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Vérène Chevalier, Cyril Coinaud *

2. Le déroulement des parcours universitaires des étudiants amateurs

2.3. Les parcours des étudiants amateurs

Il faut rappeler que si près de deux étudiants primo-inscrits en DEUG à Caen sur trois (63 %) déclarent être inscrits dans la filière de leur premier choix, ce sont huit étudiants en STAPS sur dix (79 %) qui sont dans la filière souhaitée pour seulement un étudiant en arts du spectacle sur deux (51 %). Ainsi, la pratique d’amateur, le projet professionnel, le choix de la filière de formation paraissent constituer un ensemble cohérent aux yeux des étudiants sportifs. Ceci apparaît moins clairement dans l’adéquation des pratiques, des projets et des choix des étudiants en arts du spectacle. On peut imaginer à leur endroit deux cas de figure : ceux qui feraient de nécessité vertu, c'est-à-dire que, n’ayant pas de projet professionnel clairement identifié, ils s’orienteraient provisoirement et sans conviction (pas leur premier choix) vers une formation qui a des résonances avec leur engagement amateur, sans pour autant être très fixés sur son issue ; et les convaincus, semblables à nos sportifs.

En STAPS (figure 3), quel que soit l’établissement, on rencontre moitié moins de réorientations précoces (6 % contre 11 % à Caen, 2 % contre 6 % à Paris 12) et beaucoup moins de sorties dès la première année (16 % contre 28 % et 30 %). En effet, les étudiants STAPS redoublent plus fréquemment (30 % contre 20 % à Caen, 36 % contre 24 % à Paris 12) et réussissent plus fréquemment à passer directement en DEUG 2 (48 % contre 41 % à Caen, 46 % contre 39 % à Paris 12). Ici, on peut faire l’hypothèse que l’engagement dans une pratique amateur comme les projets professionnels qui y ont été conçus fournissent des raisons valables de s’accrocher précocement à la formation STAPS.

En revanche, la moitié moins (que l’ensemble des inscrits en DEUG à Caen ou à Créteil) atteindra la maîtrise en quatre ans, le quart de la cohorte sortant avec la licence (ou au niveau licence) en trois ans contre le huitième d’une cohorte de DEUG. Ce qui est cohérent avec le projet professionnel majoritairement exprimé (enseignement avec ou sans CAPEPS), et avec le fait que les autres emplois du monde du travail sportif (éducateur, gestionnaire de centre, etc.) exigent rarement des qualifications supérieures à bac+3. La proportion de ceux qui poursuivent leur cursus en maîtrise quatre ans après leur entrée varie cependant selon les sites (de 5,5 % à 15 % de la cohorte).

Figure 3

LES PARCOURS DES ÉTUDIANTS PRIMO-INSCRITS EN DEUGSTAPS DANS DEUX ÉTABLISSEMENTS (BASE 100) Université de Caen, 252 étudiants Université Paris 12, 169 étudiants

Source : données Apogée, primo-entrants 2002.

Si l’on compare (figure 4) la filière STAPS aux filières arts du spectacle ou musicologie (selon les sites), choisies en raison de leur lien supposé à des pratiques d’amateur, on constate beaucoup de différences : la proportion des sortants précoces est en arts du spectacle le double de celle observée en STAPS, celle des réorientés précoces est identique à celle de l’ensemble des DEUG, ceux qui atteignent la maîtrise aussi (mais représentant le double des STAPS). Enfin, 15 % de la cohorte arrêtent au niveau licence pour 28 % en STAPS et 12 % en général, indiquant en cela que la licence ne constitue généralement pas pour eux un mode d’accès à un concours de la fonction publique. On note des variations selon les sites, dans les taux de sortie précoce (de 24 % à 37 %) et dans les taux de réorientations précoces (de 3 % à 10 %) mais ceux-ci sont toujours très supérieurs à ceux des STAPS

Qu’il s’agisse des risques d’abandonner précocement, de se réorienter, ou de s’accrocher en redoublant ou enfin de réussir dès la première année, les parcours des étudiants STAPS se distinguent de ceux des musicologues ou des arts du spectacle par leur caractère beaucoup plus persévérant. Ils sont plus en réussite en première année, qu’ils choisissent plus fréquemment de redoubler plutôt que de se réorienter ou d’abandonner. Ce faisant, le déroulement des parcours en STAPS témoigne d’une adéquation plus forte en STAPS entre les attentes des étudiants et la formation offerte.

