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La qualification du bénéficiaire, un facteur de différenciation des paris faits sur la VAE

Michel Rocca et Sarah Veyron *

2. La qualification du bénéficiaire, un facteur de différenciation des paris faits sur la VAE

manière un peu différente, les HNQ reconnaissent une amélioration mais moins forte. Toutefois, rien n’indique, dans ces premiers résultats sur une population diverse, que la VAE soit majoritairement conçue par les bénéficiaires comme une stratégie de construction d’une mobilité professionnelle. Ils sont moins de un sur cinq à lier une recherche de VAE à des problèmes d’emploi de moyen terme (besoin de requalification très majoritairement).

2. La qualification du bénéficiaire, un facteur de différenciation des paris faits sur la VAE

Un traitement des données récoltées faisant apparaître les situations comparées des bénéficiaires BNQ et HNQ permet de progresser dans l’analyse de l’influence de la VAE sur les trajectoires professionnelles. Ces données concernent les paris faits par les bénéficiaires de la VAE au moment de leur engagement dans la démarche, que cette dernière soit animée par des « motivations personnelles » ou en lien avec l’entreprise.

2.1. Des paris individuels sur la VAE liés à une logique de sécurisation pour les BNQ

Lorsque la démarche de validation d’acquis fait suite à une démarche personnelle (plus de huit cas sur dix),

« l’effet qualification » – i.e. le niveau de diplôme au moment de l’entrée en VAE – marque assez nettement le pari fait sur la trajectoire professionnelle.

BNQ HNQ

Classe

primaire Collège CAP/BEP Lycée Enseignement

supérieur Total

D’abord, les paris généraux – i.e. pour tous – faits sur l’obtention d’une VAE ne sont pas marqués par le sceau de la radicalité ou de l’originalité. Moins de 5 % des bénéficiaires envisageaient au moment de l’engagement de leur démarche une « réorientation professionnelle ». D’une manière encore plus nette, seuls 1,2 % envisage une VAE comme « possibilité de valider des acquis induits par des activités bénévoles ». En fait, la recherche d’une VAE est d’abord pensée comme un facteur d’évolution dans le cadre du métier, voire de mise en cohérence de sa situation emploi/diplôme. Ces deux motivations animent plus de sept bénéficiaires sur dix ; un sur deux visant une amélioration dans son métier ou son entreprise.

Il est cependant perceptible que cette tendance au pragmatisme dans la démarche de VAE (chercher à améliorer sa situation d’emploi) est très forte pour les BNQ alors qu’elle est moins affirmée par les HNQ : ces derniers sont près de 9 % à lier leur démarche de VAE avec une réorientation professionnelle (contre moins de 5 % pour les BNQ), plus de 10 % à la lier à une recherche d’emploi ou à un passage de concours (contre moins de 2 % pour les BNQ). Cette première distinction des paris sur la VAE suivant le niveau de qualification initiale montre, en fait, une nette inclinaison à la « sécurisation » chez les BNQ ; inclinaison moins forte chez les HNQ ou, en l’état de nos données, laissant une place à des stratégies plus ambitieuse de réorientation professionnelle appuyée par une VAE.

Ensuite, cette inclinaison à la sécurisation dans le métier ou l’entreprise affirmée par les BNQ n’est pas uniforme dans cette population. En effet, si d’une manière générale, plus d’un bénéficiaire sur deux déclare chercher dans une VAE une « évolution dans le métier ou l’entreprise », les niveaux « collège et CAP/ BEP » sont seuls à le déclarer à plus de 62 % et 54 % (dans le supérieur, le pourcentage tombe à moins de 35 %).

On peut faire l’hypothèse que le facteur de sécurisation métier/entreprise associé à la VAE est d’autant plus marqué que le bénéficiaire possède une certaine ancienneté dans un emploi à qualification reconnue, dans les faits, par l’entreprise, et qu’il ressent, soit un fort besoin de renforcer sa position (défensif), soit des possibilités d’évolutions professionnelles dans le cas où il serait titulaire d’un titre ou diplôme (offensif). Il n’est pas absurde de penser que la formulation de ce pari est en lien avec une bonne connaissance des dispositions, formelles ou informelles, du marché interne du travail.

Plus encore, cette inclinaison à la sécurisation se manifeste spécifiquement pour les plus bas niveaux de qualification (niveau classe primaire) : ils sont plus de 33 % à associer l’obtention d’une VAE à « une mise en cohérence du niveau de diplôme et de responsabilité » contre 20 % pour la population totale et moins de 15 % pour les niveaux CAP/BEP. Pour les plus bas niveaux de qualification, la VAE est en fait pensée comme une sécurisation plus urgente, très technique et résolument tangible : se mettre en conformité en obtenant le titre. Ils rejoignent, sur ce point unique, l’autre extrémité de l’échelle des qualifications. Les

diplômés de l’enseignement supérieur affichent en effet (32,6 %) cette même stratégie. Dans cette stratégie de sécurisation d’urgence des plus bas et plus élevés niveaux de qualification, la prise en compte conjointe du fonctionnement des marchés internes et externes est sensible : le bénéficiaire de la VAE faisait le diagnostic, au moment de l’engagement de la démarche de VAE, que son niveau de diplôme le rendait fragile, à la fois dans l’entreprise (le moins diplômé ou pas diplômé pour le poste), mais aussi face aux nouveaux entrants (potentiellement, plus diplômés).

