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CHAPITRE I : UN PEUPLEMENT FAIBLE ET DISCONTINU

1. Des populations rares et en archipel

A l'instar de l'ensemble de la partie Est du territoire centrafricain, la région Nord-Est de Bambari est caractérisée par sa faible population : 20 000 habitants pour une superficie de 2190 km², soit une densité de 9 habitants au km² en moyenne. Cette densité supérieure à la moyenne nationale (5,7 ha./km2)2, demeure toutefois inférieure à celle de certaines régions comme celle de Paoua située dans l'Ouham-Pendé au Nord-ouest du pays, et qui dépassent 13 habitants au km².

Cette population est inégalement repartie. En effet, héritage des aléas de l'histoire, les populations sont surtout regroupées en archipel le long des voies de communication. La densité y atteint 40 habitants par km ; soit sept fois celle rapportée au km².

En dehors de cette concentration le long des routes, on trouve des petits groupes de populations qui s'éparpillent un peu partout dans la savane de la partie Nord de la zone agricole. Ces populations vivent dans des "habitations de cultures" appelées ici "fermes". Presque tous les villages de la commune de Danga-Gboudou, et particulièrement Ngouyali, possèdent leurs "fermes".

Cette dispersion des populations dans la brousse, loin de refléter une saturation de l'espace, n'est rien d'autre que la résurgence de vieilles pratiques ancestrales Banda, dont l'habitat autrefois dispersé, à été regroupé par l'administration. Malgré la multiplication de ces habitats secondaires de culture ces dernières années, l'occupation de l'espace demeure très lâche.

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En effet, les levés des parcelles de cultures et des secteurs en jachère, ainsi que l'analyse de l’image satellitaire du terroir de Ngouyali, et celle de toute la région, montrent que l'occupation agricole dans l'ensemble est faible. A titre d'exemple, sur le territoire villageois de Ngouyali qui couvre 136 km² de superficie, seuls 240 hectares, soit 1,7 % de l'espace, correspondant à 2,3 % des terroirs agricoles, sont occupés par les cultures ; 3180 hectares représentant 23 % du territoire sont exploités sous forme de pâturages par les pasteurs Mbororo. En conséquence, seul un quart du terroir est exploité chaque année. Les jachères, les espaces de chasse et de cueillette en constituent le reste. Cette même configuration de l'utilisation de l'espace caractérise tous les territoires villageois de la région : le village, principal foyer de résidence de la population s'étale au bord de la route, puis la zone des champs s'étend sur une profondeur de 5 km et au-delà, une zone "d'habitations agricoles" très dispersées dans l'espace.

Le sous peuplement est le trait dominant de cette région ; l'espace y est "disponible" dans le sens occidental du terme, même si les populations locales affirment le contraire. C’est pourquoi nous pensons que si conflit il y a, il trouve son origine ailleurs, que dans un manque d’espace. Nous pensons notamment à l'organisation sociale et culturelle, aux systèmes de production, aux représentations spatiales, ou encore aux stratégies d’appropriations foncières.

2. Agriculteurs et éleveurs

Deux groupes de populations cohabitent dans le Nord-Est de Bambari et sur le territoire de Ngouyali : les Banda et les Mbororo.

a) Les agriculteurs : les Banda

Les populations Banda représentent 83 % de la population totale du Nord-Est de Bambari. Elles se partagent entre deux clans principaux : les Linda et les Gbindi. Les premiers représentent 78 % du total. Leurs grands-parents, affirment les anciens de ce groupe, se seraient installés dans la

région au milieu du 19e siècle, après avoir vaincu les Sabanga. Cette victoire leur aurait conféré la « propriété » du territoire, qu'ils continuent à revendiquer à ce jour. Les villages Linda, presque entièrement installés de nos jours au bord des routes Bambari-Ippy et Bambari Ndjoubissi étaient regroupés au début du 20e siècle le long de l'ancienne route de Ippy, qui est devenue un couloir de transhumance pour les éleveurs.

Quant aux Gbindi, ils ne représentent que 21% de l’ensemble de la population Banda. Ils seraient venus du sud, précisément de la région de Yambélé dans la commune de Gbokolobo, avec à leur tête le chef Ngouyali, fondateur du village qui porte le même nom. A ces deux clans principaux, s’ajoute un petit nombre de Dakpa installés le long de la route de Ndjoubissi.

1) Une organisation sociale fondée sur le primat de la famille

Les populations Banda sont organisées en collectivités villageoises. L'organisation sociale est fondée sur le clan patrilinéaire et patrilocal ne reposant souvent que sur la famille étendue ou lignage. Le lignage englobe tous les descendants d'une souche commune : ils se reconnaissent au nom du groupe que porte le rameau auquel ils appartiennent (Linda, Gbindi, Dakpa, etc). C’est justement cette référence à l’ancêtre fondateur qui règle l’organisation sociale. Idéologiquement, l’existence (fictive ou réelle) de cet ancêtre est un élément moteur assurant le bon fonctionnement du groupe.