Figure 4

LES PARCOURS DES ÉTUDIANTS PRIMO-INSCRITS DANS DES FILIÈRES LIÉES À DES PRATIQUES CULTURELLES DANS DEUX ÉTABLISSEMENTS (BASE 100)

Université de Caen, 140 étudiants en arts du spectacle Université Rennes, 129 étudiants en musicologie

Source : données Apogée, primo-entrants 2002.

Les étudiants en STAPS sont ainsi à la fois plus attirés et moins rebutés par la filière de leur choix que les étudiants en arts du spectacle ou en musicologie. Il semble qu’il y ait pour eux une relative adéquation entre leur projet, la formation offerte par l’université et les perspectives attendues du parcours universitaire. À la fin de la 3ème année12, 64 % des bacheliers de 2002 quittent la filière STAPS à l’université de Caen après la troisième année (licence) ; 96 % de ces sortants ont validé leur licence. À ce phénomène nous pouvons donner une explication valable : les étudiants sortent de la filière universitaire pour préparer le CAPEPS : sur les 71 sortants, 42 sont dans les données de l’ORFS, 31 d’entre eux déclaraient vouloir devenir professeur d’éducation physique à l’obtention de leur baccalauréat, 8 ne savaient pas quel métier ils voulaient exercer et un seul d’entre eux déclarait vouloir atteindre le niveau licence lors de l’obtention de son bac. De ce point de vue, ils se distinguent des étudiants inscrits dans les formations culturelles qui les délaissent dès leur entrée (pour 43 % d’entre eux) sans doute parce que l’horizon des possibles ne leur apparaît pas très clairement, et que la conciliation entre leur engagement d’amateur et leur nécessaire insertion professionnelle leur parait d’emblée plus problématique.

On peut même penser que la confrontation aux contenus effectifs de l’offre de formation les conforte dans les usages qu’ils escomptent faire de leur formation, ce qui les incite à persévérer plutôt que de réorienter leur cursus ou de l’abandonner, comme le font les musiciens. Ce qui conduit à imaginer que le contenu qu’ils découvrent dans ces formations ne les décourage ni ne les détrompe quant à ces usages prévus. La comparaison aux musiciens en musicologie est instructive car ces derniers renoncent bien plus fréquemment à poursuivre la formation malgré son lien initial avec leur carrière d’amateur. Est-ce à dire que, malgré leurs déclarations, le contenu théorique des cours et le tournant qu’il impose fait davantage apparaître qu’en STAPS les contradictions entre leur carrière de musicien amateur et les exigences du cursus universitaire ?

Conclusion

Il convient, à l’issue de ce bref exposé de quelques-uns de nos résultats, de revenir sur l’intérêt de la notion de carrière pour comprendre les parcours des étudiants d’un triple point de vue. En effet, elle permet de repositionner les frontières communément admises entre loisirs, formation et travail, mais aussi d’examiner l’ajustement ou non des composantes objectives et subjectives qu’elle contient, enfin de saisir les processus d’acculturation et de socialisation aux pratiques décrites.

La dynamique de la pratique d’amateur s’organise autour de séquences, en une série d’étapes ordonnées avec des seuils qui sont autant de moments propices à l’abandon (Chevalier 1998) ou à la réorientation. Les parcours d’amateurs se construisent donc comme des carrières, c'est-à-dire à travers une succession d'ajustements constants et séquentiels entre les représentations que les pratiquants se font de la pratique et le champ des expériences possibles proposé par l'institution. Parmi les expériences possibles, s’esquisse celle de convertir professionnellement cet engagement. Parce que c’est par leur expérience dans le domaine des loisirs que les étudiants amateurs ont fait leur choix de formation universitaire et conçu leur projet professionnel, ils déplacent de fait les frontières classiques entre loisir, travail et formation professionnelle.

