• Aucun résultat trouvé

B) Une démarche méthodologique conditionnée par les sources

3) D’autres sources disponibles à ne pas négliger

Excepté la presse et les ADHR, une multitude de sources susceptibles de contenir des informations utiles sont à la disposition de l’historien pour travailler sur les inondations. Sans entrer dans les détails, voici les principales sources complémentaires auxquelles nous avons fait appel dans le cadre de ce travail de recherche sur la Lauch.

a) Les archives municipales

L’étape suivante de l’enquête historique consistait au dépouillement des archives municipales50 permettant encore d’affiner localement nos connaissances sur les inondations, de gagner en précision, et de compléter les informations livrées par la série C pour le XVIIe siècle et celles livrées par la série W pour le XXe siècle. Après avoir lancé un appel51 à toutes les localités bordant la Lauch, nous avons procédé à l’exploration de leurs fonds d’archives. Le fonds d’archives de la commune de Guebwiller, en cours de classement, a livré nombre d’informations concernant les crues de la Lauch antérieures à la Révolution française. En effet, des renseignements précieux trônent dans la série BB relative à « l’administration communale » (BB 2 pour les inondations d’octobre 1778 et décembre 1779), dans les

49 En l’occurrence ici la chronique de Hans Stolz, Ursprung und Anfang der Stadt Gebwyler, conservée à la

bibliothèque municipale de Colmar sous la cote Ms 539.

50 La plupart des petites communes situées le long de la Lauch a versé ses archives aux ADHR (série O), dont le

contenu s’est, somme toute, révélé assez décevant.

51 En tout, 16 courriers ont été envoyés aux communes riveraines de la Lauch : 12 communes ont répondu à

notre courrier, parmi lesquelles Lautenbach-Zell, Issenheim et Rouffach ont affirmé avoir de la documentation mais n’ont pas souhaité nous recevoir faute de temps et de personnel ; les 9 autres communes ont déclaré posséder au moins un élément (souvent une délibération du conseil municipal) en rapport avec les crues de la Lauch ou le risque d’inondation. Néanmoins, 4 communes n’ont jamais répondu à notre appel, même après relance. Il convient toutefois de souligner que 3 d’entre elles, à savoir Lautenbach, Merxheim et Herrlisheim, sont régulièrement menacées par les crues de la Lauch. Au regard des faits passés, tout laissait à penser que notre démarche d’information aurait été susceptible d’intéresser ces 3 dernières communes. Remercions ici les communes qui ont accepté de coopérer à la présente recherche.

170

documents comptables de la série CC (CC 29 pour l’inondation de février 1774 et la demande d’exemption de corvées extraordinaires ; CC 34 pour l’estimation de dégâts et la réparation du lit de la Lauch à la suite des évènements de 1778 et 1779) et dans la série DD relative aux « Eaux et Forêts et Travaux Publics ». Cette dernière regorge de lettres, rapports, mémoires concernant les projets et travaux de réparation à faire aux ponts de Guebwiller et aux berges de la Lauch (DD 11 pour les travaux consécutifs à l’inondation de 1740), et de nombreuses références à la nomination d’experts visant à l’estimation des dégâts survenus lors des différentes inondations (DD 4 pour octobre 1778, décembre 1779 et avril 1780 ; DD 11 pour les inondations de 1740, 1751 et décembre 1779). Il est également fait mention en 1747 d’une demande d’exemption des corvées après inondation (DD 10). Un dossier très abondant (13 W 10) réunissant des informations sur la crue de février 1990 est également disponible aux archives municipales de Guebwiller (demandes de catastrophes naturelles, déclarations de dommages et indemnisations des calamités agricoles, coupures de presse, photos, etc.).

Les registres de délibérations de la ville apportent encore des renseignements complémentaires. Enfin, signalons que les fonds des archives municipales de Buhl52 et de Linthal53 se sont révélés très utiles à l’avancée de nos recherches. De même que les archives municipales de Colmar, faisant référence à plusieurs crues de la Lauch (BB 45 pour mai-juin 1698 et 1702 et BB 51 pour mai 1481), aux mesures à prendre pour lutter contre les dommages provoqués par celles-ci (BB 45) ou encore à la nomination d’une commission pour surveiller les cours d’eau des environs de Colmar (BB 45).

b) Les archives des administrations en charge de la gestion des cours d’eau

Au sortir du second conflit mondial, la multiplication des organismes en charge de la gestion des cours d’eau engendre la multiplication de sources, réparties entre plusieurs centres de stockage (cf. Etat général des sources dans le tome 2). Il a fallu se rendre dans les différentes administrations et services déconcentrés de l’Etat pour consulter les archives stockées sur place et qui se sont révélées des plus appréciables concernant les crues des XXe et XXIe siècles. Ainsi, plusieurs rapports de crues (1983, 1990, 1995, etc.…2004) ont pu être obtenus auprès du Conseil général du Haut-Rhin, de la DIREN-DREAL et de la DDAF-DDT, des informations sur les dégâts, les réparations, les travaux entrepris sur la Lauch, les stations de

52 Pour les inondations de 1740, 1747, 1751, 1758, 1910,1919 et 1920, 1947, 1990. Le rapport d’intervention des

pompiers de Buhl constitue pour la crue de février 1990, une source inédite.

