• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III : ACTIVITES AGRICOLES DES BANDA ET CONTRAINTES D’ISOLEMENT

B- LE COTON : DE LA CULTURE FORCEE A LA CULTURE BOUDEE

2. Des travaux coûteux en temps et très mal rémunérés

« Kwa ti coton a yèké bâ ngo passi sengé » c’est à dire : le travail du coton n’est que peine perdue. C’est ainsi que me répondit un chef de ménage à Tagbara, lorsque je lui posais la question de savoir combien lui rapportaient annuellement ses champs de coton. Cette réponse reflète en grande partie le sentiment des populations du Nord-Est de Bambari, sur la culture du coton. Ces représentations puisent leurs origines dans l’histoire même de cette culture.

En effet, comme le souligne Eustelle (1995), dès l’origine, la culture du coton a toujours été étroitement associée à l’impôt et perçue comme une culture obligatoire coloniale. Cette lourde «image», que le coton traîne depuis les débuts de son introduction en Centrafrique explique encore en partie aujourd’hui, les réactions parfois déroutantes des paysans vis-à-vis de cette culture. Les facteurs qui justifient cet état d’esprit se trouvent à tous les niveaux.

Tout d’abord sur le plan social, la politique de regroupement des parcelles de cultures en « blocs », pratiquée pendant longtemps par les autorités administratives qui ont eu la charge d’encadrer les planteurs, présentait le gros avantage d’en faciliter le contrôle. Il était ainsi très difficile pour le planteur, d’échapper à la surveillance du "boy cotton". En 1946, le travail forcé est aboli dans tous les territoires français d’Afrique. Toutefois, en Oubangui, la culture cotonnière conservera pendant plusieurs années un caractère plus ou moins obligatoire, mais sans aucune base officielle.

Jugés en grande partie sur le niveau de production, les administrateurs s’efforcent par tous les moyens de l’accroître, bien sûr avec l’appui des sociétés privées, d’où de nombreux abus qui ont émaillé cette

période, en particulier la fameuse « chicotte ». Cet « encadrement rapproché », tel qu’il avait été conçu, constituait une menace pour l’organisation villageoise traditionnelle sans apporter de solution véritable aux problèmes.

En effet, le système de culture itinérante ici, oblige le planteur à procéder chaque année à un important travail de défrichement, qui est d’autant plus durement ressenti que la force de travail disponible au niveau de l’exploitation est faible. La population de la région est très jeune (plus de 45 % de jeunes) ; en outre, il y a en moyenne 5 personnes par exploitation dont 2 ou 3 actives. En saison sèche, les défrichements entrent en concurrence avec les activités de chasse ou de pèche et, à l’arrivée des pluies, ce sont les travaux culturaux sur les parcelles des cultures vivrières qui sont marginalisés, car ici, le manioc constitue la base de l’alimentation, et garantit un revenu d’appoint que le coton ne peut pas remplacer.

Les revenus tirés du coton, il est vrai, assurent en une seule fois une assez grosse entrée monétaire certaine, à cause de son achat jusqu’alors régulier. Mais ils présentent le désavantage d’être globalement plus faibles, et trop ponctuels. Les revenus du coton comme l'affirment la plupart des paysans, par le fait qu'ils sont payés en public, ont l’inconvénient d’attirer trop d’attention dans un milieu où, la croyance à la magie noire demeure encore très forte : nombre de grands producteurs se plaignent d’avoir été personnellement ou par l’intermédiaire des membres de leur famille, victimes de mauvais sorts jetés par les jaloux. Dans ces conditions, on comprend alors pourquoi cette culture est « boudée ».

L’obligation pour le cultivateur d’effectuer un défrichement complet constitue pour les planteurs une « brimade » supplémentaire. Le coton dans des pays comme la République Centrafricaine tolère difficilement les ombrages : une parcelle trop ombragée diminuerait énormément la production. Comme le souligne Régine Levrat (1995), "la plante demande en effet des températures élevées et un bon ensoleillement durant toute la période de son cycle (6 à 7 mois)". Aussi, pour l’installation des plantations, l’administration imposa un défrichement intégral, aucune végétation arborée ne devant être conservée sur les parcelles retenues. Or le cultivateur Banda

n’attendait du défrichement que la libération de son terrain, son enrichissement par les cendres et la suppression momentanée de la concurrence que les arbres faisaient à ses cultures. Ces résultats pouvant être obtenus sans travail supplémentaire, les nouvelles normes imposées se sont avérées trop contraignantes pour les planteurs.

