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Dans le domaine des risques, les travaux proposés par les historiens modernistes et contemporanéistes, dont l’avenir est très prometteur en termes d’informations destinées au grand public et aux administrations en charge du risque, sont inédits et relativement récents. Les préoccupations de la société actuelle ayant encouragé la multiplication des travaux sur les risques naturels, les historiens ont été invités, par les spécialistes des autres disciplines, à donner leur avis sur la question et à fournir quelques explications. L’arrivée des historiens sur la scène du risque apporte un regard neuf et introduit la réflexion sur le temps long, pratique étrangère aux sciences dites exactes, permettant de suivre l’évolution des réactions des communautés et de leurs pratiques face au risque. Jusqu’à présent, les archives étaient souvent utilisées dans un but informatif. Dès lors, leur consultation s’avère primordiale à la bonne connaissance des risques et par conséquent, à une meilleure prévention de ceux-ci. Il convient alors de s’interroger sur le véritable rôle de l’historien.

D’après René Favier et Anne-Marie Granet-Abisset, le rôle de l’historien semble, bien souvent, se limiter à un inventaire des évènements passés, on attend de lui les « renseignements les plus précis et les plus anciens possibles sur la réalité d’un phénomène2 » comme l’inondation par exemple. On a trop souvent tendance à croire que sa mission se limite à un « travail de technicien des archives, de lecteur des documents spécifiques et

1 DESPLAT Ch., « Pour une histoire des risques naturels dans les Pyrénées occidentales françaises sous l’Ancien

Régime », Les catastrophes naturelles dans l’Europe médiévale et moderne, Actes du colloque de Flaran XV (10-12 septembre 1993), Toulouse, P.U.M., 1996, p. 122-129.

2 FAVIER R., GRANET-ABISSET A-M., « Postface - Pour une histoire des catastrophes naturelles : une étape

dans une recherche collective », Favier R. et Granet-Abisset A-M., dir., Histoire et mémoire des risques naturels, Actes du séminaire international, Publications de la MSH-Alpes, Grenoble, 2000, p. 272.

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difficilement accessibles, de transcripteur de faits avérés3 ». Citons à juste titre le cas alsacien où certains documents conservés aux archives départementales du Haut-Rhin sont difficilement déchiffrables puisqu’écrits en allemand gothique. Illisibles pour le plus grand nombre, le recours à la paléographie, pratique familière aux historiens, et à l’allemand dans le cas présent, est bien souvent nécessaire. Cette vision, très réductrice du rôle de l’historien et de la discipline elle-même, ne constitue heureusement pas une réalité en soi. Habituellement sollicitée pour reconstituer la trame des événements catastrophiques et de leur mémoire dans le but d’affiner la connaissance des risques naturels, la compétence de l’historien est, au final, bien loin de se limiter à une simple recension des faits passés inscrits dans les archives4. L’historien a pour tâche d’interroger, d’analyser et de critiquer les documents sur lesquels il travaille car il n’est pas question de croire naïvement que les informations mentionnées dans les archives sont le juste reflet de la réalité. Ainsi, l’historien doit donner un sens au document en replaçant l’événement ancien dans son contexte et en posant les bonnes questions : qui est l’auteur du document ? A qui est-il destiné ? Dans quel but et dans quel contexte a-t-il été produit ? Quel est le point de vue de l’auteur ? De quel type de documents s’agit-il5

?

Cette contextualisation est fondamentale car elle permet la compréhension des circonstances dans lesquelles les phénomènes se sont déroulés et surtout nous renseigne sur la fiabilité et la pertinence de la source, de l’information. Un point d’honneur doit donc être accordé à la traçabilité des documents. En effet, c’est par la confrontation des différentes sources indispensables pour infirmer ou confirmer la véracité des informations, puis par la critique de celles-ci que l’historien parvient, selon A-M Granet-Abisset, à découvrir la vérité sinon à s’en approcher6. Très constructive, la critique des documents est indispensable à toute analyse historique. Néanmoins, le traitement et l’exploitation des sources sont à entreprendre avec beaucoup de réserve. En effet, l’historien doit être prudent et rester objectif car il travaille sur des sources subjectives ou partisanes, sur des sources fragmentaires, lacunaires ou encore sur des silences. L’absence de documents ou de mentions dans les archives peut signifier absence ou au contraire banalité de l’évènement. Par exemple, pour la rivière Largue, ce sont les silences des archives qui ont révélé la faiblesse du risque, des enjeux et de la vulnérabilité7.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Voir GRANET-ABISSET A.-M., BRUGNOT G., « Le recueil et le traitement des données », Granet-Abisset

A.-M. et, dir., Avalanches et risques : regards croisés d’ingénieurs et d’historiens, Publications de la MSH- Alpes, Grenoble, 2002, p. 25.

