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A) La singularité du contexte hydrographique alsacien

3) Plusieurs situations de crues possibles

En Alsace, les inondations peuvent avoir deux origines possibles : le débordement d’un ou plusieurs cours d’eau (Ill et ses affluents) ou une remontée de la nappe phréatique. Bien entendu, la combinaison de ces deux phénomènes engendre les inondations les plus graves.

Deux grands types de crues caractérisent les débordements dans le département du Haut- Rhin183 : la crue de type vosgien propre aux rivières de moyenne montagne et la crue de type sundgauvien propre aux rivières sundgauviennes.

La crue vosgienne est caractérisée par une augmentation sensible du niveau des cours d’eau prenant naissance dans les Vosges. Elle a lieu principalement en hiver et au printemps (de décembre à mars). Une certaine homogénéité existe entre les débits de ces cours d’eau. Les crues vosgiennes résultent généralement de pluies abondantes auxquelles est souvent associé un redoux (vent chaud) entraînant la disparition rapide du manteau neigeux (par exemple en février 1990). En été et en automne, les crues engendrées par la pluie ont lieu de mai à octobre et sont de faibles envergures, c’est-à-dire peu débordantes. La Doller, la Thur, la Lauch, la Fecht et le Giessen sont les principaux cours d’eau concernés par ce type de crue dont

181 HUMBERT J., MAIRE G., « Hydrographie », op. cit., p. 4150 et 4152. 182 HUMBERT J., MAIRE G., « Hydrographie », op. cit., p. 4152-4153. 183

On ne distingue généralement que deux types de crues, la faible activité des petits cours d’eau de plaine et autres de nature phréatique ne permettant pas d’engendrer des crues à l’échelle départementale et régionale.

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l’écoulement peut être qualifié de « torrentiel » en hiver. Voici quelques exemples de crues vosgiennes parmi les plus célèbres : hiver 1801-1802, janvier 1910, décembre 1919, décembre 1947, janvier 1955, avril 1983, février 1990, hiver 1993-1994, janvier 2004184.

A l’inverse, les rivières du Sundgau, principalement la Largue et l’Ill en amont de Mulhouse, sont soumises à un régime particulier. Cela dit, il arrive parfois que des crues ayant les mêmes critères que les crues vosgiennes aient lieu dans le Sundgau (à savoir : pluie ou redoux sur les massifs jurassiens entraînant la fonte des neiges et la crue des cours d’eau). De manière générale, les crues sundgauviennes sont caractérisées par une pluviométrie importante dans la zone sud du département du Haut-Rhin, le Sundgau ne subissant que rarement l’effet de foehn. Les crues de la Largue n’ont généralement pas la violence des crues vosgiennes. Les plus fortes probabilités d’apparition se situent évidemment en hiver mais des crues d’été, à la suite de phénomènes orageux, ne sont pas à exclure (par exemple en juin 1990). De plus, compte tenu des caractéristiques géologiques du bassin versant de la Largue, qui consistent en un sol limoneux, de longs épisodes pluvieux saturant les horizons superficiels du sol peuvent engendrer des crues d’assez grande ampleur ainsi que des coulées de boue dévastatrices. Une crue sundgauvienne n’a pas d’impact dans le Bas-Rhin, si elle n’est pas soutenue par la crue des affluents vosgiens de l’Ill. Dans le cas d’une crue localisée dans le Sundgau (les débits des cours d’eau de montagne sont faibles), il y a atténuation de l’onde de crue par l’infiltration vers la nappe et le fonctionnement des champs d’inondation185

.

Les crues de septembre 1852, mai 1856, février 1860, mai 1983, mai 1994, mai-juin 1995 et février 1999 sont à juste titre des crues purement sundgauviennes186.

Cependant, une crue cumulant les deux types (vosgien et sundgauvien) est rare mais pas impossible. Ainsi, la crue de l’Ill en mai 1983 illustre bien ce cas de figure étant donné qu’elle a résulté de l’apparition d’un train d’ondes soutenu par les affluents vosgiens187

. L’Ill est la seule rivière d’Alsace dont les crues peuvent avoir pour origine, soit une crue sundgauvienne, soit une crue vosgienne, soit les deux à la fois.

184 MAIRE G., « Thur », Encyclopédie de l’Alsace, Strasbourg, Editions Publitotal, Vol. 12, 1986, p. 7343 ;

HUMBERT J., MAIRE G., « Fecht », Encyclopédie de l’Alsace, Strasbourg, Editions Publitotal, Vol. 5, 1983, p. 2925 ; HUMBERT J. et MAIRE G., « Lauch », Encyclopédie de l’Alsace, Strasbourg, Editions Publitotal, Vol. 8, 1984, p. 4663 ; HUMBERT J., « Inondations », op. cit., p. 4263-4264 ; WITH L. dir, Approche

interdisciplinaire des inondations historiques dans le Rhin supérieur, Rapport du Programme Junior (2007-

2009), Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme-Alsace (MISHA) p. 41-42 + base de données. Disponibles en ligne sur HAL : http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00822956.

