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CHAPITRE III : ACTIVITES AGRICOLES DES BANDA ET CONTRAINTES D’ISOLEMENT

C- LES ACTIVITES EXTRA-AGRICOLES : SURVIVANCES OU STRATEGIES MODERNES DE SURVIE

Comme l'ont si bien souligné Piermay (1977) et Decoudras (1980), les activités extra-agricoles jouent encore un rôle considérable dans la vie sociale et économique des villages. Ce sont des occasions de rassemblements et de fêtes. "Négligées par l'administration, coloniale puis centrafricaine, elles offrent à la communauté une vie plus autonome" (Guillemin, 1957). Aujourd'hui, elles sont toujours des activités très appréciées ; notamment dans les régions où la densité de population est faible. C'est ce qui se passe dans la partie Nord de Bambari, où, pendant la partie de l'année où l'activité agricole est nulle, toute la population valide du village part en brousse et laisse aux vieillards la garde des maisons. L'intérêt économique de la chasse et de "l'extrativisme", comme le dit Seignobos (2000), est loin d'être négligeable.

De vastes espaces disponibles permettent la chasse, la pêche et le ramassage et assurent la reconstitution des ressources si l'exploitation est limitée comme c'est le cas dans le cadre des techniques traditionnelles. Dans la région Nord-Est de Bambari, le mode de vie des villageois intègre étroitement chasse, cueillette et agriculture, voire petit élevage et artisanat, alors que l'administration considère le paysan comme un simple cultivateur.

1) La chasse

Elle a beaucoup régressé du fait de la multiplication des fusils de chasse de fabrication artisanale, des destructions massives de gibier et de l'occupation du territoire par les éleveurs. Dans le passé, cette activité était collective et nécessitait de longs déplacements (grande chasse). Aujourd'hui, elle est surtout pratiquée par des hommes seuls ou en petits groupes. La chasse au feu garde encore son attrait. Elle commence au début de la saison sèche autour des maisons, et s'étale jusqu'en mars dans toute la savane. Il en est de même pour la chasse au filet et le piégeage. Pour la protection des

cultures, des collets et des fosses camouflées sont disposés près des champs, sur les passages habituellement suivis par les animaux.

Très prisée, la viande de chasse est une source de revenu non négligeable. Elle présente beaucoup moins de dépense en temps et en énergie pour ceux qui la pratiquent, par rapport aux travaux agricoles. En effet, comme nous l'avons signalé plus haut, les fusils et les cartouches ici sont de fabrication artisanale, et le gibier se vend très bien. A Ngouyali par exemple, un gigot d'antilope coûte 1200 FCFA, une perdrix et un lapin 800 FCFA chacun, un céphalophe 1800 FCFA.

2) La pêche

C'est surtout une activité de saison sèche, pratiquée essentiellement par les femmes, quand les petits cours d'eau peuvent être barrés par des digues. Cela n'empêche que, d'octobre à janvier, le courant, encore sensible, soit entièrement dévié par les hommes à travers une nasse disposée côté aval du barrage. De cette manière, les poissons qui redescendent la rivière à cette époque de l'année se retrouvent piégés.

En fin de saison sèche, de février à mars, les femmes obstruent entièrement les rivières par plusieurs digues de terre. Dans les étangs ainsi formés, elles pêchent au tamis ou bien vidangent l'eau avec des calebasses pour récupérer ensuite le poisson dans la boue. Des poisons traditionnels (Tephrosia vogelii, par exemple) ou modernes comme les insecticides, peuvent être utilisés. Dans les grandes rivières comme la Baïdou, l'Igonda et la Mbounou, les hommes pratiquent de nuit la pêche à la ligne avec appât. Le fil est fixé à des cannes plantées dans le sol ou à un cordeau tendu entre les deux rives. Pratiquée surtout pour l'autoconsommation, les revenus provenant de la pêche sont difficiles à chiffrer. La seule information que nous avons pu obtenir des populations locales, est qu'un tas d'une dizaine de petits silures d'environ deux kilogrammes, coûterait 500 FCFA et 3000 FCFA pour un capitaine de cinq kilogrammes.

3) La cueillette

La cueillette concerne de très nombreux produits, alimentaires surtout : fruits et graines consommés comme friandises lors des déplacements en brousse, noix oléagineuse (karité), champignons, plantes à sauce (Gnetum africanum… ), ignames sauvages et de très nombreuses feuilles que l'on mange comme épinards. En outre, on récolte des plantes à sel, dont la préparation se fait encore dans les villages, et des plantes médicinales. L'activité de cueillette la plus importante concerne le miel. A Ngouyali, 32 % des hommes affirment exercer cette activité. Dans la réalité, seuls deux à trois habitants la pratiquent réellement. C'est en fait une forme rudimentaire d'apiculture. Les ruches (Dingo), en forme de gros cigares d'un mètre de long, sont constituées de morceaux d'une écorce résistante recouverts de paille et maintenus par un treillis de lianes. Elles sont placées en un endroit bien ensoleillé sur la fourche d'un arbre effeuillé. La récolte de miel a lieu environ un an après la pose de la ruche. Au moment de la récolte, la ruche est enfumée afin d’endormir les abeilles. Le nid est pressé dans une cuvette, afin de recueillir le miel qui sera vendu brut ou sous forme d'hydromel. Une ruche peut fournir entre 15 et 20 litres de miel. Les trois principaux producteurs du village ont déclaré avoir récolté 825 litres de miel en 2001. Sachant que le prix moyen du litre dans la région est de 400 FCFA, cette activité leur aurait alors rapporté un revenu global de 330 000 FCFA. Si on ajoute le revenu provenant de la cire, on comprend pourquoi certains paysans boudent les activités agricoles, et n'hésitent pas à s'en prendre aux éleveurs pour préserver leur terrain de cueillette.

