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CHAPITRE III : ACTIVITES AGRICOLES DES BANDA ET CONTRAINTES D’ISOLEMENT

B- LE COTON : DE LA CULTURE FORCEE A LA CULTURE BOUDEE

1) Le coton : un héritage colonial

Les populations de savanes centrafricaines d’avant la période coloniale connaissaient le coton sous sa forme Gossypium punctatum. Elles savaient le filer et le tisser, sous forme de grandes bandelettes de 4 à 5 mètres de long et de 3 à 4 cm de large. Ces bandelettes soigneusement passées au bois rouge (Pterocorpus milbrande harus ; "Folo" en Banda) étaient drapées flottantes autour du corps et de la tête pendant les danses (R.P. Daigre, 1906).

L’idée de culture industrielle du coton est née en 1920, lorsque la crise mit l’Oubangui-Chari dans une situation économique grave. Quelques essais timides furent tentés en 1921 près de Bangui, mais les premiers travaux ne furent entrepris qu’en 1926, sous l’instigation du Gouverneur Félix Eboué, surtout dans la région de Bangassou, voisine des Uellé du Congo belge où, depuis 1909, la culture était bien installée.

A partir de 1927, quatre sociétés se formèrent successivement. Il s’agissait de : la compagnie cotonnière Equatoriale Française (COTONFRANC), la Société française des Cotons Africains (COTONAF), la Compagnie Cotonnière du Haut-Oubangui (COTOUBANGUI), et la Compagnie commerciale et cotonnière de l’Ouham-Nana (COMOUNA).

Ces quatre sociétés se virent accorder le privilège d’achat du coton dans des zones déterminées. Ce privilège se justifiait par la nécessité de leur garantir la matière première qui leur était indispensable pour alimenter leurs centres de transformation (usinage, pressage, emballage, etc.), en

contrepartie de lourds investissement18. En retour, l’administration demandait aux compagnies concessionnaires, d’acheter à l’autochtone tout son coton graine à un prix fixé par elle d’après un barème dont le montant était fonction des prix du coton fibre sur les divers marchés européens.

Au cours des quinze années qui ont suivi son introduction, la culture du coton s’est rapidement étendue à la quasi-totalité des régions : la production est ainsi passée de 585 t en 1925-26 à plus de 39 000 t en 1939-41. Cette progression rapide de la production résulte d’une part de l’augmentation des surfaces et de l’accroissement nombre des planteurs, dus à l’extension géographique de la zone cotonnière, et d’autre part de l’obligation de produire du coton faite à tout paysan imposable, homme ou femme. La culture se faisait en « blocs », chaque adulte se voyant attribuer une parcelle dont la taille standard était déterminée chaque année par la longueur de la « corde »19. Les administrateurs locaux avaient la responsabilité de la production et de l’encadrement des paysans.

Après la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1969, année où la production du coton atteindra son record « historique » (58 743 t), la production fut marquée par des oscillations très importantes dans la fourchette allant de 25 000 t à 50 000 t, avec une moyenne de 36 000 t.

C’est à cette époque que L'Institut de Recherche sur le coton et les Textiles (I.R.C.T) s’installe en Oubangui-Chari avec la création des stations de recherche de Soumbé en 1946 et de Bambari en 1947. Parallèlement, le service de l’agriculture put mettre en place un encadrement technique solide grâce à des moyens humains plus importants.

La mort de Barthélemy BOGANDA, en mars 1959, est suivie d’une rapide dégradation de la situation politique et économique. Toute une série de taxes s’ajoutent à l’impôt de capitation et finissent par atteindre un niveau intolérable pour les paysans. La production cotonnière diminue, et les cours sont bas. La conjoncture est de plus en plus défavorable aux sociétés cotonnières privées, qui entrent en crise avec le gouvernement, d’autant plus qu’avec l’abolition de la culture forcée, il leur était difficile de

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Conquery-Vidrovitch, parle des investissements de l’ordre de 25 milliards de francs. 19

continuer à utiliser des méthodes coercitives pour augmenter leur production.

L’Union Cotonnière Centrafricaine (UCCA) est alors créée en 1964, avec la participation majoritaire du secteur public (Etat, CFDT, BDPA) et la participation minoritaire des sociétés cotonnières (Cotonaf, Cotoubangui, Cotouna).