Au niveau technique, le fait que la culture prédominante ici soit manuelle, contribue à accentuer la réputation du coton comme culture difficile. Ce n’est en fait pas la culture manuelle qui pose problème aux paysans, car ils ont toujours travaillé ainsi ; mais c’est le fait de travailler avec l’obligation de respecter scrupuleusement un itinéraire technique bien défini (ce qui n’est pas forcément le cas pour les cultures vivrières) qui est en cause. Les superficies sont faibles, de l’ordre de 1,5 ha par exploitation, toutes cultures confondues. Cette faiblesse peut tout d’abord s’expliquer par le fait que la principale contrainte du planteur reste le défrichement et que la culture attelée ne peut la desserrer. Les nombreuses souches laissées dans les champs après le défrichement font obstacle à un labour de qualité et, surtout, aux sarclages mécaniques. "Dans ces conditions, l’intérêt de la culture attelée est limité, car même si elle conduit à une augmentation des superficies de parcelles actuelles par rapport à celles autrefois houées, elle n’aboutit cependant pas à une réelle intensification" (Eustelle, op.cit).

Enfin sur le plan pécuniaire, le malaise des producteurs vient de leurs revenus insignifiants. Comme le soulignait Gazawanza (1982) il y a près d’une vingtaine d’années, la sous rémunération du coton, même lorsque les cours variaient à la hausse, justifie la grogne et le mécontentement des planteurs. Pourtant, les conventions initiales signées en 1925 prévoyaient un prix d’achat minimum, calculé d’après un barème basé sur le prix de réalisation sur le marché du Havre. Aux termes des conventions, les sociétés cotonnières étaient tenues d’acheter toute la production cotonnière présentée sur le marché par les planteurs. A partir de la campagne 1942-43, ce furent les autorités qui fixèrent directement le prix d’achat au producteur, et il en est resté ainsi jusqu’à aujourd’hui.

Les prix aux producteurs tout en étant passés de 60 centimes en 1925-26 à plus 100 FCFA, sont demeurés très bas comparés à ceux des

autres produits de rente comme le tabac et le café : en 1998, pour 208 jours de travail par hectare, le cultivateur de coton recevait 40 000 FCFA en moyenne, alors que le planteur de café touchait 135 000 FCFA pour 185 jours de travail seulement (Ministère de l’Agriculture et de l’élevage, 1999).

La grogne est aggravée par le fait qu'une partie importante des maigres revenus était entièrement consacrée au payement de l’impôt perçu au moment du marché. Pendant la période coloniale, les marchés se tenaient au début de l’année, au moment de la perception de l’impôt de telle sorte que le paiement du coton était habituellement effectué en tickets d’impôts, et se faisait toujours en présence d’un représentant de l’administration. Théoriquement, ce dernier devait contrôler la régularité des achats en vérifiant les pesées (Tene-Koyzo, 1980). Mais en réalité, il était là pour la perception de l’impôt et fermait les yeux sur les fraudes opérées sur les balances par les sociétés cotonnières en sous-estimant le poids des paniers de coton. Le paysan était toujours surpris à l’annonce du poids de sa marchandise donné par la balance. Mais étant généralement analphabète, il ne pouvait prouver qu’il était volé. Et d’ailleurs les forces de l’ordre (gardes et miliciens) étaient toujours prêtes à le persuader du contraire au cas où il s’entêterait à réclamer le juste prix de son coton.

Aujourd’hui encore, bien que depuis 1994 l’impôt ait été supprimé, tous les mécanismes de fraude décrits ci-dessus subsistent et contribuent à la spoliation des agriculteurs. 28,6% des planteurs interrogés sur les raisons de leur adhésion aux Groupements d’Intérêt Ruraux (GIP) affirment l’avoir fait pour éviter les fraudes dont ils sont victimes. Les prix de l’outillage, de l’engrais et des produits phytosanitaires sont exorbitants au point que les petits planteurs parviennent tout juste avec leur revenu à s’acquitter des frais d’outillage. En 1998-99, 13% d’entre eux n’ont pas pu rembourser entièrement les frais d’outillage ; d’où l’impression de ces derniers d’avoir travaillé pour rien. Un sentiment qui, pendant la période coloniale, aurait justifié le jugement des planteurs de l’époque, qui associaient l’argent de l’impôt à la culture obligatoire du coton, dont les parcelles furent baptisées « champ du commandant » ; image qui a rendu cette culture impopulaire.

C- LES ACTIVITES EXTRA-AGRICOLES : SURVIVANCES OU