Les alliances consanguines étaient sévèrement prohibées, et l'exogamie la règle. Dans le passé, cette pratique permettait de tisser des liens d'alliance, véritables parades contre les conflits, entre villages voisins.

La famille au sens strict, est constituée chez les Banda par le mari, sa ou ses femmes et leurs enfants, ses cadets, et sœurs célibataires et parfois veuves. Cette définition correspond à l’unité d’habitat ou de production. En effet, ceux-ci habitent sous un même toit et travaillent sur le même champ ; la famille restreinte correspond donc à l’unité de production. Le père est le chef de sa maisonnée. Par sa puissance maritale et paternelle, il exerce une autorité absolue sur tous les membres de sa famille et en administre tous les

biens.

Sur le plan politique, la famille restreinte est le lieu de décentralisation du pouvoir du conseil des aînés qui dirige le village. Le chef de famille est le responsable devant la société, d’éventuels mauvais comportements des membres de sa maisonnée. Il est à noter ici que l’organisation politique se limite généralement au village, donc à la famille large clan. A 1’intérieur de la famille restreinte, les individus vivent de façon singularisée, les rapports politiques régissant le clan. L’ordre social doit y être respecté, et tous doivent avoir cet impératif à l’esprit. Donc la famille se définit par le respect de l’ordre social, donc le respect de toutes les lois en vigueur dans le clan.

Les attributions du père de famille englobent également le domaine religieux. C’est dans la cellule familiale en effet, qu’ont lieu les cérémonies rituelles restreintes consacrées aux ancêtres et officiées par le père. C’est ce dernier qui décidera de rendre visite à l’arbre totémique représentant l’ancêtre fondateur, afin de leur demander l’interprétation d’un mauvais cauchemar, les hululements de hibou ou dans le cas où un membre de la famille aurait aperçu un caméléon en train de traversée la route3. Cet arbre clanique est généralement situé à la source, symbole de la vie communautaire. L’interrogation des ancêtres exige des sacrifices ; généralement, on utilise des œufs frais ou un coq blanc. Ceci constitue une démarche restreinte au niveau de la famille, laquelle peut être élargie et officiée par l’aîné du clan qui est généralement le chef du village.

2) L’instance idéologique et politique pré-coloniale : une instance formée de castes

La nécessité de ne pas irriter les ancêtres donnait lieu à une série d’institutions. Dans cette société où l’espérance de vie était très faible, vivre âgé était un signe de succès. Aussi, la conception religieuse Banda exige des plus cadets le respect vis-à-vis des anciens ; car c'est à eux qu'incombe la formation des jeunes membres de la collectivité en vue de leur intégration

dans la vie active, dans le cadre des cercles initiatiques. En outre, le prestige des anciens affirme Ato (1981), serait lié « à ce qu’ils étaient appelés à rejoindre prochainement les ancêtres, à l’expérience et la sagesse que leur grand âge leur aurait permise d'acquérir » ; leur aptitude à adapter la coutume à des situations inédites en conciliant ceux qui, de l’au-delà, étaient attentifs à l’ici-bas ajoutait à leur autorité. En conséquence, les médiateurs prêtres, devins, magiciens, sorciers et guérisseurs qui pouvaient intercéder auprès des forces occultes, car tous dépositaires d’un certain pouvoir issu des puissances supérieures, occupaient une place importante dans la société.

La société pré-coloniale Banda était ainsi fortement hiérarchisée. A sa tête se trouvait un chef, créateur du village ou choisi dans la génération la plus ancienne. De par son prestige du à l’expérience accumulée, il représentait l’ancêtre fondateur. Le chef de la tribu portait le nom Makoundji4. C'était un chef politique auquel incombait tout ce qui intéresse la guerre et exerçait également la fonction de maître de terre. De par cette position sociale, il dirigeait toutes les activités économiques, politiques et religieuses de la communauté. Sur ce dernier point, lui seul était habilité à officier les cérémonies rituelles et à offrir les sacrifices au nom du clan. C'est devant chez lui que se trouvait le hangar à palabres, signe de ses fonctions. Au-delà de ce qui précède, d’où vient la légitimité du pouvoir du chef au sein du groupe ?

