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CHAPITRE III : ACTIVITES AGRICOLES DES BANDA ET CONTRAINTES D’ISOLEMENT

B. DES CONDITIONS DE PRATIQUE DE L’ELEVAGE DIFFICILES

2) Une faible mise en commerce des produits de l’activité

Tout d’abord, les éleveurs Mbororo mettent peu de leurs bêtes en vente pour un ensemble de raisons techniques et surtout culturelles. Premièrement, le troupeau a en général une faible reproduction annuelle : faible fécondité, fort taux d'avortement et mortalité post-natale sont les explications que fournissent les Mbororo. A en croire Mathieu (1988), sur un troupeau de 100 bêtes (40 vaches) il est difficile de voir naître plus de 22 veaux par an et dont en sus 1/3 en moyenne ne survivront pas.

Surtout, le troupeau est pour les Mbororo un de patrimoine. Il représente un capital obligatoire pour conserver une sécurité minimum face aux problèmes incontournables qui peuvent surgir : épizootie (telle que la peste bovine de 1983), prédateurs, bêtes égarées, besoin monétaire pour assurer un incident médical, etc. Il est avant tout ce qui leur permet d'acheter toute leur nourriture car l'éleveur jusqu'à un passé récent ne cultivait que peu.

La taille du troupeau est aussi un symbole de réussite, de richesse d'autorité et de lien social. L'éleveur lui porte une passion ancestrale, aussi préfère-t-il le voir prospérer et s'accroître au mieux plutôt que d'en tirer profit comme un véritable outil de production.

En conséquence, le grand nombre de bétail dont dispose les Mbororo, et qui représente un capital potentiel important, est peu valorisé économiquement et seulement en cas de besoin. Cette faible exploitation économique du troupeau, explique pourquoi certains éleveurs à la limite de la précarité. Une récente étude du Ministère de la coopération française de 1998, fait état de 670 000 FCFA, soit l'équivalent de 10 bêtes plus les produits laitiers. Ce revenu doit lui permettre d'assurer les besoins usuels de sa famille et l'entretien de son troupeau (soins sanitaires, médicaments, vaccinations, natron, …). Mais comme les dépenses pour l’alimentation et les besoins usuels de la famille sont énormes, on comprend pourquoi la majorité des éleveurs se plaint aujourd'hui de disposer de trop peu de disponibilités monétaires pour pouvoir augmenter la part qu'ils réservent à leur troupeau. Aussi, beaucoup sont obligés de diversifier leur activité pour faire face à la crise. Dans la zone agropastorale ils s'orientent surtout vers l'agriculture.

A la différence des agro-éleveurs dont la diversification des activités traduit un enrichissement, ces éleveurs se mettent à la culture par nécessité, dans le but de réduire leur déstockage de bétail et de tenter par ce biais une recapitalisation de leur troupeau. Le mouvement, déjà perceptible en 1985 dans L'Ombella-Mpoko (C. Lemasson, Remayeko, 1990), suite à l’épidémie de peste bovine de 1983 a pris de l'ampleur. Celle-ci avait provoqué la fermeture des marchés à bétail, privant les éleveurs de leur seul

moyen d'obtenir du numéraire pour acheter les produits alimentaires de base.

En 1985, C. LE MASSON et Remayeko (op.cit) avaient déjà constaté un engagement agricole des éleveurs relativement important puisque 48 % des éleveurs pratiquaient l'agriculture. Les enquêtes de 1999 ont conclu à une accentuation du phénomène. En effet, 54% des éleveurs interrogés affirment pratiquer l'agriculture. Les éleveurs sont particulièrement dépendants du disponible en céréales et tubercules présentés sur les marchés, pour leur alimentation de base. La crise financière et alimentaire de 1983 les a conduit à diversifier la production pour diminuer leurs risques.

D'autre part, à la même époque la maladie du manioc (cochenille farineuse) a provoqué son renchérichissement. L'auto production agricole est alors apparue comme moyen de se prémunir contre ces aléas.

La reconversion agricole en milieu éleveur de l'Est, date de la fin des années 1980 et est ultérieure à celle de la zone Ouest. D’après les deux auteurs ci-dessus cités, on compte 3,6 années de mise en culture en moyenne contre 5,25 pour la région de Bouar-Bocaranga-Baboua. Curieusement, les raisons qui président à cette reconversion sont les mêmes que celles évoquées pour les régions du Centre et de L’Ouest : manque de produits vivriers disponibles, épidémies de cochenille farineuse et de la mosaïque réduisant à néant la plupart des récoltes de manioc.

