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Un accès à l’enseignement supérieur subordonné à l’expérience amateur

Vérène Chevalier, Cyril Coinaud *

1. Un accès à l’enseignement supérieur subordonné à l’expérience amateur

Les données de l’Observatoire régional des formations supérieures (ORFS) sur les primo-entrants en DEUG à l’université de Caen en 2002 permettent de constater que plus des deux tiers des étudiants (68,8 %) déclarent une pratique d’amateur, et plus d’un étudiant sur deux déclare pratiquer un sport. Mais la plupart des étudiants amateurs ne sont pas sérieusement engagés dans leur pratique6 au point de choisir une formation dans l’enseignement supérieur qui y soit intimement liée puisque, si l’on prend l’exemple des sportifs en STAPS, ils ne représentent que 13,6 % des étudiants ayant déclaré pratiquer un sport (157/983).

On peut donc supposer que l’entrée dans des formations particulièrement liées aux engagements d’amateur dépend des conditions de déroulement de leur carrière dans ces pratiques, notamment dans la part sérieuse subjectivement accordée à cet engagement7.

1.1. Les filières STAPS et arts du spectacle sont massivement empruntées par des amateurs

On observe sans surprise (tableau 1) que les pratiquants d’un sport sont surreprésentés parmi les primo-inscrits en STAPS (85 % contre 43 % pour l’ensemble de la cohorte) mais ils le sont aussi, dans une moindre mesure, en géographie (54,9 %), en économie-gestion (54,6 %) ou en sciences (48,1 %) ; les pratiquants d’une activité culturelle le sont parmi les étudiants en arts du spectacle (59 % contre 17 % contre l’ensemble de la cohorte), en lettres (28,8 %), en histoire ou en langues (21,1 %), enfin en sociologie (20,3 %). En revanche les étudiants déclarant n’avoir aucune pratique sont très sous-représentés dans ces deux filières universitaires (respectivement 1,3 % et 11,5 % contre 31,2 % de l’ensemble des étudiants). Ce tableau 1 montre donc que si un tiers des primo-inscrits à l’université n’est engagé dans aucune pratique d’amateur, ce n’est le cas que d’un étudiant sur dix en arts du spectacle et un étudiant sur cent en STAPS. Il apparaît ainsi clairement que ces formations universitaires se singularisent, dès le moment de l’entrée, par les pratiques parallèles dans lesquelles leurs étudiants sont massivement engagés. Cette particularité est encore plus marquée pour les étudiants sportifs qui choisissent les formations STAPS.

Des données complémentaires issues de l’enquête réalisée par le LEST-CREM-ODE8 permettent de préciser que les étudiants sportifs en STAPS et musiciens en musicologie ont, lorsqu’ils s’inscrivent dans ces filières, une expérience amateur suffisamment sérieuse pour continuer de lui consacrer une partie de leur emploi du temps (7 h/semaine en moyenne pour les sportifs), au moins lors de leur première année de licence.

6 Au sens du « loisir sérieux » de Stebbins

7 Pour reprendre les deux dimensions, objective et subjective, contenues dans la définition que Hughes (1937) donne à la notion de carrière.

8 Plus de 500 étudiants inscrits en L1 staps ont répondu en novembre 2007 à l’enquête administrée directement par le LEST-CREM-ODE sur les universités de Dijon, Aix-Marseille, et Rennes (cf. ONMAS-CMH-LEST-LEST-CREM-ODE 2008, p. 31).

Si les modalités de la pratique amateur semblent avoir un caractère assez sérieux pour justifier d’entrer à l’université, on peut se demander si, en retour, la bifurcation, objectivement portée par cette étape d’accès dans l’enseignement supérieur via la pratique est subjectivement vécue comme telle par ces amateurs-étudiants. En effet, d’un point de vue objectif, l’inscription à l’université permet de concilier une pratique de loisirs avec les exigences de la vie adulte, notamment le sérieux conféré par une formation supérieure pour entrer sur le marché du travail. Si l’on s’intéresse à la part subjective de ce choix d’orientation universitaire, on peut s’interroger sur le sens de l’inscription à l’université pour ces amateurs, et sur le type de parcours (hybridation ou non entre carrière d’amateur et cursus universitaire) que les étudiants y construisent.