On procède alors à la création d’une Caisse Centrafricaine de Stabilisation qui va contribuer à l’équilibre de l’économie cotonnière. Durant la période 1964 à 1967, plusieurs projets d’appui technique cherchent à modifier fondamentalement la culture cotonnière, en la faisant passer du stade de la culture extensive à celui d’une agriculture intensive. Cette phase coïncide, à partir de 1966, avec l’arrivée au pouvoir du colonel BOKASSA et la période euphorique qui a caractérisé les premières années de son pouvoir.

Cette embellie sera hélas de courte durée. En effet, à partir de 1970, le gouvernement centrafricain décide de promouvoir un programme de « réforme agraire » qui semble s’inspirer des pays socialistes, et basée sur des pressions sur les agriculteurs. Les chercheurs et assistants techniques français sont priés de quitter le pays, sans avoir formé la relève. Les structures d’encadrement sont dissoutes et, très vite, contrairement aux objectifs grandioses de l’opération, rendements et production diminuent. La création de l’Empire centrafricain met le pays dans un état de crise financière qui a de graves répercussions : les routes se détériorent entraînant une quasi-disparition du petit commerce dans les zones rurales ; les fonctionnaires et le personnel des services techniques sont mal payés, l’UCCA est nationalisée, la commercialisation du coton et la fourniture des intrants sont désorganisées. Malgré l’augmentation des prix aux producteurs, la production passe sous la barre des 30 000 t en 1979 et s’effondre à 17 500 t au cours de la campagne 1981-82 qui suit la chute de l’empereur.

En 1983, la SOCADA, Société Centrafricaine de Développement Agricole succède à l’UCCA. Financée par de nombreux bailleurs de fonds, elle est chargée de mettre en œuvre un projet de développement intégré. Les vulgarisateurs sont remis au travail, la recherche est efficace, le prix d’achat

du coton graine est augmenté, les achats se font rapidement, et les intrants sont mis en place à bonne date. Toutes ces mesures redonnent confiance aux producteurs. La relance est spectaculaire et plus rapide que prévue : en 1984-85, la production atteint 45 500 t et les rendements dépassent les 570 kg/ha.

Alors que ce projet s’exécutait à la satisfaction générale, l’effondrement des cours du coton en 1985 révèle que les résultats techniques obtenus masquaient une structure qui s’était progressivement alourdie dans l’euphorie générale et l’abondance des financements extérieurs. Face à l’impossibilité de la SOCADA de rembourser ses dettes, l’Etat fait appel aux principaux bailleurs de fonds pour le financement d’un programme d’ajustement structurel. Cette aide est assortie de conditions draconiennes qui aboutie à l’effondrement de la production (19 000 t en 1987-88).

A la suite d’une nouvelle chute des cours mondiaux du coton, la filière fut à nouveau dans de graves difficultés. Il fut décidé en 1992-93, l’éclatement des activités de la SOCADA et la création de la Société Cotonnière Centrafricaine (SOCOCA), une entité strictement industrielle et commerciale gérée par la CFDT.

Les activités de la SOCOCA, même si elles débutèrent dans des conditions sociales et économiques difficiles, commencent peu à peu à donner des résultats : la production de coton graine est passée de 12 052 t en 1992-93, à 46 040 t en 1997-98. La société cotonnière a enregistré pour la première fois des bénéfices, et l’Etat perçoit enfin des recettes fiscales directes de cette production exportée à 100%. L’espoir renaît donc après une période particulièrement difficile pour tous les partenaires de cette filière cotonnière qui s’est toujours confondue avec l’histoire même du pays et de la région de Bambari. Mais l’effondrement mondial des prix du coton en 2000 replonge aujourd’hui la SOCOCA dans de sérieux problèmes : les récoltes de la campagne 2000-2001 ont été très tardivement collectées.

Ce regard sur le passé nous rappelle que le coton est une culture qui a été très profondément marquée du sceau de l’autoritarisme administratif, ce qui lui donne encore aujourd’hui un certain caractère ambigu. Cette sensibilité se traduit, on l’a vu, par une évolution tout à fait discontinue de

la production marquée par des périodes de croissance rapide suivies de chutes toutes aussi brutales, liées tant à la fois aux sautes des cours mondiaux qu’à l’instabilité politique nationale. Une situation qui se répercute sur la qualité du travail et le revenu des producteurs qui, dans le Nord-Est de Bambari, ont un sentiment très mitigé vis-à-vis de cette culture.