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comment les marchés professionnels se caractérisent-ils ? Mireille Bruyère, Laurence Lizé *

3. Analyse empirique

3.4. Trois types de parcours

Pour chaque trajectoire individuelle, les trois probabilités exposées se combinent, l’objectif est alors d’essayer de définir des types de parcours et des positionnements sur des segments d’emploi. Trois types de trajectoires peuvent être différenciés (tableau 1) :

1- un parcours en interne où l’articulation revêt ici la forme suivante : une probabilité de rester dans l’entreprise, avec ou sans changement de poste et sans passage par une période de chômage ou d’inactivité de plus de six mois (si le salarié n’a pas changé de poste en restant dans la même entreprise, l’évolution de ses revenus n’est pas renseignée). Ces personnes sont plutôt susceptibles de s’inscrire dans une carrière sur un marché interne ;

2- une mobilité positive avec changement d’entreprise : elle combine une probabilité négative de rester dans la même entreprise, sans passage par du non-emploi durable, et avec un maintien ou une augmentation de revenus. A priori, cette articulation peut former un indice d’appartenance à un marché professionnel ;

3- une mobilité négative où les probabilités se combinent de la manière suivante : des chances de changer d’entreprise mais avec un passage par du non-emploi de plus de six mois et une perte de revenu. Les personnes connaissant de fréquentes mobilités professionnelles contraintes, accompagnées d’emplois précaires ou de chômage, se situeraient sur le marché externe.

Tableau 1

SYNTHÈSE DES TRAJECTOIRES TYPES ENTRE 1998 ET 2003 Probabilité de rester

dans la même entreprise

Probabilité d'avoir connu un non-emploi

de plus de six mois

Probabilité d'avoir maintenu ou augmenté ses revenus

Parcours en interne + - nr

Mobilité positive avec

changement d’entreprise - - +

Mobilité négative - + -

Source : estimation Probit, Enquête FQP.

Les résultats d’un modèle Probit avec une correction du biais de sélection sur l’âge, interprétés à l’aide du tableau 2 montrent, qu’en première analyse, les carrières en interne concernent très clairement les salariés en CDI, qui exercent des fonctions « d’exploitation-production », quel que soit leur niveau hiérarchique (par rapport aux autres fonctions). Le secteur d’activité « éducation, santé, social, administration » mis en référence se distingue des autres ainsi que la grande partition entre le secteur public et privé, le premier soutenant cette forme de mobilité interne. La catégorie socioprofessionnelle des employés est la seule clairement positionnée dans cette logique. Cette trajectoire est particulièrement présente dans les grands établissements. L’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), de même que la spécialité de formation « domaine technique dans la production » accroît nettement les chances de suivre une telle carrière, surtout lorsque les personnes ont acquis de l’ancienneté (plus de 5 ans), son rôle ressort nettement. Par rapport aux autres classes d’âge, les plus de 55 ans sont ceux qui bénéficient le plus de ces carrières en interne. Ici, la nature de l’emploi occupé dans le passé ressort nettement tandis que les caractéristiques individuelles sont effacées.

Parmi les grandes variables positionnées sur la ligne « mobilité positive avec changement d’entreprise », avoir acquis un peu, voire une certaine expérience professionnelle, joue pour beaucoup, contrairement à ceux qui ont plus de 20 ans d’expérience. Pour ces derniers, les parcours semblent s’opposer à la logique des marchés professionnels. Par rapport aux professions intermédiaires, les cadres changent plus d’entreprise et ont plus de possibilités d’augmentation de salaire. Les hommes ont plus de chances que les femmes de se situer dans ce type de mobilité. Cette mobilité associée à une certaine sécurité professionnelle semble dépendre d’une articulation particulière entre la nature de l’emploi occupé dans le passé et certaines caractéristiques individuelles. À ce stade, ce cas de figure ne correspond guère aux caractéristiques traditionnellement conférées aux « marchés professionnels », ce qui invite à affiner l’analyse.

Les mobilités négatives, c'est-à-dire associées à un risque de non-emploi durable et de perte de revenu, ressortent sur les individus en emploi temporaire (CDD, intérim, contrats aidés et apprentissage), surtout dans les secteurs de la construction et du commerce (non significatif sur le risque de perte de revenu). Ces trajectoires précaires se repèrent dans les petites entreprises (1 à 50 salariés). Par rapport aux professions intermédiaires, les ouvriers non qualifiés et les artisans ou commerçants sont les plus concernés (non significatif sur la perte de revenu). Les fonctions exercées qui ressortent sont celles de la comptabilité-gestion. Certaines contraintes de rythme de travail interviennent : le fait d’être soumis à un contrôle hiérarchique notamment. Ceux qui encadrent d’autres personnes sont aussi plus exposés à cette trajectoire négative. Il est nécessaire de relier cet aspect aux caractéristiques d’ensemble et au fait que ces personnes ont aussi une faible ancienneté dans l’emploi. Les personnes dépourvues de diplôme s’inscrivent dans une trajectoire particulière car elles ont à la fois plus de chance de rester dans l’entreprise et plus de risque de connaître un non-emploi de plus de six mois que celles titulaires d’un CAP/BEP (non significatif sur les revenus). Les trajectoires marquées par un risque de précarité se caractérisent avant tout par la nature de l’emploi occupé dans le passé tandis que les caractéristiques individuelles jouent peu.