Enfin, cette population des moins qualifiés est plus fortement que toutes les autres (33 %) et seule parmi les BNQ à être porteuse de l’idée d’une VAE réalisée par « satisfaction personnelle ». Cette singularité de la motivation rappelle le très fort besoin de reconnaissance sociale et personnelle que peut combler l’obtention d’un titre pour ceux qui n’en n’ont pas ou très peu et en souffrent.

Le croisement des données relatives aux qualifications des bénéficiaires et aux paris personnels faits sur la VAE permet, en définitive, de conforter une double idée quant aux profils des trajectoires professionnelles : (1) les paris professionnels sont, pour tous, marqués par un fort souci de sécurisation dans le métier, l’emploi, l’entreprise. Les paris plus audacieux (se former, passer un concours, chercher un autre emploi) sont clairement en retrait, en particulier pour les BNQ ; (2) dans cette logique de sécurisation, les BNQ formulent des stratégies très conditionnées de leurs situations d’emploi : sur la défensive, les plus fragiles

« jouent » directement le titre à obtenir pour « se sauver » ; plus sereins, les mieux « ancrés » dans leur emploi voient davantage une stratégie de préparation à l’évolution professionnelle dans l’entreprise.

2.2. Des stratégies conjointes de développement de la VAE plus favorables aux HNQ

Près d’un bénéficiaire sur cinq (18 %) construit sa démarche de VAE en lien avec l’entreprise. Si cette tendance est beaucoup plus forte pour les HNQ (50 %) que pour les BNQ (14 %), elle s’inscrit dans la quasi-totalité des cas dans un scénario de promotion nécessitant formation (Béret et Dupray 1998) : une promotion récente suppose l’acquisition d’une qualification supérieure.

Ce scénario n’est pourtant pas si limpide qu’il y paraît a priori. Lorsque l’entreprise est à l’initiative de la démarche de VAE, plus des deux tiers des bénéficiaires n’ont pas envisagé d’évolution de carrière avec l’employeur. En d’autres termes, comme c’est souvent le cas pour les suivis d’actions de formation, aucun engagement de l’employeur n’est formulé. A contrario, lorsque l’employeur et le salarié ont envisagé une évolution de carrière après la VAE, elle se répartit de la manière suivante :

HNQ BNQ Échantillon total

Un changement de fonction ou de poste 37,5 % 54,1 % 51,6 % Une promotion interne 37,5 % 7,2 % 11,7 % Un salaire plus élevé 18,8 % 37,8 % 35,1 % Une titularisation 6,3 % 0,9 % 1,6 %

Total obs. 100,0 % 100,0 % 100,0 %

• plus d’un tiers des évolutions envisagées concernent une augmentation de salaire suite à une VAE ; cette tendance concernant plus largement les BNQ ;

• en interne à l’entreprise, l’évolution professionnelle des BNQ est plutôt pensée en termes

« d’enrichissement des tâches », de reconnaissance par l’entourage et de prise de responsabilité. Toujours en interne, la gestion d’une VAE pour un HNQ est plutôt orientée vers une promotion. L’obtention du titre induit par la VAE est pensée comme une condition de réalisation. Cette considération semble également valoir pour une titularisation ;

• à partir de ces premiers résultats concernant une gestion conjointe d’une VAE – cas assez limité, 6 % des bénéficiaires –, il semble que l’obtention du titre soit plutôt une condition à une évolution interne ; évolution plus salariale et amélioration du contenu du travail pour les BNQ, évolution plus promotionnelle pour les HNQ.

Graphique 1 De changer d'entreprise tout en gardant le même métier De progresser hiérarchiquement De rester dans la même entreprise pour occuper un nouvel emploi correspondant à la qualification acquise

Autre

HNQ BNQ

De manière générale, les paris individuels des bénéficiaires ou les paris conjoints (employeur/bénéficiaire) faits sur la VAE montrent que les trajectoires professionnelles se construisent essentiellement dans des logiques de marchés internes du travail10. Toutefois, les attentes des BNQ et des HNQ ne sont pas similaires : plus la qualification est limitée, plus les logiques de sécurisation par l’obtention du diplôme sont fortement exprimées comme motif d’engagement dans une VAE. Sur le plan de la réalisation des paris faits sur une VAE, les BNQ voient plutôt leurs paris se réaliser sur le plan salarial, secondairement en termes d’enrichissement du travail. Les HNQ utilisent plutôt la VAE comme facilitateur de promotion.

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