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CHAPITRE III : ACTIVITES AGRICOLES DES BANDA ET CONTRAINTES D’ISOLEMENT

B. DES CONDITIONS DE PRATIQUE DE L’ELEVAGE DIFFICILES

3) La pression grandissante des autorités administratives et traditionnelles

L'enquête effectuée en 1990 par Lemasson et Remayeko avait, à juste titre, mis en exergue des prélèvements abusifs exercés à l'encontre des éleveurs par diverses autorités et pour des motifs variés. Elles s'étaient en particulier focalisé sur le problème de la "Zaakat", et en avait évalué le montant pour la communauté Mbororo à 1milliard 300 millions, à raison de deux taurillons de deux ans /famille.

La zaakat ne serait pas un problème, s’il ne s’agissait que d'une aumône religieuse définie selon des règles précises. Elle le devient lorsque les maires de communes d’élevage, des représentants de la FNEC cherchent à en abuser, éventuellement à la percevoir à plusieurs reprises ou à en changer les taux. Elle le devient, car certains Mbororo refusent de la verser à tel ou tel qui impliquerait sa reconnaissance de facto comme chef, et préféreraient la verser librement. C'est donc plus dans les abus que dans son contenu théorique que la zaakat peut devenir un problème.

A propos d’abus, les Ardo’en et le maire de la commune de Ouro-Djafun sont réputés être parmi les plus exigeants de la République Centrafricaine. Ici, le pouvoir est détenu dans 76% de cas par les Djafun, et

notamment par les Faranko’en. Ces derniers forts de leur situation de premiers arrivés ont instauré un pouvoir fort, quasiment identique à celui des Fulbés de l’Adamaoua camerounais. Ce pouvoir fort est basé sur un système d’imposition que l’on retrouve à tous les niveaux : ceux d’Ardo, du chef de groupe et du maire. A cela, s’ajoutent les contributions ponctuelles obligatoires au maire de la commune, pour lui permettre de faire face à certaines demandes de la Fédération nationale des éleveurs centrafricains (FNEC).

En tout cas, pour les éleveurs Mbororo, les taxations abusives portent un nom bien distinct, le "sofal" ou encore "sofal lumo", c'est-à-dire la taxe du chef, taxe qu'il se permet de prélever pour manifester son autorité, notamment, à l'encontre des éleveurs turbulents ou réfractaires qui tardent un peu trop à reconnaître son autorité. Le règlement des conflits internes à la société Mbororo, par exemple lors de bagarres entre jeunes, peut être l'occasion pour certains de ces chefs de prélever quelques têtes de bétail à leur bénéfice. Les héritages, les mariages non-musulmans de certains éleveurs païens sont aussi l'occasion d'effectuer les prélèvements.

La Zakaat est perçue comme étant un problème par 21% des éleveurs. Dans la commune de Ouro-Djafun, les nouveaux arrivés dénoncent sa perception. Cette commune dont le maire et les Ardos sont très puissants, a accueilli assez récemment des éleveurs venus du Soudan. Confrontés à ce maire et Ardos de vieille souche, ces éleveurs sont sans doute plus pressurés pour des motifs "religieux" : les Djafun considèrent la plupart des nouveaux venus (Ngadjawa, Bonganko’en, Oudda) comme des impies, à cause de nombreux gris-gris qu’ils portent sur eux. Ce qui n’est pas le cas pour les anciens éleveurs (Wodaabé par exemple) avec lesquels la symbiose est plus ancienne, et avec lesquels existent aussi des liens de parenté historiques communs (famille Djafun installées de longue date). Les plaintes à propos du "sofal" atteignent plus d'un éleveur sur trois (39%).

Plusieurs éleveurs (18%) ont exprimé un quelconque mécontentement à l'égard de l'administration dont les tracasseries sont nombreuses : exagération des dommages et intérêts dans les litiges concernant les dégâts causés par le bétail, répression suite aux affaires de "zaraguinas" (coupeurs

de routes), etc. Mais les critiques les plus sévères concernent l’attitude des grands dirigeants des éleveurs, que leurs membres considèrent de plus en plus comme les complices des tracasseries administratives dont ils sont victimes.

