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A) Une tentative de classification des crues de la Lauch

3) Mise en application de la méthode de classement et ses résultats

Après avoir dressé le tableau des critères de classification, il convenait de procéder à la répartition des dates de crues, révélées par la chronologie, entre les différents niveaux d’intensité préétablis. Mais de quelle manière cette répartition a-t-elle été opérée ?

Pour cela, le critère retenu a été celui du dommage le plus grave mentionné dans les sources. Si la répartition entre les différents niveaux d’intensité préétablis s’est faite de manière naturelle, évidente et logique pour certains évènements, pour d’autres, des difficultés sont rapidement apparues. En effet, la mise en application stricte des critères n’a pas toujours été possible sans engendrer des erreurs de classement voire des aberrations (sous-estimation ou surestimation des crues),faussant ainsi tout le classement. Pour certaines crues, il a fallu donc recourir à une analyse au cas par cas, la réalité des faits nécessitant de faire preuve de logique et de procéder à quelques réajustements. L’historien se doit en pareil cas de rester objectif et de ne pas minimiser la forte part d’incertitude et/ou d’exagération qui subsiste.

La crue de septembre 1831 a visiblement été importante dans le bassin versant de la Lauch et notamment à Issenheim où un repère de crue matérialise la hauteur atteinte par les eaux sous le pont situé au centre du bourg. Les pertes à l’échelle départementale sont considérables et dépassent le million de francs87. Nombreuses sont les victimes (cf. chapitre IV). Au vu des informations disponibles, la crue de septembre 1831 trouverait normalement sa place parmi les évènements de niveau -1. Or, un document d’archives88 relatif à la crue de février 1844 dont « l’importance est indiscutable89 » au regard des dommages occasionnés, mentionne que la hauteur atteinte par les eaux en février 1844 se situe à 2 cm seulement en-dessous de celui atteint lors de la crue de septembre 1831. Nous pouvons donc considérer que septembre 1831 relève, comme février 1844, des évènements de niveau 3 eu égard à sa hauteur d’eau. Le même problème s’est présenté lors du classement de la crue de mars 1876. Bien que cette dernière soit citée en référence à de nombreuses reprises dans les documents d’archives (rapports d’ingénieur, correspondance)90

, dans les journaux91 et autres ouvrages92 comme étant d’une intensité hors du commun, très peu d’informations sont disponibles quant au détail

87 ADHR 1 P 439.

88 ADHR 7 S 21, Rapport du piqueur des Ponts et Chaussées, sur la crue extraordinaire qui a eu lieu à la fin du

mois passé ainsi que des dégâts occasionnés sur la route royale n°83 de Lyon à Strasbourg, le 21 mars 1844.

89 Ibid. 90

ADBR, 240 D 1127, Ober Präsident Elsass-Lothringen an Bezirkspräsident Ledderhose, le 15 février 1877.

91 Cf. le Gebweiler Kreisblatt du 14 janvier 1883 ; Neue Mülhauser Zeitung du 20 au 24 janvier 1910, L’Express

du 21 janvier 1910, l’Elsässer Tagblatt du 21 janvier 1910 ; l’Elsässer Kurier des 14, 16 et 21 janvier 1920.

92

GRAD Ch., Etude sur les cours d’eau de l’Alsace. Leurs débordements et leur régularisation, Colmar, 1876, 63 p.

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des dommages occasionnés lors de cette crue. L’étude des évènements de grande ampleur (niveau 4) nous a permis d’en savoir un peu plus sur la crue de mars 1876 notamment à travers le récit de celle de décembre 1882-janvier 1883, à travers celui de janvier 1910 avec laquelle il est possible d’admettre une analogie ou encore avec la crue de janvier 1920 qui submerge les quartiers sud de la ville de Colmar. Dans le récit de cette dernière, il est indiqué qu’il faut remonter à 1876 pour une crue similaire à Colmar93

. Nous en voulons pour preuve, les repères de crues matérialisés sur la culée du pont du chemin de fer situé dans la forêt du Neuland à Colmar, où la Lauch a atteint, en janvier 1920, le niveau de la crue record de mars 1876. La crue de mars 1876 mérite donc sa place parmi les évènements de niveau 4.

Figure 37 : Repère de crue au pont de la Lauch à Colmar-Neuland (Photo L. With)

En appliquant strictement nos critères, les crues de 1831 et 1876 devraient figurer dans des catégories inférieures à la réalité des faits, sous-estimant ainsi l’impact de ces évènements. Ainsi, la comparaison de différentes crues de la Lauch a permis de pallier l’absence de sources par extrapolation des informations disponibles dans le récit d’autres crues de même puissance. En raison de sa rigueur scientifique et de son honnêteté intellectuelle, l’historien ne pouvait pas ignorer ces informations, même si des critères précis ont préalablement été déterminés. Par contre, dans certains cas, l’extrapolation est impossible. La crue de décembre

93 Elsässer Kurier du 14 janvier 1920.

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1860-janvier 1861, dite « excessive pour toutes les rivières d’Alsace94 », a été classée en niveau -1 en raison de l’absence de détail relatif aux dommages occasionnés. Même cas de figure pour la crue vicennale de février 1978 dont le manque d’information lui a valu d’être classée en niveau -1 plutôt qu’en niveau 2 ou 3. Aucune information complémentaire n’a permis d’affiner le classement de ces évènements.

