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B) Jour après jour, une vision de dévastation

2) Deuxième jour : 15 février 1990

Vers 3 heures du matin, l’alerte est donnée à Guebwiller, la Lauch déchaînée comme jamais sort de son lit, ses eaux boueuses et torrentielles, charriant troncs d’arbres et branches, emportent tout sur leur passage10. Une cellule de crise est mise en place à la préfecture et rassemble les autorités préfectorales, les responsables de la Direction départemental de l’équipement (DDE) et des services de secours et d’incendie. A partir de 8 heures du matin, le cauchemar commence pour les habitants du Florival. Issenheim, Merxheim et Gundolsheim vont également connaître un désastre.

La localité de Buhl est particulièrement sinistrée. « Tout s’est passé en quelques minutes », selon un habitant de Buhl dont le rez-de-chaussée est traversé par les flots. Il a suffi d’un embâcle dans la rivière à hauteur de Lautenbach pour dévier les flots de la Lauch dans les prés, avant de submerger Buhl. A cet endroit, la Lauch emprunte une courbe où le lit s’est avéré trop étroit pour le débit de ces dernières heures. Ainsi, la rivière déborde à plus de 100 m de ses berges et envahit une cinquantaine de maisons du centre-ville. Les rues Saint Gangolf et du Florival sont traversées par une « véritable rivière ». Dans la rue du Paradis, il y a plus de 80 cm d’eau. De nombreuses rues sont submergées et par endroit, l’eau atteint jusqu’à 1,50 m de haut le 15 février (cf. fig. 6). Des digues de terre et de pierres sont érigées en catastrophe devant les propriétés pour dévier autant que possible les flots. Certains habitants percent les murs d’enceinte de leur propriété pour que l’eau puisse s’écouler11

. Le sous-préfet demande l’hélicoptère de la protection civile pour évacuer deux personnes d’une maison cernée par les eaux à Buhl, tandis que d’autres habitants du lieu regagnent leur appartement en passant par la fenêtre depuis le godet d’une tractopelle12

! L’atelier de tôlerie de Nicolas Schlumberger & Cie (NSC) est privé de courant. La Lauch arrache une partie du mur de rive et de la berge à hauteur de la pharmacie. Très vite, la RD 430, couramment appelée « pénétrante13 », est inondée au-delà de Buhl, ainsi qu’une grande partie de la cité Saint-Jean. Une automobiliste prise dans les flots tumultueux de la Lauch est sauvée in

extremis par les pompiers. L’accès au fond de vallée est très difficile d’autant que plusieurs

affaissements de chaussées sont signalés. Le Murbach est aussi en crue et inonde la cave de l’hôtel Saint-Barnabé. 10 L’Alsace du 16/02/1990. 11 DNA du 18/02/1990. 12 DNA du 16/02/1990. 13

Cette route (RD 430) construite en 1931, permet de rejoindre la route des crêtes et le domaine skiable du Markstein.

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A Linthal, les filtres de la station de traitement des eaux potables sont endommagés par la boue et les graviers. La vallée n’est donc plus convenablement approvisionnée en eau potable14.

A Guebwiller, la chaussée est emportée à hauteur de l’hôpital (sur 20 m de long), les eaux ayant affouillé les berges, tout comme dans l’avenue Foch (berges détruites) où un barrage de fortune est mis en place.

Figure 2 : Les eaux tumultueuses de la Lauch à Guebwiller (avenue Foch)

L’eau passe par-dessus le pont du 8 mai. La force des flots a raison de plusieurs digues érigées par les pompiers, l’accès à la ville ne peut se faire que par la « pénétrante » ou par Soultz, le carrefour de la Blechhut et la RN 83 étant sous les eaux. Une digue est installée pour protéger une maison dans la rue du Saering où une partie de la berge est également enlevée. Le pont du Saering est coupé. Mille foyers sont privés de courant durant plusieurs heures. Dans l’après-midi, le barrage de fortune finit par rompre, ce sont des millions de m3

d’eau qui déferlent dans l’avenue Foch, la rue de l’Electricité (semblable à un torrent de boue), le lotissement des Prés et le Kleinfeld à Soultz. Dans ce dernier lotissement, la Lauch inonde les caves à tel point que dans certaines maisons, l’eau dégorge par des fenêtres. « De mémoire de Guebwillerois, on n’avait jamais vu ça ! Même en 1947. Jamais la Lauch n’a déversé autant d’eau dans les rues15