171

relevé des débits (statistiques) ainsi que diverses cartes (PPRI, zones submergées, fréquences des crues), photographies et autres coupures de presse. De nombreuses informations relatives aux travaux et aménagements ont été fournies par les archives des deux syndicats mixtes de la Lauch, conservées en partie au siège du Conseil général à Colmar. Les archives de la préfecture, quant à elles, nous ont permis d’accéder aux registres de l’enquête publique du PPRI de la Lauch et au document définitif. Si la multiplication des acteurs favorise la production de sources, elle soulève également la question de la gestion cohérente des inondations à l’échelle du bassin versant.

c) En complément de recherche

Notre collection d’informations s’est encore enrichie par la consultation des Archives nationales54 dont le contenu s’est révélé bien décevant55 et par l’exploitation de nombreuses sources imprimées. Parmi celles-ci figure l’œuvre56 de Maurice Champion57 intitulée Les

inondations en France du VIe siècle à nos jours, dans laquelle les chapitres 29 à 31 (tome 5)

sont consacrés au bassin versant du Rhin58. Cette source, incontournable, fait référence à différentes crues de la Lauch59 dont le récit plus ou moins long est parfois masqué par celui des crues de l’Ill ou du Rhin, bien plus dévastatrices et meurtrières. Très souvent, Champion fait des allusions aux crues de la Lauch via la mention de repères géographiques comme par exemple, en 1304, lorsqu’il évoque la « submersion de la vallée du Ballon et de Guebwiller60 » ou encore l’inondation de la « ville de Russach » en 155361. Nous avons également retrouvé des évènements propres à la Lauch sous la mention de termes plus génériques tels que les « autres rivières de l’Alsace62 » pour la crue de septembre 1852 ou

54 Cf. Séries F2 (Ministère de l’intérieur, administration départementale), F10 (Agriculture) et F14 (Travaux

Publics) contenant de nombreuses informations sur les Ponts et Chaussée, les usines et moulins. Les seules mentions d’inondation concernent l’Ill.

55 De nombreuses sources, a priori prometteuses, n’ont pas abouti. C’est le cas, par exemple, des archives des

AGF (aujourd’hui Allianz) pour les déclarations de sinistres dans le cadre de la procédure de catastrophes naturelles ainsi que certains cartons des ADHR.

56

Cf. CŒUR D., L’œuvre de Maurice Champion, réédition de Champion M., Les inondations en France du VIe

siècle à nos jours, Paris, Dunod, 1858-1864, Ecole des Mines, 2000, 30 p. + texte original (6 tomes). 57 CHAMPION M., loc. cit.

58 Sur les 34 chapitres que contient l’ouvrage, seuls 3 sont consacrés au bassin versant du Rhin contre 11 pour la

Seine par exemple. Pourquoi tant d’écart ? Cela résulte de la masse d’information disponible en région parisienne par opposition aux sources éparses disponibles en Alsace eu égard à son passé mouvementé.

59 Seules les crues de la Lauch de 1281, 1740 et 1844 sont directement citées dans l’ouvrage de M. Champion. 60 CHAMPION M., op. cit., p. 3.

61

CHAMPION, M., op. cit., p. 42.

172

encore, pour celle de 1740, « la crue des rivières fut générale en Alsace63 ». Après analyse du récit des crues de la Lauch, il semble que Maurice Champion se soit appuyé en partie, pour les crues comprises entre 1304 et 1720, sur la Chronique des dominicains de Guebwiller64. Pour celles comprises entre 1720 et 1860, il eut recours à des pièces d’archives diverses (journaux, dictionnaires hydrographiques, etc.) dont il n’a pas été possible de vérifier l’authenticité ni même l’existence. Signalons également que l’œuvre de Champion est loin d’être exhaustive au regard de la masse d’information disponible, en effet, de nombreuses lacunes apparaissent dans la chronologie de certains fleuves, notamment dans celle du Rhin. Révélées par les ADHR et d’autres sources, plusieurs crues ne sont pas référencées dans l’ouvrage de Champion, c’est le cas par exemple de la crue de décembre 1779 pour la Lauch ou de celle de septembre 1831 pour l’Ill, d’autres rivières alsaciennes sont également concernées. Cela est très certainement lié à la nature des sources utilisées par Maurice Champion (sources imprimées). Néanmoins, cet ouvrage témoigne d’une grande rigueur scientifique au regard des pièces justificatives, des explications et notes de bas de page qui y figurent65. Même s’il est critiqué par certains historiens en raison de son caractère de « compilation de données », l’incroyable travail d’enquête archivistique réalisé par Champion mérite très largement d’être salué.

