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D) Février 1990 : un évènement hydrométéorologique hors du commun

1) Les causes et explications météorologiques de la crue de février 1990

« L’hiver 1989-1990 restera dans les mémoires comme celui de tous les paradoxes et de tous les excès129 ». En effet, durant une bonne partie de l’année 1989 et jusqu’au mois de janvier 1990, l’Alsace souffre d’un déficit hydrique notable (sécheresse exceptionnelle depuis 10 ans). Transformé en croûte imperméable, le sol, trop sec, ne parvient pas à absorber la totalité des précipitations du mois de février (2 ou 3 jours de pluies intenses) et il s’ensuit de terribles débordements aux conséquences désastreuses. Cette sécheresse constitue de fait une conséquence aggravante.

En l’absence d’un anticyclone sibérien, les perturbations venues de l’Atlantique ne rencontrent aucune résistance ; au lieu de s’écraser sur la Bretagne, elles se déplacent vers l’est. Tempête et inondations se relayent au plus grand malheur des Alsaciens. La douceur de l’hiver est en cause et a pour première répercussion, des pluies inhabituelles. La répartition des pluies de février 1990 est typique d’une période printanière avec des maximums pluviométriques sur les crêtes et des minimums en plaine en raison de l’effet de foehn. A la fin février, l’excédent pluviométrique atteignait 30 % en plaine à Meyenheim et 230 % au lac d’Alfeld. Excepté celui de 1970, le mois de février 1990 est le plus arrosé depuis celui de 1949 : il tombe 49 mm de pluie à Meyenheim et 580 mm à Sewen. A noter cependant que l’essentiel des pluies de février 1990 est recueilli en deux périodes très brèves, du 10 au 15 et du 26 au 28 février. L’ensemble de ces pluies représente 90 % de la lame d’eau mensuelle. Cette distribution originale des pluies n’est pas sans rappeler celle de février 1970 qui donna lieu à une double crue. Toutefois, la pluie n’est pas seule en cause dans la genèse de cette crue ; la fonte des neiges a sa part de responsabilité et constitue à ce titre la seconde répercussion d’un hiver trop doux. Si les pluies à l’origine des crues sont celles tombées sur

129 L’Alsace du 09/03/1990.

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les sommets vosgiens, aux 248,7 mm tombés au lac d’Alfeld les 13 et 14 février, il convient d’ajouter 80 mm d’eau issus de la fonte des neiges à plus de 800 m d’altitude, soit un total de 328,7 mm d’eau à Alfeld en seulement 2 jours. Par ailleurs, une seconde crue survient fin février, mais plus atténuée en raison de l’absence de la fonte des neiges. A ces éléments naturels déjà particuliers se rajoute un vent hors du commun. En effet, février 1990 est un mois extrêmement venteux (tempête sur les crêtes, vent compris entre 100 et 130 km/h en moyenne et jusqu’à 150 km/h le 27 février). Les dégâts sont nombreux en forêt. Enfin, il importe de signaler des températures excessivement chaudes pour un mois de février et responsables de la fonte de neiges. A Meyenheim, la température moyenne mensuelle atteint celle d’un mois d’avril, avec 4,5°C. Un record de température de plus de 30 ans est même battu le 25 février, à Meyenheim, où le mercure affiche 21,8°C. (Le record précédent datait de février 1958 avec 20,6°C)130. La cause principale de la crue de février 1990 réside incontestablement dans des précipitations abondantes et hors du commun (cf. tableau 1).

130 DNA fin février 1990.

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Tableau 1 : Hauteurs des précipitations ponctuelles relevées entre le 11 et le 15 février 1990 aux différents postes pluviométriques alsaciens (en mm)131

(Source : Archives DREAL Alsace, SRAE : Rapport sur la crue des 15 et 16 février 1990, juillet 1990)

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Figure 16 : Localisation des stations de relevés hydro-climatologiques

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Ainsi, au vu des données rassemblées dans le tableau 1, il tombe 317,7 mm de pluie au poste de Linthal-Lac de la Lauch entre le 11 et le 15 février.Cependant, les pluies les plus intenses tombent les 13 et 14 février (respectivement 135,5 mm et 107,1 mm). La répartition géographique des pluies reste, quant à elle, conforme à la spécificité alsacienne avec un maximum pluviométrique prononcé sur le sud du massif vosgien (Ballon d’Alsace surtout) et un gradient pluviométrique marqué entre le sud et le nord des Vosges ainsi que d’ouest en est, entre la zone de montagne et la zone de plaine132.

En d’autres termes, une décroissance des pluies apparaît nettement du sud au nord et d’ouest en est. Si nous prenons quatre postes situés selon un axe sud-nord (cf. fig.16), le constat est édifiant : 312,6 mm de pluie sont tombés, les 13 et 14 février 1990, au poste de Sewen (P5) contre 242,6 mm au poste de Linthal-Lac de la Lauch (P7), 224,2 mm à celui de Metzeral (P9) et 166 mm à celui de Rothau (P13). Il en est de même d’ouest en est, comme le prouvent les relevés des postes de Linthal-Lac de la Lauch (242,6 mm) et de Horbourg (17 mm).

