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B) Une démarche méthodologique conditionnée par les sources

1) L’apport de la presse

Sachant que l’Alsace avait été malmenée par les eaux en février 1990, la consultation et le dépouillement de la presse de cette même année ont constitué le point de départ de notre recherche. Faisant sans cesse référence à des catastrophes passées13 pour comparaison, la presse a permis, via une méthode régressive consistant à remonter le temps, de reconstituer une partie des évènements survenus dans cette vallée au cours des XIXe, XXe et XXIe siècles. Les collections de la presse les plus exploitées ont été celles conservées aux bibliothèques municipales de Mulhouse14 et de Colmar15. Bien entendu, selon les périodes, la presse était en langue allemande. Si certains journaux mulhousiens, notamment l’Industriel Alsacien, nous ont permis de suivre la piste des inondations jusqu’en 1836, il n’est nullement question de la Lauch au-delà de 1844 (dans Le Glaneur du Haut-Rhin). Cependant, certains articles évoquent des crues bien plus anciennes telles que celles de l’hiver 1801-1802, celles de 1778 et 1779 ou encore les terribles inondations de décembre 1740. Un article paru dans les DNA du 23 février 1990, rédigé par Michel Haering, historien local, et basé sur des faits relatés dans la Chronique des dominicains de Guebwiller16 , remonte même jusqu’aux évènements de l’an 1304. Pour plus de détails, nous invitons le lecteur à se reporter à l’état général des sources situé en fin de volume.

La presse constitue une source non négligeable en termes d’informations17

sur les crues et leurs dégâts ; néanmoins, l’historien doit redoubler de prudence et de méfiance quant à son utilisation. En effet, si les journaux d’aujourd’hui sont bien plus épais et plus fournis que ceux du XIXe siècle, la qualité de l’information n’y est pas forcément supérieure, bien au contraire,

13 La presse de 1990 fait référence aux évènements de 1983, 1955, 1947 et 1801-1802 ; celle de 1947 aux

évènements de 1910, 1919-1920,1740 pour la Lauch et 1778 pour la Thur ; la presse de 1910 mentionne les crues de 1896 et celle de 1836 à ceux de 1831, etc.

14 Consultation des archives des journaux suivants : le Mulhäuser Tagblatt, L’Express, l’Elsässer Tagblatt, le Neue Mulhäuser Zeitung, l’Industriel Alsacien, L’Alsacien, les DNA, L’Alsace et l’Ami du peuple.

15 Consultation des archives des journaux suivants : l’Elsässer Kurier, l’Elsässer Tagblatt, Le Gebweiler Kreisblatt et Le Glaneur du Haut-Rhin.

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DIETLER Séraphin, Chronique des dominicains de Guebwiller : 1124-1723, traduite et publiée par la Société d’Histoire et du Musée du Florival sous la direction de P. Legin, Guebwiller, 1994, 362 p.

17 Exemple de type d’informations disponible dans la presse : détail des pertes, nombre de victimes, estimation

du montant des dommages, références aux évènements antérieurs, hauteurs d’eau, débits, pertes agricoles, dommages aux ouvrages d’art, routes, habitations,…

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une trop grande tendance au catastrophisme et à l’exagération pour « faire vendre » en fait une source très controversée au sein de la communauté des chercheurs français, suisses18 et allemands19. Toutefois, le recours à la presse est une pratique courante dans d’autres pays (Italie, Royaume-Uni) où elle constitue une source historique à part entière. Citons à titre d’exemple le projet AVI20

dont l’objectif est la reconstitution de l’inventaire des phénomènes naturels survenus en Italie tout au long du XXe siècle, à partir des données contenues dans la presse. De nos jours, la presse joue un rôle important dans la perception et la construction de la catastrophe et du risque en général21. En effet, la médiatisation peut participer à élever un évènement au statut de catastrophe alors que dans les faits, ce n’est pas forcément le cas. Selon Julia Montredon22, la presse a un rôle social dans le sens où la forte médiatisation d’une catastrophe23, bien que très difficile à mesurer, constitue, après coup, une source de mémoire collective locale sur un évènement donné24. C’est le cas par exemple en Alsace, et en particulier dans la vallée de la Lauch, avec la crue de février 1990. Des personnes n’ayant pourtant pas vécu les inondations en gardent, grâce à la presse, des images et souvenirs saisissants (photographies dans la presse écrite, journal télévisé). Néanmoins, les indications révélées par la presse concernant l’importance des crues (hauteurs d’eau, niveaux de gravité…) sont des informations qu’il convient de prendre en considération et qu’il sera possible, le cas échéant, de réutiliser après vérification.

