ne se souviennent

38 D’après le Dossier communal synthétique (DCS) de Linthal, 2001. 39

DNA du 17/02/1990.

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pas avoir déjà vu cela. Les traces laissées par la boue montrent bien que la Lauch a débordé très loin de son lit mineur.

A Issenheim, la situation s’est stabilisée. Les secteurs les plus atteints sont le quartier de la Pfleck et la rue d’Ostein, surtout la partie située entre les deux ponts de la Lauch41

.

Entre Issenheim et Merxheim, un chenal est creusé et permet de ramener la Lauch dans son lit, empêchant ainsi l’afflux d’eau dans la ville de Merxheim. Les rues les plus sinistrées sont celles des Vosges, de Raedersheim et de la Gare. Selon la presse, dans cette dernière rue, une maison neuve a de l’eau jusqu’au plafond de la cave : « L’eau a dévalé comme un torrent et en 20 minutes tout était joué (…) on ne pouvait rien faire 42 », une femme a 30 cm d’eau dans sa maison et ses voisins ont presque 1 m, « les lits flottaient 43 », enfin, certains habitants ont 10 cm de boue dans leur salle à manger. Voilà qui relance le débat des constructions en zone inondable.

A Rouffach, les améliorations sont notables. Reste que l’usine Behr-France est en position délicate de même que le magasin Intermarché inondé par 10 à 15 cm d’eau44

.

En raison de sa basse situation topographique, la commune d’Herrlisheim a fréquemment été victime d’inondation par le passé. En 1990, grâce à la digue, la localité est finalement épargnée. L’eau de la Lauch, dont la hauteur avoisine 1 m, voire 1,5 m par endroits, stagne contre la digue construite à cet effet. Seules les routes en direction de Sainte-Croix-en-Plaine et de Niederhergheim sont fermées à la circulation. Les remontées de nappes phréatiques touchent néanmoins certaines caves dans ce secteur45.

Si la situation semble s’améliorer sur le front des inondations dans les vallées vosgiennes, elle s’est sensiblement aggravée à Colmar et dans les villages de la plaine d’Alsace (Houssen, Illhaeusern, Guémar, Ostheim, etc.) où l’on espère que l’eau sera vite absorbée par la nappe phréatique. A Colmar, 50 personnes sont évacuées en zodiac dans le quartier de la Luss et 60 maisons sont privées d’électricité. Plusieurs dizaines de voitures sont submergées (surtout dans le sentier de la Bleich). Dans toutes les caves, les pertes sont énormes : électroménager, vivres, appareils électriques, tondeuses, etc. Le réseau téléphonique est également endommagé. Le 16 février au soir, les eaux de l’Ill ont baissé de 30 cm en raison de la décrue. Quelques 500 m3 de terre, roches, pierres et tout-venant sont nécessaires pour colmater la brèche de la digue près de la Luss. Dans le quartier du Ladhof, plusieurs 41 DNA du 17/02/1990. 42 Ibid. 43 Ibid. 44 Ibid. 45 L’Alsace du 17/02/1990.

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entreprises, situées à l’est de la zone industrielle nord, ont les pieds dans l’eau mais poursuivent leurs activités (notamment la déchetterie). La rue du Ladhof est coupée toute la journée du 16 février, victime du débordement des eaux du canal de la Lauch. A l’ouest de la Colmar, c’est la Fecht qui est en cause, la forêt de la Waldeslust est dans un mètre d’eau. Le maire de Colmar demande au préfet le classement en « zone sinistrée 46 ».

Pour les agriculteurs, la crue de 1990 a deux effets immédiats : les cultures sont lessivées et les terres érodées (engrais emporté). Parallèlement, nombre d’éleveurs sont en situation critique et ont du mal à préserver le bétail des eaux.

Si le trafic ferroviaire et routier (RN 83) est rétabli au cours de la journée du 16 février, plusieurs routes secondaires sont toujours fermées à la circulation :

 RD 1, RD 1bis et RD 1b IV à Herrlisheim.

 RD 18bis entre la RN 83 et la ville de Rouffach.

 RD 430 de Guebwiller au Markstein.

La vallée de la Lauch offre un véritable spectacle de désolation à partir de Buhl : villages inondés, une maison détruite, routes coupées, arrachées, prés submergés, marchandises gorgées d’eau dans les commerces, entreprises et établissements industriels sinistrés, problèmes de potabilité de l’eau,importantes pertes d’animaux et de récoltes. Les berges de la Lauch ont énormément souffert et sont emportées en de nombreux endroits sur des dizaines, voire des centaines de mètres. Dans le reste du département, les crues de l’Ill, la Fecht, la Doller, la Thur engendrent des dégâts de même nature dont le montant est inestimable.