Tableau 1

LES PRATIQUES DAMATEUR DÉCLARÉES PAR LES ÉTUDIANTS (N=2 284) LORS DE LEUR PRIMO-INSCRIPTION À LUNIVERSITÉ DE CAEN, SELON LES FILIÈRES

Source : ORFS, SuBaNor 2002.

1.2. Une conversion du regard des étudiants contrastée selon la filière

Les données de l’ORFS permettent de repérer l’existence ou non d’un projet professionnel au moment de l’inscription : plus d’un étudiant sur deux primo-inscrits en DEUG en 2002 (56 %) déclare en avoir un, davantage les filles que les garçons (60 % des étudiantes pour 48 % des étudiants), sans d’ailleurs que cela préjuge en rien de son caractère réaliste (comme on le constate en examinant le détail des réponses en clair). La distribution de la déclaration de l’existence d’un projet professionnel au moment de l’entrée à l’université est aussi en partie liée à l’origine sociale : les enfants de chômeurs semblent plus indécis que les autres, et ceux des ouvriers sont plus nombreux à déclarer en avoir un, probablement parce que leur engagement à l’université doit être légitimé par l’existence d’un tel projet, plus fréquemment que pour les catégories historiquement familières du monde universitaire.

Trois étudiants en STAPS sur quatre (73 %) déclarent avoir un projet professionnel en entrant dans la filière (Tableau 2) et dans trois cas sur quatre, ce projet est de devenir enseignant. Mais seulement un étudiant en arts du spectacle sur trois (32 %) a un projet professionnel (les projets y sont plus divers : devenir comédien, journaliste, technicien du spectacle ; ils sont aussi plus fantaisistes). Cela tient d’abord aux métiers identifiables pour chacune de ces filières: en STAPS, c’est principalement9 le métier d’enseignant d’EPS, ou ses dérivés (entraîneur, éducateur sportif) pour ceux qui n’obtiendraient pas le CAPEPS. Ensuite, cela tient aussi à l’histoire de ces filières : les UEREPS préparaient au CAPEPS tandis que les formations en arts du spectacle n’ont pas ce type de filiation directe. À titre de comparaison une filière généraliste comme l’AES montre également une hésitation quant aux projets professionnels de ceux qui s’y inscrivent puisque seuls 37 % d’entre eux déclarent avoir un projet qui est, ici encore, globalement dispersé entre enseignement, marketing et employé de banque (pour les principaux).

9 Il faut rappeler que les données exploitées sont antérieures à la baisse drastique de l’effectif de postes au concours.

Un sport Un sport et autre

chose Autre chose Rien Ensemble

AES 48,4 % 7,4 % 10,7 % 33,6 % 100 %

Arts du spectacle 14,1 % 15,4 % 59,0 % 11,5 % 100 %

Droit 41,4 % 9,6 % 12,7 % 36,3 % 100 %

Économie-Gestion 54,6 % 11,3 % 7,2 % 26,8 % 100 %

Géographie 54,9 % 7,0 % 12,7 % 25,4 % 100 %

Histoire 41,5 % 10,1 % 21,3 % 27,1 % 100 %

Langues 34,7 % 9,2 % 21,3 % 34,7 % 100 %

Lettres 23,7 % 10,1 % 28,8 % 37,4 % 100 %

Psychologie 32,3 % 4,7 % 18,1 % 44,9 % 100 %

Sciences 48,1 % 6,0 % 13,2 % 32,7 % 100 %

Sociologie 42,3 % 6,5 % 20,3 % 30,9 % 100 %

STAPS 84,7 % 12,7 % 1,3 % 1,3 % 100 %

Ensemble 43,0 % 8,5 % 17,3 % 31,2 % 100 %

Tableau 2

EXISTENCE OU NON DUN PROJET PROFESSIONNEL AU MOMENT DE LINSCRIPTION, SELON LA FILIÈRE

Source : ORFS, SuBaNor 2002.