En saisissant ce que les parcours d’étudiants doivent aux parcours d’amateur, on saisit du même coup la diversité des significations accordées aux formations à l’université.

Si objectivement, l’entrée dans un cursus universitaire lié à l’engagement amateur constitue une bifurcation de ce dernier, celle-ci n’est pas subjectivement intégrée de la même manière selon les carrières et les cursus dans lesquels les étudiants amateurs sont impliqués. La part subjective des carrières correspond aux représentations collectivement construites en interaction avec les autruis significatifs (Dubar 1991) dans les sphères amateur et universitaire (enseignants de l’université, autres étudiants du même cursus, référents dans la pratique amateur). Ainsi cette inscription doit-elle être interprétée, soit dans la continuité de la carrière de l’amateur, soit comme étape de transition, qui selon les conditions universitaires offertes, se révélera subjectivement comme la première étape d’une nouvelle carrière, celle de l’étudiant. La comparaison des parcours effectués par les étudiants amateurs révèle des différences notables qui paraissent valider le fait que la bifurcation objective de la carrière des musiciens qui s’inscrivent en musicologie est subjectivement vécue comme telle tandis que celle des sportifs en STAPS l’est beaucoup moins, du moins au début de leur

12 Ici, étant donné que nous n’avons que le devenir des étudiants bacheliers 2002, nous ne pouvons voir que l’orientation après la troisième année de ceux qui ont eu leur licence en trois ans.

parcours universitaire, apparaissant du même coup comme une manière de poursuivre par des moyens socialement plus légitimes leur carrière d’amateur.

Si l’on envisage les parcours des étudiants à leur tour comme des carrières (comme l’a fait Hughes en 1955 à propos de la « fabrication du médecin »), il y a alors lieu d’examiner ce qu’elles doivent au double processus d’acculturation et de socialisation au milieu universitaire. Selon Hughes, la confrontation des représentations idéales qui ont présidé au choix des études de médecine avec les réalités découvertes constitue un « passage à travers le miroir ». En effet, ces images idéales (de la médecine et du médecin) se trouvent brutalement renversées lors de l’accès à ces formations, impliquant le renoncement de beaucoup.

Puis, pour ceux qui parviennent à convertir leurs représentations initiales, le processus de socialisation (fréquentation des pairs) conduit, au cours de trois étapes, à être « fabriqué » comme médecin. Si l’on conçoit ainsi l’acculturation comme une rupture profonde avec les représentations qui ont motivé l’accès à l’université (au sens anthropologique de l’initiation) ouvrant alors la voie à la transmission des savoirs théoriques universitaires, force est de constater tant à travers l’adéquation des représentations qu’à travers les faible taux de sortie et de réorientation en première année, que ce « choc culturel » est beaucoup moins fréquent en STAPS qu’ailleurs (y compris dans des formations liées à des pratiques d’amateur comme la musicologie ou les arts du spectacle). Est-ce à dire que l’essentiel de la rupture a eu lieu en amont de leur inscription à l’université, lors de la construction de leur carrière d’amateur et que l’entrée à l’université ne contredit pas les représentations acquises dans et par les pratiques d’amateur ? Ensuite, le processus de socialisation confronte, à chaque étape, les étudiants aux plus expérimentés (et à fortiori aux enseignants) qui incarnent de la façon la plus complète la finalité des apprentissages dont ils ont su tirer la considération au sein des STAPS et du monde sportif. Les interactions entre initiés et non initiés, à chaque étape de la carrière de l’étudiant, ont donc une place essentielle dans sa construction car elles influencent le choix de poursuivre ou non le cursus. De ce point de vue, le fait qu’une majorité des étudiants STAPS renoncent à poursuivre au-delà de la troisième année de licence indique bien que la socialisation universitaire qui a lieu dans ces cursus est intimement liée à celle de devenir enseignant d’EPS ou, à défaut, un acteur du monde sportif. Dans cette perspective également, la comparaison avec le déroulement du parcours des autres étudiants amateurs montre bien, qu’en diversifiant davantage les niveaux de sortie, leur socialisation universitaire offre à ces derniers des perspectives plus diversifiées.

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Processus d’autosélection à l’entrée des marchés professionnels non

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