L'analyse par catégorie d'éleveurs révèle que l'insuffisance en bétail est le facteur déterminant pour les petits éleveurs. Par contre pour les grands éleveurs, il s'agit moins des prix des produits, que de charge alimentaire alourdie par de nombreuses personnes à charge.

Deux critères sont à prendre en compte pour identifier quels sont les éleveurs qui deviennent éleveurs-agriculteurs : la richesse en bétail et les personnes à charge.

- La richesse en bétail : l'analyse par catégorie d'éleveurs Mbororo montre que moins l'éleveur possède de bétail, plus il s'engage dans l'agriculture : on retrouve 57% d'éleveurs-agriculteurs dans cette catégorie contre 41 % dans la catégorie des grands éleveurs. Si on analyse uniquement le groupe représenté par les éleveurs qui cultivent (54%) on note

qu'il est constitué à 51% d'éleveurs pauvres, 32% d'éleveurs assez riches en bétail et seulement 12% d'éleveurs riches. Le troupeau moyen des éleveurs-agriculteurs est de 116 têtes contre 134 pour ceux qui ne cultivent pas. Bien qu'issus en majorité de la catégorie de petits éleveurs, les éleveurs-agriculteurs dans l'ensemble représentent un troupeau moyen certes régulièrement inférieur à ceux qui ne cultivent pas mais la différence n'est pas énorme. Ceci semble indiquer que le critère richesse ou pauvreté en bétail n'est pas le seul critère qui détermine l'engagement agricole.

- Les personnes à charge : à ce niveau, les chiffres sont plus différenciés et montrent que si le critère personnes à charge n'est pas non plus le seul à influencer les éleveurs dans la décision de mise en culture, il est déterminant pour les familles nombreuses même aisées (18 pour les agriculteurs riches en bétail contre 10 pour les petits éleveurs-agriculteurs). Ceci s'explique par le fait que les grands éleveurs (ceux possédant plus de 200 têtes de bétails) sont à 80% polygames ; ils ont donc de nombreux enfants à charge et des dotations (héritage) à prévoir pour installer les grands fils lors de leur mariage). Ils préfèrent s'engager dans l'agriculture pour alléger la charge alimentaire afin de réduire au minimum l'exploitation du cheptel.

Le rapport des deux critères précédents, richesse en bétail et personne à charge montre, que la proportion d'éleveurs-agriculteurs s'accroît à mesure que le nombre de bovins par personne diminue comme l'indiquent le tableau et les graphiques (p 121 et 122). On note qu'a moins de 2 bovins par personne, 100% des éleveurs cultivent. L'engagement agricole pour ces personnes correspond à une nécessité absolue puisqu'ils ne peuvent assurer l'entretien de la famille par l'exploitation du cheptel qui est grandement insuffisant. On constate qu'à moins de 11 bovins par personne 69% des éleveurs s'engagent dans l'agriculture. Au-delà de 11 bovins par personne la tendance s'inverse et on ne trouve plus que 35 % des éleveurs qui cultivent.

Pour comprendre cette situation, il nous semble nécessaire de procéder à quelques démonstrations mathématiques, en nous basant sur l'étude de Ministère de la coopération française qui estime le budget familial

moyen d'équilibre à 670 000 FCFA, soit pour une famille moyenne de 10 personnes, 67 000 F/pers/an.

Si aucune autre production n'apporte de recette ou de produit à consommer, il faut donc vendre l'équivalent de 1,3 bovin par personne par an, pour subvenir aux besoins de la famille.

Un éleveur disposant de 11 bovins par personne et contraint de vendre en moyenne 1,3 bovin par personne à charge a un taux de commercialisation de 11,8 %. En dessous de ce seuil de 11 bovins par personne, l'éleveur est obligé de cultiver pour alléger la charge alimentaire et réduire au minimum l'exploitation du cheptel pour éviter une décapitalisation. L'éleveur disposant de moins de 11 bovins par personne, qui n'a pas d'autres sources de revenu que la vente de bétail et qui ne cultive pas, s'installe dans une situation d'appauvrissement inéluctable.