À la lecture du tableau 3, il semble bien qu’il y ait, dans certaines formations à cet égard singulières, une interaction entre pratique d’amateur, choix de formation universitaire et projet professionnel, puisque 93 % des étudiants en STAPS et 61 % des étudiants en arts du spectacle déclarent l’existence d’un lien entre leur pratique d’amateur et leur projet professionnel, contre 16 % seulement de l’ensemble des DEUG.

Si l’on s’intéresse uniquement aux 923 étudiants qui déclarent à la fois avoir une pratique d’amateur et un projet professionnel (Tableau 4), ce lien concerne alors plus d’un primo-inscrit en DEUG sur quatre (27 %) et il est quasiment systématiquement déclaré chez les étudiants sportifs amateurs en STAPS (96 %), un peu moins massivement chez les étudiants amateurs en arts du spectacle (70 %). Cela incite à penser que l’engagement dans une pratique d’amateur fournit des occasions de projection professionnelle, que cette dernière soit directement ou indirectement liée à leur pratique. La différence entre les sportifs et ceux qui sont impliqués dans des pratiques culturelles correspond probablement d’une part à l’existence ou non de métiers identifiés depuis le statut d’amateur pour chacune de ces filières (enseignant d’EPS versus ?), d’autre part aux représentations à propos des opportunités de professionnalisation dans les mondes du sport versus les mondes de la culture, mais aussi à la reconnaissance des formations universitaires dans le domaine des pratiques culturelles où il existe aussi des écoles spécialisées.

Tableau 3

DÉCLARATION DE LEXISTENCE DUN LIEN ENTRE PROJET PROFESSIONNEL ET PRATIQUE AMATEUR SELON LA FILIÈRE

(TOUS LES ÉTUDIANTS)

Source : ORFS, SuBaNor 2002.

Tableau 4

DÉCLARATION DE LEXISTENCE DUN LIEN ENTRE PROJET PROFESSIONNEL ET PRATIQUE AMATEUR SELON LA FILIÈRE

(LES AMATEURS)

L’enquête de l’ORFS porte sur les nouveaux bacheliers avant leur inscription dans l’enseignement supérieur (au moment où ils vont retirer leur diplôme). L’enquête complémentaire (Landrier, Chalumeau, Gury 2008), porte sur les représentations et les motifs d’inscription des étudiants inscrits en L1 STAPS ou musicologie deux mois après le début des cours. À ce moment là, les étudiants indiquent dans les deux cas que leur inscription à l’université est liée à la conception d’un projet professionnel noué dans et par l’expérience amateur (32 % en STAPS, 38 % en musicologie). Cependant leurs attentes ne sont pas les mêmes selon la filière : pour les étudiants sportifs en STAPS, l’entrée est motivée par les enseignements liés au sport (33 %) et à sa pratique (30 %) tandis que les attentes des étudiants musiciens en musicologie portent sur les enseignements théoriques (34 %) et beaucoup moins sur le fait de parfaire leur niveau technique (12,4 %)10. Cette différence doit être soulignée, car elle rend compte, en tout cas dans les représentations des étudiants, de la manière dont ils perçoivent subjectivement leur avenir11. À ce titre, si les attentes des uns (musicologues) témoignent de ce que leur inscription à l’université imprime une transformation de leur engagement amateur (ils en attendent plus d’apprentissages théoriques que de perfectionnement technique musical), celles des autres (STAPS) semblent, par comparaison, ne pas révéler une telle bifurcation. Tout se passe comme si l’inscription en STAPS des étudiants sportifs, même légitimée par un projet professionnel lié à leur pratique, constituait, davantage que l’inscription des musiciens en musicologie, un prolongement par d’autres moyens de leur carrière amateur. Cela est corroboré lorsque l’on examine les motivations qui ont présidé à l’inscription dans chacune de ces filières selon l’étape, plus ou moins avancée de leur carrière d’amateur, toujours à partir de la même enquête. Plus les étudiants STAPS sont impliqués et avancés dans leur carrière sportive, plus cette pratique est invoquée, en tant que telle, comme déterminante pour leur inscription à l’université. À l’inverse, moins leur degré d’implication est élevé, plus c’est la perspective d’un projet professionnel sportif qui leur apparaît déterminante.

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