A l’inverse, certaines crues ont tendance à être surévaluées ou surestimées par les sources. Faussant notre classement, ces évènements ont du être rétrogradés dans des niveaux d’intensité inférieurs. Certaines crues, comme celle d’octobre 1880, doivent être relativisées car les dégâts ne sont pas forcément provoqués par une crue extrême. En effet, certaines sont dues à un mauvais entretien des cours d’eau et de leurs ouvrages. En octobre 1880, la Lauch emporte des ponts en bois et même si ceux-ci étaient en bon état, cela n’est en rien comparable avec l’enlèvement d’un pont en béton comme ce fut le cas en décembre 1947. La crue d’octobre 1880 appartient donc aux évènements de niveau 3 et non de niveau 4. Même cas de figure les 9 et 10 février 1970 où la crue était loin d’avoir l’impact et la puissance de décembre 1947, d’où son classement parmi les évènements de niveau 3.

Des réajustements sont indispensables afin de conserver une cohérence dans la classification des crues de la Lauch. Par exemple, en avril 1836, le rapport de l’ingénieur des Ponts et Chaussées95 mentionne une rupture de digue. Une telle destruction d’ouvrage placerait l’évènement dans les crues extrêmes de niveau 4, or, aucun dommage n’a été signalé puisque la rupture n’a miné que 12 ares de terrain agricole. Dans le cas présent, il s’agit d’une rupture par voie d’érosion, sans commune mesure avec une rupture provoquée par la puissance d’une crue extrême. La crue d’avril 1836 a donc été classée parmi les évènements de niveau 2, relatifs aux dommages agricoles moyens. Il en est de même pour la crue de décembre 1868, lors de laquelle, le lit de la Lauch a été comblé sur 600 m de long entraînant l’ouverture d’un nouveau lit, la submersion des propriétés voisines et la ruine des récoltes. L’évènement de décembre 1868 a été placé parmi les crues de niveau 2 car il était loin d’avoir les mêmes conséquences que l’évènement de décembre 1801-janvier 1802 (niveau 4) généralisé à l’ensemble du bassin versant. Il convenait donc de relativiser son impact, somme toute, très localisé. Les exemples de ce type sont nombreux dans la chronologie des crues et inondations de la Lauch, nous pouvons également citer celui de janvier 1880 (niveau 2) qui ne fit que des

94

ADHR 7 S 21.

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dommages très localisés à Issenheim96. Aucune information n’est disponible concernant une autre commune du bassin versant à cette date. L’absence d’information dans les archives est à mettre en relation avec l’absence de dégât et inversement. Ceci constitue une des limites des sources et donc de notre recherche toute entière puisque celle-ci dépend des dommages. En conséquence, il apparaît qu’une certaine souplesse est nécessaire quant à l’application des critères de classement et à la décision de répartir telle crue dans tel ou tel niveau d’intensité. Les rajustements opérés par l’historien, en toute objectivité, permettent au système de conserver un certain équilibre. L’absence d’exhaustivité des sources constitue donc une des limites de ce modèle.

Après avoir appliqué nos critères de classement aux récits de crues figurant dans la chronologie, il en est ressorti, pour les 107 crues de la Lauch répertoriées, la répartition suivante :

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Niveaux Crues Nb. total

par niveau Niveau -1 Evènements avérés peu renseignés (non localisés)

Avril 1780 - 1781 - sept. 1786 - 1788 – frimaire an X (nov.-déc. 1801) - déc. 1823 - juin 1831 - fév. 1834 - juin 1845 - sept. 1852 - déc.

1860/janv. 1861 - hiver 1864/1865 - fév. 1876 - déc. 1895 - fév. 1897- printemps 1909 - déc. 1925/janv. 1926 - janv. 1948 - janv. 1968 - fév. 1977 - nov. 1977 - fév.1978 - janv. 1979 - fév. 1980 - mars 1981 - janv. 1982 - déc. 1982 - nov. 1984 - janv. 1986 - mars 1986 - janv. 1987 - juil. 1987 - mars 1988 - déc. 1988 - déc. 1991 - nov. 1992 - (20/25) déc. 1993 - déc. 1993/janv. 1994 - déc. 1995 - janv. 1998 - oct. 1998 – déc. 1999 - mai 2000 - fév. 2002 – nov. 2002 – janv. 2003 – mars 2006 47 Niveau 1 Evènements faibles (localisés concernant tout ou une partie du cours de la Lauch)

Mars 1787 - janv. 1860 - fév. 1860 - mai 1863 – mars 1896 - fév./mars 1931 - sept. 1931 - hiver 1939/1940 - nov. 1950 - janv. 1952 - janv. 1962 - fév. 1979 - (27/28) fév. 1990 - janv. 1995 - fév. 1997 - fév. 1999 - mars 2001 17 Niveau 2 Evènements moyens (localisés concernant tout ou une partie du cours de la Lauch)