6 GRANET-ABISSET A-M, op. cit., p.45. 7

WITH L. « Des archives pour « prédire » le risque : cas du bassin de la Largue (Haut-Rhin, France) », dans Nancy Meschinet de Richemond (dir.), Quelle archives aujourd’hui pour mieux gérer les risques demain ?

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Ainsi, ce n’est pas le silence qui parle de lui-même mais l’historien qui entend et comprend le silence. C’est lui qui fait parler les archives. Pour l’historien, les trous ou les silences constituent une source en soi, tout aussi révélatrice que les informations elles-mêmes. N’apparaissent dans les archives que les évènements ayant eu une incidence sur la vie des hommes et ayant provoqué de grands dommages. En effet, les inondations n’ayant occasionné aucun dégât n’ont pas lieu de figurer dans les documents anciens, puisque sans conséquence sur les biens et les personnes. C’est ainsi que de nombreuses crues et inondations de la Lauch sont passées sous silence et ont complètement disparu de la mémoire collective. L’étude des archives permet donc de comprendre pour quelles raisons et de quelle manière, une société donnée conserve ou non la mémoire du risque. Cependant, il s’agit de rester vigilant quant aux erreurs d’interprétation car l’abondance de sources n’est pas forcément proportionnelle à la taille de l’évènement.

L’objectif de l’historien n’est pas de tendre vers l’exhaustivité, loin de là. Très apprécié des autres disciplines scientifiques pour ses qualités « d’analyste des archives8 », on lui reconnaît généralement une certaine « capacité de recul9 ». Ainsi, en procédant à une étude sur plusieurs siècles, l’historien peut cerner les grandes phases, les ruptures, les « moments tournants » des politiques de gestion et de prévention des inondations et également ceux où le rapport des populations avec le risque a changé. Par exemple, le passage des inondations considérées comme une « punition divine » à celui de simple fléau climatique est particulièrement visible au début du siècle des Lumières, selon Bertrand Desailly et Serge Briffaud10. De nos jours, le recours aux archives et à l’information historique en général est de plus en plus fréquent, que ce soit par les autres disciplines scientifiques, pour la construction et le calage de leur modélisation11 ; ou par les pouvoirs publics dans le débat sur la prévention des risques, pour aider, comprendre ou convaincre la prise de décision en matière d’aménagement du territoire ou de gestion et de prévention du risque (politiques successives et documents réglementaires) ; ou tout simplement pour raviver ou promouvoir la culture du risque auprès des populations (plaquettes informatives). La démarche historique est, de manière générale, mieux acceptée et mieux comprise par la population par rapport à une approche scientifique Approches géographiques et historiques, Collections Géorisques, n° 3, Montpellier, Presses Universitaires de la

Méditerranée (PULM), 2010, p. 64.

8 GILBERT C., « Risques, crises et histoire. Quelques attentes à l’égard des historiens », Favier R., dir., Les pouvoirs publics face aux risques naturels dans l’histoire, Publications de la MSH-Alpes, Grenoble, 2002, p.371 9

Ibid.

10 DESAILLY B., BRIFFAUD S., « La poche d’eau. L’interprétation des crues et inondations dans les Pyrénées

(17e-20e siècles) », Publication de l’association « Histoire au présent », Histoire des catastrophes naturelle :

Paysages – Environnement, Paris, collection Sources travaux historiques (n°33), 1993, p. 39-49. 11 GRANET-ABISSET A-M., op.cit., p.56.

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plus technique (comme par exemple, les modélisations hydrauliques). Cela tient certainement au côté humain et authentique de la discipline historique laissant à la population la possibilité de se projeter dans le passé, de faire appel à sa mémoire et à celle de ses ancêtres ayant vécu la catastrophe. L’information historique participe ainsi, comme le précise Paule-Annick Davoine, à l’appropriation du risque par la population12

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En rétablissant la chronologie des évènements inondants et en analysant la gestion passée des risques, l’historien dit le risque, donc il le prédit en rendant possible le retour d’expérience. Il s’agit de prendre en compte les expériences passées pour une meilleure connaissance de l’aléa, dans un but d’anticipation, de prévention et pour une gestion efficace du risque. Ainsi, à travers les archives, l’historien peut entrevoir la mémoire des inondations, sa transmission et vient combler les lacunes de celle-ci.

L’information, la prévention et la protection des populations contre le risque d’inondation passent nécessairement par une bonne connaissance de celui-ci. Pour se faire, il incombe à l’historien d’intervenir et d’entreprendre une « véritable enquête » dans les archives et auprès des différents acteurs du risque pour reconstituer l’histoire des évènements passés permettant de s’approprier le risque. Il s’agit d’utiliser les expériences passées pour mieux se protéger des évènements dommageables qui pourraient survenir aujourd’hui comme demain. La bonne connaissance du risque dépend donc de l’historien. Mais quel type d’archives, ayant résisté à l’épreuve du temps, va-t-il pouvoir exploiter ?