Parallèlement, des entretiens ont également été menés auprès de techniciens, de politiques, et auprès de la population. Ainsi, plusieurs témoignages66 ont pu être recueillis. Enfin, de nombreuses sorties sur le terrain ont été effectuées en vue de procéder à des repérages67, de comprendre et analyser la logique des crues de la Lauch. Si les témoignages des ingénieurs et autres « profanes » permettent de préciser les faits, l’historien doit rester prudent quant à leur utilisation car ceux-ci véhiculent, selon Bertrand Risacher, l’opinion et la vision des personnes interrogées68. Les témoignages constituent une source essentielle car les informations livrées ne figurent dans aucun livre et s’éteindront probablement avec les

63 CHAMPION, M., op. cit., p. 52.

64 MOSSMANN X., Chronique des dominicains de Guebwiller (1693-1723), Guebwiller, 1844, 491 p.

65 CŒUR D. loc. cit ; GARNIER E., « Histoire d’eau, histoire du climat. Matériaux et méthodes d’une histoire

du climat en milieux fluvial (XVIè –XIXè siècles) », Les Actes du CRESAT, n°5, Mulhouse, Editions du CRESAT, 2008, p.19-20.

66

BRAHIM W., Perceptions, représentations et mémoires des inondations de 1990. Enquête auprès de la

population de la vallée de Guebwiller, Mémoire de Master d’Histoire sous la direction de M-C. Vitoux et B.

Martin, Faculté des Lettres, Langues et Sciences Humaines (FLSH), Université de Haute-Alsace, Mulhouse, 2010, 88 p.

67 Les traces et indices laissés par les crues dans le paysage constituent également des sources à part entière. A

cela s’ajoutent les repères de crue matérialisés sous les ponts.

68 RISACHER B., Les mutations successives d’un espace enclavé et déshérité. Industrialisation et désindustrialisation dans la vallée du Rimbach du XVIIIe à nos jours, Thèse de doctorat d’histoire sous la

direction de N. Stoskopf et P. Fluck, Université de Haute-Alsace (UHA), Centre de Recherche sur les Economies, les Sociétés, les Arts et les Techniques (CRESAT), 2010, p. 37.

173

personnes qui les détiennent. L’historien apparaît ici comme le transcripteur de ces faits69

qui, grâce à lui, perdureront encore après leur mort. Enfin, à travers les témoignages l’historien peut analyser l’état de la mémoire.

Pour reconstituer la trame des crues de la Lauch, nous avons eu recours à une grande diversité de sources, dont la nature, la qualité, la quantité, la fiabilité et la provenance étaient assez variables. Rappelons le grand intérêt de la presse pour l’obtention d’informations détaillées sur les inondations mais cette source, très empreinte au catastrophisme et à l’exagération, est à utiliser avec beaucoup de précautions. Véritable mine d’informations, la presse participe également à la construction des catastrophes. Il convient ici de rappeler la relative pauvreté des sources antérieures au XVIIe siècle. En effet, suite aux multiples vicissitudes du passé alsacien nombre d’archives ont disparu et celles qui ont perduré, pour l’essentiel de nature religieuse, présentent une fiabilité limitée d’autant qu’elles ne sont pas ou peu vérifiables. A partir du XVIIIe siècle, les sources de nature administrative sont de plus en plus abondantes et émanent pour la plupart de l’Intendance d’Alsace. Au XIXe

siècle, la production d’archives reflète le bon fonctionnement des administrations et l’essor des grands corps d’Etat. Aux XXe et XXIe siècles, la multiplication des organismes producteurs de sources entraîne une dispersion de l’information constituant une difficulté supplémentaire quant à la récupération des données au sein des différentes administrations et autres services déconcentrés de l’Etat, mais aussi quant à l’identification du rôle et des compétences de chacun en matière de prévention, de protection et de gestion du risque inondation dans le bassin versant de la Lauch.

Conclusion :

La démarche ici adoptée consistait en une reconstitution de l’histoire des événements à partir de dépouillements préalables des archives issues de centres et de fonds divers. Cette méthode « régressive » permettant de remonter dans le temps via les nombreuses références aux évènements antérieurs, a permis de restituer la trame des évènements jalonnant l’histoire de la vallée de la Lauch de 1778 à nos jours. Il convient de ne jamais oublier que les sources ont toujours été produites dans une situation, un contexte et dans un but précis. Elles n’ont jamais

174

été produites pour nous ! Il s’agit alors de rester prudent quant au contenu du discours qu’elles véhiculent car celui-ci est toujours motivé par des intérêts spécifiques. En effet, d’après Jacques Berlioz et Grégory Quenet, « les sources écrites ou orales utilisées sont toujours le feu d’un triple enjeu : idéologique, économique et légendaire70

». Les sources ne sont jamais neutres, bien au contraire, elles sont partisanes et comportent des partis pris. Se pose alors la question de leur fiabilité. Pour cela, il incombe à l’historien de procéder impérativement à la contextualisation, à la confrontation et au croisement des sources sur lesquelles il travaille pour approcher au plus près de la réalité des faits et de faire preuve de modestie quant à ses conclusions. Voyons à présent comment utiliser de façon pertinente et surtout comment mettre en valeur les résultats de nos investigations dans les archives.

II)

L’aboutissement de l’enquête en archives : vers une valorisation des