Au vu de l’ensemble des destructions, les élus municipaux et territoriaux sont consternés et ne comprennent pas pourquoi le préfet n’a pas jugé nécessaire de déclencher le plan Orsec. Cela aurait pourtant permis la création d’un poste de commandement unique (soit une organisation optimale) décidant des mesures et ayant à sa disposition tous les moyens. Or, en février 1990, les communes sont seules face aux évènements, parant au plus pressé pour limiter les dégâts en utilisant au mieux les faibles moyens à leur disposition. Aux dires de certains maires, l’armée aurait pu intervenir plus judicieusement, évitant ainsi certains dommages. Cela aura également de graves conséquences économiques car l’Etat ne prendra pas en charge le coût des entreprises ayant travaillé pour déblayer les dégâts et venir en aide aux communes. Une

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véritable polémique se développe autour du non déclenchement du plan Orsec. Mais la réponse de la préfecture est sans appel : « Tous nos moyens ont toujours suffi. Nous avons fait face avec l’ensemble des collectivités, dans une bonne concertation47

». La préfecture déploie une « stratégie étagée » au fur et à mesure que la situation l’exige avec en premier lieu, la mise en place d’un plan d’intervention.

Il va falloir tout reconstruire mais, si ce n’est pas l’Etat, on se demande qui va payer les entreprises à pied d’œuvre? Les communes seront-elles à même de supporter une telle charge financière ? Faudra t-il demander une cotisation aux riverains possédant des droits d’eau ? Le Conseil général déclare qu’il participera financièrement à la réparation et à la reconstruction des ouvrages entrant dans le champ de ses compétences et s’efforcera de rétablir la situation sur les routes et les réseaux départementaux48.

Face à cet état de fait, le président du Conseil général du Haut-Rhin, formule, auprès du préfet, une demande de classement du département en « zone sinistrée par catastrophe naturelle49 ». Une demande collective50 est également formulée sous l’impulsion de Charles Haby, maire de Guebwiller, et contresignée par les maires des 10 autres communes concernées (Buhl, Lautenbach, Lautenbach-Zell, Linthal, Issenheim, Merxheim, Raedersheim, Rimbach, Rimbach-Zell et Soultz). Les habitants sont invités à joindre leur propre déclaration de dommages aux dossiers communaux destinés au préfet. Une fois que les eaux auront baissé, il sera procédé à un inventaire des dégâts occasionnés aux ouvrages publics.

A la suite des revendications du président du Conseil général du Haut-Rhin et de nombreux maires et habitants, Marcel Rudloff, président du Conseil régional d’Alsace, fait parvenir un télégramme au Premier ministre Michel Rocard, dans lequel il demande que, en raison des dégâts provoqués par les récentes inondations et en application de la loi du 13 juillet 198251, l’état de catastrophe naturelle soit constaté sans délai dans les deux départements du Rhin pour que les collectivités et les habitants touchés par cette catastrophe puissent être indemnisés le plus rapidement possible52.

47 L’Alsace et les DNA du 17/02/1990. 48 L’Alsace du 17/02/1990.

49 DNA du 17/02/1990. 50

AMG 13 W 10, Lettre de Charles Haby au préfet, demandant le classement de la région de Guebwiller en zone sinistrée par catastrophe naturelle, le 16 février 1990.

51 Loi (n°82-600) du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes des catastrophes naturelles et

instituant les Plans d’exposition au risque (PER).

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Tandis que l’ensemble des rivières alsaciennes (et le Rhin) accuse une décrue le 16 février en fin de journée, l’Ill, virulente, poursuit sa montée dans le Bas-Rhin en raison des apports de ses affluents (Doller, Thur, Lauch, Fecht, Weiss, etc.). Des problèmes sont signalés à Sélestat, à Strasbourg (caves et rues inondées) mais également dans les vallées de la Bruche (crue centennale), de la Zorn, de la Lauter, la Mossig et de la Moder53. De passage à Strasbourg, Brice Lalonde, ministre de l’Environnement, accompagné du président du Conseil général du Bas-Rhin, se rend à Holtzheim, commune sinistrée par la Bruche, pour constater l’ampleur des dégâts. Toute la région est dans la tourmente, « depuis 30 ans on n’a pas vu ça en Alsace54 ! »