De tout temps en effet, les dirigeants des éleveurs centrafricains auraient toujours fait le jeu des pouvoirs politiques, en adhérant systématiquement au parti politique au pouvoir. C’était déjà ainsi au temps du Mouvement de l ‘Evolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN) de Boganda et Bokassa, et du Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC) de Kolingba. Ce serait le cas aujourd’hui avec le Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC). 12 % des éleveurs expriment ouvertement leur désaccord avec cet état de fait qui, à leur avis, ne fait qu’augmenter leurs dépenses. En dehors de la carte d’adhérent FNEC obligatoire qu’ils payent chaque année, les éleveurs doivent adhérer aussi au parti politique dominant pour faire plaisir à leur ardo, avec ses corollaires : cotisation annuelle et participations diverses. Il faut souligner que les Mbororo en Centrafrique, payent toujours le prix fort. Cette situation exaspère beaucoup d’éleveurs, exaspération que résument les propos de l’un d’entre eux rapportés par C. Lemasson (1992) : « Nous sommes en danger tant du côté des « zaraguinas » que du côté du gouvernement. L’éleveur Mbororo est faible. Nous n’avons plus de vrais chefs, nous ne sommes plus défendus ». Lors de nos enquêtes de septembre 2000, un fils d’un ardo Ngadjawa nous affirmait : « on se sert de nous, mais le parti ne nous apporte rien. Nous les éleveurs nous serons jugés avec ceux qui sont au pouvoir21 maintenant parce que la FNEC soutient le gouvernement». Ces sentiments d'abandon et d'inquiétude sont également exprimés à propos de l'insécurité qui sévit depuis quelques années dans la région.

4) Une insécurité grandissante : la menace des "Zaraguinas"

Phénomène apparu au milieu des années 1980, les attaques des "Zaraguinas", également baptisés "coupeurs de route", parce que certains

bandits s'en prennent aux véhicules de transport et rançonnent les voyageurs, a provoqué un changement complet du contexte pastoral en Centrafrique. Ces bandits ont en effet, jeté leur dévolu sur les commerçants en bétail et éleveurs. Les uns et les autres ont été attaqués lorsqu'ils revenaient du marché, dévalisés, battus et souvent tués ainsi que les femmes et de jeunes enfants. Fréquemment aussi, ils étaient menacés, une rançon était exigée contre la libération des membres de leur famille pris en otage par les pillards. Devant ce climat de violence, beaucoup se sont rapprochés des routes et des villages. Certains ont préféré abandonner les régions où ils étaient menacés, choisissant de repartir vers les plateaux du Nord-Ouest, le sud, voire de regagner le Cameroun.

Ne maîtrisant pas correctement les données de ce problème complexe et très préoccupant, il nous est difficile d'émettre des hypothèses quant à l'origine de ce phénomène. Toutefois, nous constatons que ce phénomène qui dure depuis bientôt deux décennies n'a toujours pas trouvé de solution. Son impact bien évidemment est très négatif sur éleveurs de cette région.

Ce problème représente plus de 70% des plaintes des éleveurs de notre zone d'étude. Face à cette situation, les éleveurs avec l'appui des maires et de l'administration ont constitué des groupes "d'anti-Zaraguina", véritables troupes armées d'arcs et de flèches empoisonnées, qui se mobilisent très rapidement quand il y a eu attaque et qui n'hésite pas à aller à la poursuite des brigands. Les anti-zaraguinas seraient dotés de gris-gris ("Ouarga" en foulfouldé) qui leur conféreraient une invincibilité aux balles de fusils et à toute arme fabriquée à base de métaux. De nombreuses légendes circulant dans ce milieu prétendent même, qu’en cas de coups de feu tirés sur un « anti-zaraguina », les balles de fusils fondraient avant d’avoir atteint leur cible. Une chose est certaine, le gouvernement centrafricain a autorisé il y a quelques années ces « justiciers » à exercer leur activité, ce qui à en croire certains Ardo et autorités militaires centrafricains, auraient contribué au recul des agressions.

Malheureusement, la constitution de ces groupes armés n’est pas sans conséquences. En effet, ces jeunes, forts de leur soit disant réputation

d'invincibilité face aux balles, deviennent de plus en plus arrogants au point que dans les disputes avec les agriculteurs, ils n'hésitent pas à intimider ces derniers avec leurs flèches. Une attitude qui ne manque pas de porter préjudice aux éleveurs, de plus en plus accusés de complicité avec les zaraguinas, par les populations Banda et l’administration.

Cette accusation s’explique par l’origine des zaraguinas, qui d’après les témoignages unanimes de ceux (Mbororo ou d’autres populations) qui ont connu la mésaventure de les croiser, seraient des peuls à cause de la langue fulfuldé qu’ils utilisent pour communiquer. Ces informations, ajoutées au fait qu’ils vivent en brousse comme les Mbororo, aboutissent à l’amalgame. Plusieurs ont été accusés de complicité avec ces brigands. Mais jamais, on a pu avoir des preuves palpables de cette collaboration. N’empêche, que de telles suspicions contribuent à envenimer les relations entre les agriculteurs et les éleveurs, déjà bien tendues à cause des problèmes d’exploitation de l’espace.