185 WITH L., Gestion et prévention du risque d’inondation : l’exemple du Plan de Prévention des Risques de la vallée de la Largue, Mémoire de Master d’Histoire sous la direction de M-C. Vitoux et B. Martin, Faculté des

Lettres, Langues et Sciences Humaines (FLSH), Université de Haute-Alsace, Mulhouse, juin 2006, p. 50.

186

WITH L., Gestion et prévention…, op.cit., p. 49-67 ; HUMBERT J., MAIRE G., « Ill », op. cit., p. 4169.

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Mai 1983 est une crue sundgauvienne soutenue par la crue biennale voire quinquennale des rivières vosgiennes. Voir pour cela, les archives de la DDT 68, DDAF 68 : Rapport des crues d’avril-mai 1983.

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Lors des crues, les cours d’eau doivent évacuer plusieurs millions de m3

d’eau en seulement quelques jours. En collectant les eaux issues des différentes vallées vosgiennes, l’Ill est souvent incapable de contenir autant d’eau entre les rives de son lit mineur et déborde dans ce que les locaux appellent les « rieds » c’est-à-dire les champs d’inondations. Le Ried de l’Ill (26 000 ha de zones inondables) est principalement situé entre Colmar et Erstein. Dans ce secteur où la nappe affleure la surface, les remontées de nappe constituent un phénomène aggravant. D’autres cours d’eau tels que la Lauch, la Fecht, la Bruche, la Zorn, la Moder, la Sauer, etc., possèdent également des petits rieds dans la partie inférieure de leur cours.

Bien qu’elle soit ancienne, une étude réalisée par le Bureau central d’étude pour les équipements d’outre mer (BCEOM)188

en 1972, dans le bassin de l’Ill moyenne, révèle que seuls 10 à 20 % des dommages survenus lors des crues étaient des dégâts directs. Les dégâts causés à l’agriculture ne dépassaient pas les 18 à 20 % tandis que ceux relatifs aux aménagements urbains et aux infrastructures se situaient entre 60 et 70 %189. Or, en 40 ans, l’Alsace s’est considérablement développée (urbanisation, réseaux de transport, agriculture) induisant nécessairement une augmentation de la vulnérabilité.

Les aménagements et autres dispositifs, visant à mettre hors d’eau localités et habitations, sont efficaces jusqu’à un certain point mais ne sont pas infaillibles, loin de là, en cas de grande crue. Aujourd’hui, personne ne peut empêcher la survenue d’une inondation à caractère catastrophique. Depuis le XIXe siècle, de nombreux aménagements ont été réalisés sur les rivières alsaciennes. De plus, il a été largement prouvé (déjà en 1972 par le BCEOM) que le type d’aménagement a une influence sur la fréquence des débordements (exemple du bassin de l’Ill). En effet, la modification du lit majeur des cours d’eau revient à bouleverser les conditions naturelles d’écoulement lors des crues et conduit bien souvent à aggraver les effets de celles-ci.

En termes d’écrêtement, hormis le barrage de Kruth-Wildenstein sur la Thur, dont la capacité de rétention et de stockage est non négligeable190, les lacs vosgiens ne jouent qu’un rôle mineur.

188 BCEOM, Etude économique des inondations dans le bassin de l’Ill, 2 vol. 125 et 38 p. + annexes, AFBRM,

1972. BCEOM est une société d'ingénierie française spécialisée dans l'aide publique au développement, elle intervient en France et dans de nombreux pays. Depuis 2008, BCEOM a été rebaptisée Egis Bceom International.

189

HUMBERT J., « Inondations », op. cit., p. 4264.

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Néanmoins, contrairement à ce que l’on peut croire, les inondations ont une utilité sans conteste, elles contribuent au maintien de l’équilibre du milieu naturel (rechargement de la nappe phréatique, maintien des zones humides et de leurs écosystèmes) et participent à l’écrêtement des crues (étalement des eaux dans le lit majeur qui permet de ralentir l’écoulement et de fait le débit de pointe de la crue). En effet, supprimer les zones-tampons entraînerait une accélération de l’écoulement, la conservation des volumes d’eau en transit et un accroissement des risques à l’aval. La suppression des zones inondables serait donc une grave erreur. Si, par le passé, l’objectif des grands travaux hydrauliques entrepris en Alsace était de lutter contre les crues et de réduire les champs d’inondation, aujourd’hui, la politique a radicalement changé à ce sujet.

Intimement liée à celle du Fossé rhénan, l’évolution géomorphologique de l’Alsace combine le rôle des mouvements tectoniques, le rôle des anciens climats et le travail des eaux courantes191. Sa position continentale et l’association plaine-montagne lui confère une originalité qu’il convient de souligner. En effet, la grande variété des milieux naturels fait de cette région une sorte de mosaïque de « pays », mêlant rivières de plaines et rivières de moyenne montagne, aux écoulements caractéristiques. De par la densité et la complexité de son réseau hydrographique, l’Alsace constitue un lieu propice aux inondations, dont les plus dévastatrices trouvent naissance dans le massif vosgien. Comme en témoignent les évènements de février 1990, la Lauch illustre parfaitement ce cas de figure. Se posent alors plusieurs questions notamment concernant les caractéristiques et les particularités de la Lauch et de son bassin versant mais également concernant la situation et le comportement de cette rivière.

B)

Les particularités du bassin versant d’une rivière de moyenne montagne : La