Les grandes inondations figurent bien évidemment dans la presse : c’est le cas par exemple de celles de décembre 1882-janvier 1883 et de janvier 1920 mais aussi de crues plus petites telles que celles de février 1844, octobre 1880 ou encore de mars 1896 (cf. fig. 32 à 36). Signalons

18 PFISTER Ch., Wetternachhersage. 500 Jahre Klimavariationen und Naturkatastrophen 1496-1995, Haupt

Verlag, Bern, Switzerland, 1999, 304 p.

19 GLASER R., STANGL H., « Historical floods in the Dutch Rhine delta », Natural Hazards and Earth System Sciences, 3, 2003, p. 1-9.

20

GUZZETTI F., CARDINALI M., REICHENBACH P., The AVI Project: a bibliographical and archive

inventory of landslides and floods in Italy, Environmental management, 18 (4), 1994, p.623-633.

21 Cf. « Le traitement médiatique des catastrophes : entre oubli et mémoire », 3ème colloque international sur

l’histoire des risques naturels, MSH-Alpes, Grenoble, UMR LARHRA, 10 et 11 avril 2003 ;ALLARD P., « La presse et les inondations dans la région du bas Rhône en 1840 et 1856 », Favier R. et Granet-Abisset A.-M., dir.,

Récits et représentations des catastrophes depuis l’Antiquité, Publications de la MSH-Alpes, Grenoble, 2005, p.

73-92 et MARTINAIS E., « La catastrophe comme construction du champ médiatique. L’éboulement de Fourvière (1930) à travers la presse écrite », Favier R. et Granet-Abisset A.-M., dir., Récits et représentations

des catastrophes depuis l’Antiquité, Publications de la MSH-Alpes, Grenoble, 2005, p. 93-114 ; ORFALI B.,

JOFFE H., « De la perception à la représentation du risque : le rôle des médias », Revue Hermès, n°41, 2005, 208 p.

22 MONTREDON J., « Des journaux contre une "catastrophe". La crue du Guil, juin 1957, dans le Queyras »,

Favier R. et Granet-Abisset A.-M., dir., Récits et représentations des catastrophes depuis l’Antiquité, Publications de la MSH-Alpes, Grenoble, 2005, p. 115-127.

23 La mise en images et en récits de l’évènement aboutit à une représentation construite de la catastrophe, cf.

MONTREDON J., op. cit., p. 117.

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toutefois que la presse a trop souvent tendance à porter son attention sur les plus grandes villes, où les enjeux sont importants, alors que ces dernières ne sont pas toujours les lieux les plus sinistrés. Par exemple, lors de la crue de février 1990, la presse a fait grand cas des dégâts survenus à Guebwiller, occultant ainsi une partie des dommages à Linthal.

Figure 32 : Le Glaneur du Haut-Rhin du 5 mars 1844

Figure 33 : Gebweiler Kreisblatt du 31 octobre 1880 Figure 34 : Gebweiler Kreisblatt du 7 janvier 1883

« Inondations :

- Hauteur d’eau du Rhin : échelle de Huningue, ce matin à 8 H : 3,81 m. En forte baisse.

- Echelle de Vieux Brisach, ce matin : 4,18 m. En forte baisse.

- Echelle de Rhinau, niveau le plus haut hier soir à 19 H : 5,45 m. Ce matin à 8 H : 5,23 m. Baisse lentement.

Guebwiller : A la suite de pluies continues la Lauch

a grossi et s’est transformée en un torrent. Dans la vallée, si peu de dégâts sont à déplorer, en revanche, les prés, en aval de la ville, sont sous les eaux jusqu’à Issenheim. Entre Issenheim et Raedersheim tout n’est plus qu’un immense lac et la route, par endroit, est inondée. Aujourd’hui l’eau a quelque peu reculé ».

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« Rouffach, 12 jan. - Le village a de nouveau

connu des inondations. Le niveau était supérieur à celui enregistré lors des jours de Noël où nous l’avions échappé belle, mais aujourd’hui la rue de la gare et la route départementale sont partiellement sous eau ainsi que plusieurs chemins. Les eaux ont également envahi des maisons d’habitations obligeant les habitants à lutter avec les moyens du bord. Dans les caves inondées, le niveau d’eau est haut et il continue de monter. Au nord et au sud de la rue de la gare les eaux s’étendent à perte de vue ».

Figure 36 : Elsässer Kurier du 13 janvier 1920

L’information livrée par la presse est hiérarchisée et très inégale d’un lieu à un autre et d’un évènement à un autre, d’où la nécessité de rester prudent et de croiser les renseignements qui y sont contenus avec d’autres fonds documentaires.