». Au vu de la puissance du courant, les efforts des pompiers, visant à construire un barrage en sac de sable, restent vains. En fin d’après-midi, la

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situation s’aggrave à Guebwiller, l’eau envahit la chaussée, la circulation est interrompue16

. La RD 430 est emportée sur près de 2 km entre Lautenbach et Buhl, à hauteur de l’usine Sévylor, le fond de vallée est dorénavant isolé. L’accès à Issenheim et Merxheim est également barré17.

A Issenheim, les rues du quartier de la Pfleck sont totalement inondées. La Lauch recouvre la rue du canal, il y a jusqu’à un mètre d’eau dans les maisons voisines, y compris dans le sous- sol de l’hôpital et 20 cm d’eau dans la cave et le rez-de-chaussée de l’auberge-relais « Anno 1613 ». Le pont de l’église est dégradé au point de devoir l’arracher18. Les entreprises locales, notamment les anciens bâtiments de SAIC Velcorex19, les locaux de la menuiserie Gossmann et l’usine Cacoja20, dans l’eau, ont énormément souffert21

.

Une digue destinée à contenir l’expansion des champs d’inondation de la Lauch est submergée à Issenheim, entraînant l’inondation du centre-ville de Merxheim. La localité est particulièrement atteinte, les rues sont recouvertes par 1 m à 1,30 m d’eau et la place centrale ressemble à un véritable lac où plusieurs torrents (rues) se rejoignent. Un endiguement de fortune est réalisé par les pompiers22. La station d’épuration est inondée.

A Rouffach, les eaux, plus calmes, inondent le quartier de la Gare. Les jardins ouvriers ne sont pas épargnés et de nombreux chemins sont fermés à la circulation. L’accès à la RN 83 est fermé et pour rejoindre le centre-ville, il faut passer par Pfaffenheim.

Partout la Lauch quitte son lit, on ne compte plus les maisons et les caves inondées, les berges mises à mal et les murs de rive arrachés, les routes coupées, à Linthal, Lautenbach, Buhl,

16 DNA du 16/02/1990.

17 Ibid.

18 Menacé d’être emporté et de causer des avaries aux berges et au pont plus à l’aval, les autorités communales

ont préféré démonter le tablier du pont et ne laisser que le soubassement, facilitant ainsi le transit des eaux de crue.

19 La Société anonyme d’industrie cotonnière (SAIC), créée en 1828 à Mulhouse, possédait plusieurs usines dont

celle d’Issenheim, spécialisée dans le tissage de velours de coton uni et côtelé. En 1976, la SAIC prend le nom de SAIC Velcorex puis est rachetée par DMC en 1987. L’usine d’Issenheim ferme définitivement ses portes en 1988. Premier cotonnier de France et l’un des derniers d’Europe, SAIC Velcorex-Concord appartient depuis 2008 au groupe « Bernard Krief Consulting » en partenariat avec la société pakistanaise « Kohinoor Mills LTD (KML) ». A l’origine, ces bâtiments abritaient, un tissage appartenant à l’Union Textile. D’après HAERING M.,

Histoire d’Issenheim. Le livre du centenaire de la caisse du Crédit Mutuel d’Issenheim, Guebwiller, 1992, p. 122

et 124 ; HAERING M., « Le tissage Hartmann - Union Textile - SAIC Velcorex », Collectif, Deux siècles

d’industrie textile dans le Florival, Guebwiller, 2001, p. 30-31 et www.issenheim.fr

20 Aujourd’hui Sojinal, route de Merxheim à Issenheim. 21

DNA du 16/02/1990.

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Guebwiller, Issenheim, Merxheim, ou encore à Rouffach23. On estime que la vallée du Florival est le secteur le plus sinistré du Haut-Rhin en termes de dégâts matériels24.