Conclusion

La conclusion que nous pouvons tirer de ce chapitre, est que l’élevage est depuis quelques dizaines d’années l’un des maillons essentiels de l’économie du Nord-Est de Bambari et de l’ensemble du pays. C’est une activité en pleine mutation, car uniquement pratiqué à son début par les pasteurs Mbororo, il attire depuis quelques années de nombreux agriculteurs Banda, qui y voient une façon de capitaliser les revenus agricoles. Cependant, sur le plan technique, cette activité semble figée, alors qu'au niveau social les changements sont nombreux. Tout d’abord, l’élevage considéré autrefois comme une activité de prestige, devient pour beaucoup l’objet d’une spéculation financière. A l’instar de Maloum, chef lieu de la commune de Ouro-Djafun, les Mbororo autrefois considérés comme des hommes de brousse, ont tendance à s’installer dans de grands villages, ne laissant la charge de leurs troupeaux qu’aux cadets ou aux bouviers. A propos de cadets, nombreux sont des adultes qui se plaignent du désintérêt

des jeunes pour les activités pastorales. Cette attitude vient s’ajouter aux difficultés déjà existantes.

Ces difficultés sont nombreuses. Elles vont des problèmes sanitaires à l’insécurité, en passant par les difficultés économiques dues aux difficultés que connaît le marché du bétail dans le pays, l’exaction des autorités tant traditionnelles qu’administratives, etc. Comme conséquences, les éleveurs s’appauvrissent, beaucoup n’ayant pour solution que de se mettre à l’agriculture, pour combler le manque à gagner dû à la limitation de la vente du bétail. Mais le vrai problème ressenti par ces éleveurs aujourd’hui, comme nous allons le voir dans la partie suivante est celui du « manque » de pâturages à l’origine des relations houleuses avec les agriculteurs.

Conclusion partielle

Cette partie nous a permis de présenter le Nord-Est de Bambari, une région rurale du Centre-Est centrafricain où cohabitent agriculteurs et éleveurs, depuis une soixantaine d’années. Arrivées au début du 19e siècle poussés par les razzias esclavagistes arabes, les populations Banda y ont été rejointes à la fin des années 1930 par les Mbororo venus du Cameroun, et à la recherche de bons pâturages. Réunies par les aléas de l'histoire, Mbororo et Banda diffèrent, tant sur la plan organisationnel, économique, que religieux. En effet, les Banda sont organisés en villages réunissant des personnes du même lignage et dirigés par des chefs qui autrefois étaient les patriarches du groupe, tandis les Mbororo vivent dans des campements formés de plusieurs clans (pas forcément du même lignage), sous la direction d’un leader (le Ardo) à qui chacun doit allégeance. A ce jour, ces organisations sont en pleine mutation, sous la pression de la modernité : les chefs traditionnels Banda ont perdu leur influence au profit des auxiliaires de l'administration, et les Ardo’en Mbororo en proies à la lutte pour le pouvoir.

Au niveau économique, agriculture et élevage bovin sont des activités dominantes. L’élevage est l’apanage des pasteurs Mbororo, très attachés à leur bétail. Cette activité traditionnelle est basée sur le système de transhumance de saison sèche. Le cheptel bovin a connu une croissance très rapide, grâce à un milieu favorable (région de plateaux limitant la prolifération des glossines, pâturages abondants), et surtout à l'assistance technique importante dont elle bénéficie depuis son introduction. Les activités agricoles quant à elles sont pratiquées par les Banda, plutôt agriculteurs-cueilleurs. L'agriculture traditionnelle, qui autrefois reposait essentiellement sur les cultures vivrières a été bouleversée par l’introduction de la culture forcée du coton en 1926 ; celle-ci est aujourd’hui boudée par la population, mais toujours maintenue en tête d'assolement, du fait des facilités de commercialisation. De plus, cette culture a favorisé de nombreuses innovations techniques : forme géométrique des parcelles de culture, semi en ligne, culture attelée. A ces deux activités, il faut noter de

surcroît l'existence de la chasse et de la cueillette, qui fournissent un supplément alimentaire et de revenu important.

Toutes ces activités, jusqu'en 1964, s'organisaient dans un même espace, grâce à une entente entre chef Mbororo et Banda. Mais, reposant sur un système extensif, l’agriculture et l’élevage par leur grande consommation d’espace sont très vite entrées en concurrence, ce qui amena l’Etat à décider de la partition de la région entre ces deux activités en 1970. Le but de cette décision était d’éviter les disputes entre agriculteurs et éleveurs. Toutefois, les plaintes des deux communautés concernant le manque des terres de cultures et la dégradation des pâturages, ainsi que les tensions et disputes à la suite des empiètements de zones semblent témoigner d’une véritable crise qui fera l’objet de la partie suivante.