Les différents rôles détenus par les chefs ont un dénominateur commun : ils sont tous sous-tendus par un pouvoir de nature charismatique et religieuse. En effet, les chefs représentent dans la société une personne mythique, supérieure. Cette personne mythique, c’est l’esprit de l’ancêtre fondateur. C’est au nom de celui-ci, que les chefs font prévaloir le rôle qu’ils jouent dans la société. Le reste du groupe s’en remet donc à eux on cas de conflit ou simplement lors des différentes cérémonies marquant la vie du groupe. Entendons ici également que le pouvoir des chefs s’exerce dans le cadre idéologico-religieux et selon des rites bien 3

Chez la plupart des populations centrafricaines, faire un cauchemar, entendre les cris de certains animaux ou oiseaux, et même les apercevoir sont signes de bons ou mauvais présages.

précis. Ils sont, en d’autres termes, des prêtres spécialisés et des officiants du culte collectif général. On voit ainsi se dessiner une différenciation politique susceptible d’être génératrice d’une inégalité sociale. Cette différenciation apparente est surplombée par le fait que c’est au nom de la communauté et conformément à l’esprit des ancêtres que les chefs remplissent leur fonction. En aucun cas, ils ne devaient en profiter pour engendrer et perpétuer une quelconque inégalité entre eux et les autres membres du groupe. Le statut du chef qui apparaît au premier abord comme porteur d’une différenciation n’est en fait qu’une fonction sociale, dénuée de tout germe d’inégalité.

Le chef était assisté de notables qui formaient le conseil des sages, tous aînés des différents groupes familiaux du village, choisis dans la même génération que lui, et disposant de compétences techniques ou de pouvoirs exceptionnels, utiles pour la communauté. Ainsi, le conseil du village réunissait-il généralement tous les chefs des castes représentés dans le village : maître de la brousse, maître des oracles, maître de la pluie, maître du fer, maître des plantes etc.

Après le maître de la terre vient le « maître de la brousse », dont les principales qualités étaient sa meilleure connaissance de la brousse, notamment de la faune, de la flore et des plantes médicinales. Mais le grand prestige dont jouit celui-ci dans la hiérarchie sociale Banda s’explique surtout par le fait que très souvent, il exerce les fonctions de « maître de l’initiation ». Donc, à charge pour lui de transmettre aux membres du groupe, à travers ce rite, tout l’éventail des connaissances ancestrales et des règles régissant la société.

Les autres fonctions étaient beaucoup moins importantes, mais concourent au bien être du groupe. Ainsi, le maître du fer (caste des forgerons) fournit les armes et les outils agricoles, le maître de chasse s’occupe plus spécialement de l’organisation et du bon déroulement des chasses individuelles ou collectives, tandis que le « Maître des pluies » doit faire pleuvoir à bon escient (surtout lors des travaux des champs), et doit être capable d’arrêter la pluie pour faire revenir le soleil pour que les herbes

sèchent avant d’être brûlées, etc. On considérait également comme notables, là où cette institution existait, les vieillards qui sont passés par les honneurs du "mvélé"5.

C'est au conseil de sages qu'incombait la charge de régler les affaires concernant la communauté : palabres au sujet des plantations, adultères, vols, etc. Les affaires traitées par le conseil n'étaient pas que celles qui intéressaient les habitants du village ; il s'occupait également de celles concernant les relations de bon voisinage, comme l'empiétement sur certains droits de cueillette et de chasse. Le conseil de sages, était donc le sommet de la structure socio-politique du village.

Toutefois, si le conseil dirige le village, les fondements de son unité et de sa cohésion reposent sur les sociétés d'initiation et les sociétés secrètes qui ont su enseigner aux différentes générations la nécessité d'appartenir au village, et surtout au clan.

L'une de ces sociétés d'initiation, le "Ganza", avait pour rôle de former des hommes et des femmes dans le but de maintenir la cohésion du village, l'égalité de ses membres et une certaine gestion du milieu permettant sa reproduction et sa conservation. Ainsi, un initié ganza apprenait comment reconnaître les plantes médicinales, maîtriser le calendrier agricole et de cueillette, ainsi que les différentes techniques et les périodes de chasse.

A propos de chasse, un accent particulier était mis sur la façon de mieux gérer la puissance du feu de brousse, et celle permettant de distinguer le sexe de l'animal. Le contrôle social qui régnait dans chaque village, faisait que la vie de chaque individu était étroitement liée à celle des autres. Le R.P. Daigre (1930) rapporte que "rien ne pouvait être fait sans que les voisins et parfois tout le village ne soit au courant".

Ceci étant, quelle est la place des autres populations dans le pouvoir traditionnel ? Ce qui est important dans la stratification sociale, ce sont les relations de dépendance du reste de la population à l’égard des notables et de ceux-ci à l’égard des chefs.