Les pompiers, en alerte depuis le 14 février, ont beaucoup à faire et s’inquiètent des nouvelles dégradations annoncées par Météo France ; dorénavant, la menace pèse également sur la population. Plusieurs centres de secours viennent prêter main-forte aux pompiers du Florival, de même que le 152e Régiment d’infanterie (RI) de Colmar qui fournit un contingent d’une centaine d’hommes25

. Radio Florival diffuse un message du sous-préfet et de Charles Haby, maire de Guebwiller et Conseiller général, pour calmer la population26.

Le 15 février à 17 heures, Jean-Jacques Weber, président du Conseil général du Haut-Rhin, se rend à Guebwiller pour constater les dégâts et rappelle que la collectivité territoriale se tient à la disposition des communes victimes des dégâts. De son côté, Charles Haby demande au préfet le déclenchement du plan Orsec27.

Colmar et sa région sont également touchées par ces terribles inondations. Alimentée par les eaux de la Lauch, l’Ill a fortement augmenté au courant de la journée du 15 février, jusqu’à dépasser ses digues par endroits. Vers 23 heures, une brèche d’une vingtaine de mètres s’ouvre, à Colmar, à hauteur du camping d’Horbourg-Wihr et en quelques minutes, tout le quartier de la Luss, soit près de 150 maisons (400 habitants), est sous les eaux28. Il y a 80 cm d’eau dans les rues, les caves et même les maisons. Au Hartenkopf-weg29

, on mesure une hauteur d’eau de 1,80 m. Les pompiers bloquent la circulation dans tout le quartier de la Luss30. Non loin, le quartier du Ladhof est également sous les eaux en raison d’une autre brèche dans la digue de l’Ill mais les dégâts sont minimes31

. Le 15 février au soir, la situation à l’ouest et au nord de Colmar est précaire, la circulation est coupée à plusieurs endroits (crue de la Fecht et de l’Ill). L’armée renforce les digues sur ordre du préfet pour éviter la

23 DNA du 16/02/1990. 24 L’Alsace du 16/02/1990. 25 DNA du 16/02/1990. 26

La diffusion de messages radiophoniques est une pratique courante en cas d’inondation. La population a pour consigne d’écouter la radio pour se tenir informée de l’évolution de la situation. La loi Bachelot du 30 juillet 2003 (n°2003-699), relative à la prévention des risques naturels et technologiques et à la réparation des dommages, a réintroduit et rendu obligatoire les annonces de ce type.

27 L’Alsace et les DNA du 16/02/1990. 28

DNA du 18/02/1990.

29 Le Hartenkopf est le nom du lieu-dit où confluent la Lauch et l’Ill, à l’est de Colmar. Le Hartenkopf-weg

(signifiant littéralement chemin du Hartenkopf) est une rue du quartier de la Luss.

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L’Alsace des 15 et 17/02/1990.

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submersion d’Ostheim. Dans le Bas-Rhin, de nombreux secteurs sont touchés (Sélestat, Schirmeck) et les dégâts sont importants32.

Le 15 février en fin de journée, avec la baisse des températures, une stabilisation du niveau des rivières semble s’être amorcée. De son côté, l’Ill n’a pas encore atteint son maximum prévu pour le 16 février. L’accalmie permet de faire un premier bilan déjà très lourd, les dégâts matériels sont considérables et s’élèvent de prime abord à plusieurs dizaines de millions de francs : de nombreuses voies de communication sont coupées, notamment la RN 83 reliant Strasbourg à Lyon sur plus de 16 km, le trafic ferroviaire est interrompu sur la ligne Strasbourg-Bâle, de même que le trafic aérien en raison d’une tempête. On signale également des dizaines d’habitations noyées sous des torrents d’eau et de boue, des ponts arrachés, des villages isolés, des réseaux (électrique et téléphonique) endommagés à Guebwiller et Turckheim, etc. Les premières estimations font état de 35 à 40 millions de francs de dommage à la seule voirie33.

Les maires des communes touchées, le sous-préfet, les responsables des services de secours de l’équipement (DDE), de la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt (DDAF), sans parler des pompiers et d’EDF, sont sur la brèche depuis plus de 48 heures34

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