Janv. 1810 - juin 1829 - déc. 1833 - janv. 1834 – avril 1836 - déc. 1839 - déc. 1859 - avril 1862 - déc. 1868 - janv. 1880 - fév. 1904 - fév. 1957 - déc. 1981 - mai 1983 - fév. 1984 - janv. 1985 - janv. 2004

17 Niveau 3 Evènements forts (localisés concernant la quasi-totalité du cours de la Lauch)

Pluviôse an IX (janv./fév. 1801) – ventôse an IX (fév./mars 1801) – (28/29) ventôse an IX (19/20 mars 1801) - sept. 1831 - janv. 1840 - fév. 1844 - janv./fév. 1862 - oct. 1880 - nov. 1926 - déc. 1935 - fév. 1958 - (2/5) fév. 1970 - (9/10) fév. 1970 - avril 1983 14 Niveau 4 Evènements exceptionnels, hors normes, dont l'ampleur géographique, économique et sociale est sans

précédent

(généralisés à l'ensemble du cours de la

Lauch)

Oct. 1778 - déc. 1779 - nivôse an X (déc.1801/janv.1802) - mars 1876 - fév. 1877 - déc. 1882/janv. 1883 - janv. 1910 - déc. 1919 - janv. 1920

- déc. 1947 - janv. 1955 – (14/19) février 1990 12

Nombre de crues total 107

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Quelques remarques peuvent néanmoins être formulées quant à la répartition de certaines crues :

- La crue de septembre 1852 figure parmi les évènements de niveau -1 car, d’origine sundgauvienne, elle est quasiment insignifiante dans les vallées vosgiennes. Même si la Lauch a connu une petite crue au cours de cet épisode, son récit et ses éventuels dommages ont totalement été éclipsés par le récit des crues funestes de l’Ill, de la Largue et du Rhin qui ont touché plus d’une trentaine de communes97

.

- Aussi tristement célèbres qu’elles puissent être pour l’Alsace, les crues de septembre 1852, mai 1856 et février 1860 n’ont pas été destructrices dans la vallée de la Lauch (niveau 1). Notons d’ailleurs qu’aucun évènement n’est signalé dans la vallée de la Lauch au cours de l’année 1856 alors que de terribles inondations ravagent une grande partie du pays.

- Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la crue d’avril 1983 est classée parmi les évènements de niveau 3 car un manque évident d’information ne permet pas de la classer dans le niveau 4 où elle aurait pu avoir sa place, au vu de l’ampleur de l’épisode vosgien.

- La crue de mai 1983, d’origine sundgauvienne et théoriquement sans effet pour la Lauch, figure néanmoins pour cette dernière parmi les évènements de niveau 2 en raison des dommages occasionnés en plaine par les importantes remontées de la nappe phréatique.

- Lorsque la Lauch déborde, elle cause systématiquement des dommages donnant lieu à la production de sources. Il y a peu de trous ou de longue période vide dans la chronologie, laissant penser que de petites crues sans gravité et sans dommages aient pu avoir lieu.

Le graphique ci-dessous (cf. fig. 38) matérialise la répartition des 107 crues de la Lauch, répertoriées entre 1778 et 2013, selon leur niveau d’intensité. Ainsi, 44 % de l’ensemble des crues recensées sont des crues de niveau -1. Les niveaux 1, 2 et 3 atteignent respectivement 16 %, 16 % et 13 %. Les crues de niveau 4 représentent 11 % du total des crues survenues dans cette vallée au cours du même intervalle.

97 ADHR 7 S 11, 1 P 393 et 1 P 394.

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Répartition des 107 crues de la Lauch par niveau d'intensité de 1778 à 2013 44% 16% 16% 13% 11% Niveau -1 Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3 Niveau 4

Figure 38 : Représentation graphique de la répartition des 107 crues de la Lauch par niveau d’intensité (1778-2013)

Après plusieurs essais peu concluants, une classification des crues de la Lauch a été élaborée d’après le critère de l’impact post-évènement c’est-à-dire à partir des dommages (vulnérabilité) survenus dans la vallée de la Lauch. L’événementiel a de cette façon pu être doté d’une notion quantitative. Quatre niveaux d’intensité ont été retenus, correspondant aux événements faibles, moyens, forts et exceptionnels. Une catégorie supplémentaire (niveau -1) a été spécialement créée pour les évènements avérés peu renseignés de manière à n’écarter de l’analyse aucune information historique. L’application stricte des critères de classement pour opérer la répartition des 107 crues de la Lauch entre les différents niveaux d’intensité était loin d’être évidente à mener et a nécessité dans certains cas de procéder à quelques réajustements pour éviter les aberrations (sur- et sous-estimations). De cette répartition, il résulte : 47 crues de niveau -1, 17 crues de niveau 1, 17 crues de niveau 2, 14 crues de niveau 3 ainsi que 12 évènements extrêmes de niveau 4. La classification a finalement rempli son office à savoir l’identification et la définition des évènements exceptionnels. Très destructeurs, ces derniers ont tout particulièrement retenu notre attention aussi, avons-nous décidé de leur consacrer une étude plus approfondie.

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