Parfois, les structures par lesquelles s’exprime le pouvoir réel sont

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Le mvélé est une forme de retraite (en brousse) de deux mois environ pour les anciens du village, pendant laquelle ils discutaient des grands problèmes concernant l'avenir de la communauté.

factices ; aussi les paysans sont tenus à l’écart de ces structures du pouvoir. Dans la mesure où les paysans ne sont pas admis aux délibérations du conseil, on ne voit pas leur place dans la structure du pouvoir. Cependant, il existe un consensus social dans cette sorte de démocratie. En effet, bien que leur avis ne soit pas délibératif, il est toujours consultatif pour toutes les affaires importantes de la communauté. Avant d’aller siéger aux délibérations du conseil, à propos de succession ou de problèmes touchant au groupe, les notables font des consultations préalables dans leurs lignages respectifs. Mais ces occasions sont limitées. Il n’existe pas de distinction nette sur le plan économique entre le reste de la population villageoise, correspondant à ce que G. Di Méo désigne par « infrastructure » et les strates supérieures « superstructure » constituées du chef et des notables. Tous participent à la production dans des proportions variables. Mais c’est par rapport aux structures du pouvoir que la distinction, s’établit.

En tout cas, cette organisation sociale, ainsi que les différents rites et interdits auxquels se soumettaient les populations, permettaient de garantir la stabilité et la reproduction tant sociale qu’environnementale. Aujourd'hui, les choses sont nettement différentes.

3) L'organisation sociale et politique actuelle

Bien que les Banda continuent toujours à s'organiser de la même manière, les structures en ont changé. En effet, la colonisation, l'avènement de l'Etat moderne, et les nouveaux contacts avec le monde extérieur, sont venus déstabiliser l'organisation traditionnelle et la cohésion sociale de ces populations ; tout comme leurs systèmes de gestion de l’environnement.

Aux villages, autrefois unités claniques ou familiales dispersées aux sources des cours d'eau, se sont substitués des groupements humains beaucoup plus vastes, se massant le long des principales voies de communication.

La fonction de chef du village, qui dans le passé était occupée par le fondateur ou par ses descendants, est de nos jours assurée, par des notables nommés par l’administration ou élus par la population. La plupart des prétendants qui occupent ce poste sont choisis parmi les hommes les plus influents des villages, qui attirent la sympathie de la population grâce à la distribution de quelques cadeaux de circonstance. Pour les nominations, les candidats proposés par les maires et les Députés, le sont très souvent à cause des intérêts partisans. A en croire les populations villageoises, les députés et maires ne retiendraient pour la chefferie, que des candidats capables de mobiliser les populations villageoises, et de les soutenir financièrement dans le cas d’éventuelles élections.

Ce faisant, beaucoup de chefs de village ont perdu une bonne partie de leur influence auprès de leurs administrés, devenant ainsi de véritables marionnettes au service de l'administration centrale. En effet, considérés autrefois comme garants de la stabilité sociale et principaux intermédiaires du clan auprès des ancêtres, ces derniers, comme le souligne Coquery-Vidrovitch (1970), sont passés tour à tour du statut de collecteurs d'impôts, chargés de transmettre et de faire respecter les ordres de l'administration coloniale puis centrafricaine, à celui de représentant du parti dominant.

A Ngouyali, le conseil des sages se résume désormais en une assemblée de quelques leaders d’opinion, choisis en fonction de certains liens de parenté ou de leurs affinités amicales ou politiques. Cette situation a abouti en 1997 à la partition du village en deux quartiers (Ngouyali 1 et Ngouyali 2), dirigés chacun par un chef.

Quant aux sociétés d'initiation, elles ont quasiment disparu, supplantées par l'école moderne et les établissements religieux, chargés d'instruire et de moraliser les populations sur des bases occidentales. Les personnes âgées, complètement déphasées, perdent de plus en plus leur influence auprès des jeunes. Ces derniers sont surtout attirés par l’aventure dans les villes, et peu soucieux de perpétuer des traditions qu'ils considèrent rétrogrades. Comme nous le constatons, la société Banda est une société en pleine mutation.

3) L'habitat en pays Banda d'aujourd'hui : entre modernité et rémanence des traditions ancestrales

Les villages actuels regroupent souvent plusieurs centaines d'habitants dont entre les 2/3 et les 3/4 possèdent généralement deux lieux d’habitation. L'exemple le plus patent est celui de Ngouyali où, 78 % des villageois abandonnent saisonnièrement le village pour s’installer près de leurs « plantations ».

Le village Ngouyali est situé à 60 Km de Bambari, sur la route nationale N°5 reliant cette ville à celle de Ippy. Il se scinde en deux ensembles bien distincts à la fois par leur configuration et leur fonction. Le premier est une véritable « agglomération », située en bordure de la route. C’est le village principal auquel toute la population s’identifie. Les habitations, rondes à l’origine, ont depuis bientôt un demi-siècle cédé la place aux cases rectangulaires, construites en parpaings de briques, et coiffées de pailles ou de tôles. Les villages sont organisés en plusieurs quartiers, représentant les différents sous clans qui les composent. Le village