Quelques jours auparavant, à partir du 10 février, ont eu lieu des chutes de neiges, atteignant 40 à 50 cm au-dessus de 1 000 m d’altitude. La forte pluviométrie133 des 13 et 14 février sur le relief, accompagnée d’un redoux significatif (4 à 5 °C le 13 février en fin de journée) provoquent une brusque fonte des neiges (cf. fig.17).

132 Même phénomène en avril 1983. 133

L’intensité horaire moyenne des pluies était de l’ordre de 10,1 mm/heure les 13 et 14 février 1990 à la station de Linthal-Lac de la Lauch.

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Figure 17 : Pluviométrie du 10 au 16 février 1990 à la station de Linthal-Lac de la Lauch (1 130 m d’altitude)134

(Source : Archives DDT 68, DDAF 68, d’après les informations de la Météorologie Nationale)

Par ailleurs, si l’on considère qu’il tombe en moyenne 1 800 mm de pluie par an à la station de Linthal-Lac de la Lauch, les 334 mm tombés en 6 jours représentent 18,5 % des précipitations moyennes annuelles et plus du double d’un mois de février normal (cf. fig. 18).

134 Chiffres extraits du tableau 3.

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Figure 18 : Précipitations exceptionnelles enregistrées en février 1990 à différentes stations135

(Source : Archives DREAL Alsace, SRAE, d’après les informations de la Météorologie Nationale, février 1990)

La pluviométrie tombée sur le relief, les 13 et 14 février, est de l’ordre cinquantennal voire même centennal à certains endroits (cf. tableaux 2 et 3). C’est le cas, par exemple, à Sewen (poste P5) où il tombe 312,6 mm de pluie, ce qui équivaut à une période de retour de l’ordre de 50 ans (311 mm), la fréquence centennale étant estimée à 341 mm. Estimée à 220 mm à Metzeral (poste P9) et à 160 mm à Rothau (poste P13), la fréquence centennale est dépassée avec, respectivement, un total pluviométrique de 224,2 mm et 166 mm en 2 jours136. Géographiquement situé entre Sewen et Metzeral, le poste de Linthal-Lac de la Lauch (poste P7) devrait totaliser, en 2 jours consécutifs, une pluviométrie centennale comprise entre 220 mm et 341 mm. Or, en 48 heures, il tombe 242,6 mm au poste de Linthal-Lac de la Lauch. Au vu de ces relevés, nous pouvons penser que la pluviométrie est également de l’ordre centennal en 2 jours à ce poste. Cependant, en l’absence de statistiques caractérisant les périodes de retour des pluies au poste de Linthal-Lac de la Lauch, il convient de rester prudent et de considérer la fréquence de retour des pluies de février 1990 comme étant comprise entre 50 et 100 ans. Par ailleurs, dans le Sundgau (31,2 mm au poste P1 à Waldighoffen) et la plaine

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Les valeurs chiffrées proviennent du tableau 3.

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d’Alsace (17 mm au poste P8 à Horbourg-Wihr), les périodes de retour de la pluviométrie, sur la même durée, sont beaucoup plus modestes puisqu’inférieures à la fréquence biennale137.

Tableau 2 : Période de retour de la pluviométrie aux différents postes pluviométriques (en mm)

(Source : Archives DREAL Alsace, SRAE, d’après les informations de la Météorologie Nationale)

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Tableau 3 : Hauteurs d’eau recueillies du 10 au 16 février 1990 aux différents postes pluviométriques (en mm)

(Source : Archives DREAL Alsace, d’après les informations de la Météorologie Nationale, février 1990)

Le tableau ci-dessus met en évidence le fait que la haute vallée de la Lauch (337,4 mm au poste de Linthal-Lac de la Lauch) est, entre le 10 et le 16 février 1990, le secteur le plus arrosé d’Alsace juste après celui de Sewen-Lac d’Alfeld (377,8 mm).

D’après le SRAE Alsace, si l’évènement pluviométrique causal de 1990 est assez exceptionnel sur le massif vosgien, il reste néanmoins relativement proche de celui d’avril 1983.

A l’origine de cet évènement, somme toute assez exceptionnel, un phénomène pluvio-neigeux particulièrement rare sur les Hautes Vosges, à savoir :

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 une pluviométrie abondante, de l’ordre centennal en seulement 2 jours, qui succède à de notables chutes de neige (40 à 50 cm au-dessus de 1 000 m ente le 10 et le 12 février).

Ces pluies, associées à un brusque redoux, provoquent la fonte du manteau neigeux, apportant un surplus d’écoulement d’eau considérable (fusion) sur tous les hauts bassins (cf. fig. 17). La capacité d’absorption du sol atteint très vite la saturation, augmentant de fait la vitesse de l’écoulement en surface. Enfin, le SRAE constate « une concordance assez « rare » entre les périodes de retour des débits des cours d’eau et de l’évènement pluviométriques causal138

». Mais, dans les faits, cela se vérifie t-il réellement pour la rivière Lauch ?