Tableau 2

MODÈLE PROBIT AVEC CORRECTION DE SÉLECTION

Rester dans la

administration) agriculture, pêche, sylviculture -0,230 0,011 0,039 0,734 -0,161 0,201 industrie des biens de consommation -0,070 0,214 0,158 0,028 -0,013 0,865 industrie des biens de production 0,048 0,344 0,079 0,246 0,022 0,758 construction -0,233 0,000 0,157 0,052 -0,048 0,573 commerce -0,088 0,070 0,144 0,020 -0,003 0,966 transports -0,092 0,126 0,124 0,127 -0,040 0,630 activités financières et immobilières 0,064 0,311 -0,026 0,761 0,077 0,396 services aux entreprises et particuliers -0,107 0,009 0,083 0,112 -0,053 0,361 inconnue -0,364 0,000 0,434 0,000 -0,309 0,000 catégorie sociale (référence :

profession intermédiaire) artisans commerçants -0,338 0,097 0,561 0,012 -0,197 0,448 cadre et prof. intellectuelle supérieure -0,057 0,154 -0,058 0,302 0,115 0,041 employé 0,084 0,027 -0,089 0,070 0,036 0,487

n'encadre personne) encadrement -0,193 0,000 0,175 0,000 -0,294 0,000 genre (référence : femme) homme -0,180 0,000 -0,227 0,000 0,084 0,057

Tableau 2 (suite)

MODÈLE PROBIT AVEC CORRECTION DE SÉLECTION

Rester dans la

temps partiel (inf. à 90% d'un temps

plein) -0,045 0,168 0,200 0,000 0,093 0,041

non soumis) soumis à un contrôle hiérarchique -0,164 0,000 0,128 0,000 -0,067 0,033 demande de clients (non soumis à

des demandes) soumis à des demandes clients -0,015 0,527 0,041 0,187 -0,034 0,321 contact avec le public (référence :

pas de contact) a un contact avec le public -0,019 0,478 0,044 0,216 -0,003 0,940 fonction (référence : production

exploitation) maintenance 0,018 0,721 -0,024 0,736 -0,124 0,077 nettoyage service 0,017 0,778 -0,117 0,114 -0,026 0,766

* Lecture : les coefficients interprétés sont significatifs au seuil de 10 % (chiffres en gras dans le tableau), ils permettent de voir si une modalité joue positivement ou négativement sur une probabilité. Par exemple, sur le modèle 1, les personnes âgées de plus de 55 ans en 1998 ont une probabilité positive de rester dans la même entreprise entre 1998 et 2003, toutes choses « statistiquement » égales par ailleurs compte tenu des modalités de référence.

Conclusion

Les mobilités professionnelles relativement sécurisées repérées dans nos données ne semblent pas s’inscrire dans des trajectoires de « marchés professionnels », du moins tels qu’ils sont définis habituellement. Les mobilités positives restent mal caractérisées ou peu représentatives d’une logique particulière sur le marché du travail. Ceci irait dans le sens des travaux récents soulignant l’importance de la redéfinition des segments sur le marché du travail (Marsden 2007 notamment). Nos données comportent de nombreuses limites pour l’interprétation fine de ces phénomènes mais, à ce stade, c’est principalement un marché du travail dual qui ressort.

L’analyse des variables significatives (ou non) montre que celles relatives à l’entreprise ou à la nature de l’emploi occupé dans le passé jouent un rôle beaucoup plus actif que les variables individuelles sur les carrières en interne et les mobilités négatives. Dans ces deux logiques polaires, le niveau de diplôme ne sort que très faiblement, de même pour la spécialité de formation. L’effet de l’expérience ou de la CSP n’est pas non plus très net. En revanche, la taille de l’établissement, le secteur d’activité, les conditions de travail, certaines fonctions exercées ou encore l’ancienneté dans l’emploi interviennent pour beaucoup. Soulignons que, si l’ancienneté dans le poste a tendance à sécuriser les parcours, le rôle de l’expérience semble beaucoup plus ambigu. Une longue expérience peut desservir une mobilité ascendante en termes de revenus. Bien que s’articulant avec des qualités individuelles, les compétences transférables produites dans l’entreprise agissent positivement sur la mobilité future des individus, ce qui invite à poursuivre cet axe de recherche. Ces éléments d’analyse pourront éclairer le débat actuel sur la sécurisation des trajectoires et l’élaboration de nouvelles politiques de l’emploi qui s’en inspirent.

Ces résultats ne fournissent que des premières tendances qui méritent d’être affinées et prolongées par d’autres exploitations de l’enquête FQP. Certaines variables, a priori intéressantes, ont été éliminées : par exemple, le métier (FAP) a été testé et ne semble pas déterminant dans les parcours professionnels. Les fonctions occupées qui figurent dans les modèles, s’avèrent plus proches de l’entreprise et ressortent mieux.

Par ailleurs, les estimations faites génération par génération montrent que les mobilités se différencient très mal selon l’âge, cet axe d’investigation n’a donc pas été poursuivi. En revanche, la partition entre les emplois stables et ceux à durée limitée semble plus prometteuse.

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