Comme l’a constaté Piermay (op.cit), le ramassage des termites témoigne bien de la diversité des activités de cueillette. Plusieurs espèces sont recueillies à diverses époques de l'année. Les termites - Koitè - (en langue Banda) sont ramassés avant la saison des pluies ; « la technique utilisée consiste à asperger les termitières d'eau, pour faire illusion d'une pluie aux termites, et provoquer l'envol de l'essaim ». Le ramassage des termites - ndanga - est fait de nuit, immédiatement après les premiers orages ; l'envol de l'essaim est spontané, mais celui-ci est attiré par une torche électrique

placée dans un trou creusé à proximité de la termitière. Certains termites sont consommés sous forme de larves. Les champignons cultivés par les termites grandissent à l'extérieur de la termitière abandonnée, mais seuls sont récoltés les champignons poussant sur les termitières géantes, fabriquées par les termites ndanga.

Les produits de cueillette, de chasse ou de pêche ne sont pas seulement destinés à l'autosubsistance du groupe villageois. Ils sont également appréciés des citadins et alimentent des courants d'échanges entre la ville et la campagne. Ainsi gibier, poisson, plantes diverses, miel sont acheminés à Bambari, Ippy et Bria par des commerçants et surtout par des particuliers. L'attrait du gain a provoqué le développement de formes nouvelles de cueillette. Celle-ci n'a, en effet, jamais été une activité figée - les plantes à caoutchouc exploitées sur ordre de l'administration au début du siècle ont été reconverties à d'autres usages ; les Landolphia sont maintenant appréciés pour leurs fruits, le Ceara (Manihot glaziovii) pour ses feuilles, que l'on mange bouillies (Piermay, op.cit.).

Mais, c'est le marché de consommation urbain qui a provoqué les bouleversements les plus profonds. Autour de Bambari par exemple, le ramassage de l’Imperata cylindrica, utilisées par les Banda pour recouvrir les toits de leurs habitations est devenu un travail à plein temps pour certains citadins. Vendues en bottes d’une quarantaine de kilos maximum, ces herbes sont ramassées dans les savanes péri-urbaines. Quant au fagot et au charbon de bois, ils sont devenus de véritables produits de commercialisation.

Le développement du commerce des produits issus de la chasse et de « l'extrativisme » s'explique, comme nous l'avons montré, par les revenus élevés que ces activités procurent à ceux qui l'exercent. Elles sont bien supérieures près des villes, là où l'intensité du trafic permet l'acheminement de produits demandés en grandes quantités par le marché urbain. Près de Bangui, la cueillette permet des revenus annuels de l'ordre de 30 000 C.F.A. pour la vente du bois - qui n'est qu'un sous-produit de l'activité non-agricole - et de 1 50 000 C.F.A. pour le charbon. Comment peut-on expliquer les

différences considérables entre les revenus respectifs de l'agriculture et ceux des activités-extra agricoles ?

La réponse à cette question se trouve dans la stratégie des paysans, de maximalisation de leurs activités. L'agriculture nécessite un investissement en travail très important. Pratiquée selon les méthodes traditionnelles, elle comporte des goulets d'étranglement qui limitent ses possibilités d'expansion. Le plus important handicap est la faible disponibilité des ménages en force de travail (2,4 en moyenne). Il se manifeste surtout au début de la saison des pluies, lorsque succèdent aux derniers travaux de préparation des champs, les semis et les premiers sarclages. En revanche, le facteur limitatif principal de la cueillette est la capacité du milieu naturel. Les prix de ces produits sont élevés, en raison d'une offre relativement faible.

La cueillette garde un rôle persistant dans l'économie de la région, non seulement dans sa fonction traditionnelle, qui est de concourir à la subsistance des hommes, mais de plus en plus sous une forme modernisée, en alimentant des courants d'échanges indispensables aux villes de Bambari, Ippy et Bria. On pourrait affirmer avec Piermay (op.cit.) que, "faute d'acquisition de techniques agricoles plus productives, la pratique soutenue des activités extra-agricoles est le seul moyen connu par le paysan centrafricain pour l'obtention de gains élevés". Ce phénomène est porté à son paroxysme près des villes, là où les incitations aux transformations sont les plus fortes.

En milieu paysan de la commune de Danga-Gboudou, chasse, cueillette et agriculture sont donc étroitement complémentaires. Le calendrier annuel des activités des villageois montre bien qu'il s'agisse d'une véritable vie parallèle, volontairement ignorée par l'encadrement administratif. Or, le groupe villageois reste encore très attaché à cette activité et a besoin par conséquent d'espace pour l'exercer. La situation a changé depuis quelques décennies, à cause de la méconnaissance de la vie paysanne par l'administration qui a favorisé l'installation des éleveurs Mbororo dans l'espace de cueillette de la commune de Danga-Gboudou. Ceci a bouleversé l'organisation traditionnelle de l'espace, provoquant ainsi comme nous le verrons plus loin des heurts et des conflits.

Comme le souligne Seignobos (op.cit), "l'un des véritables enjeux des ressources entre pasteurs Mbororo et cultivateurs-cueilleurs Banda, se situe largement aujourd'hui, au niveau politique". La prise en compte de ces pratiques s'impose, avant le dérèglement de certains biotopes, surtout si l'on veut aboutir à une meilleure gestion de l'espace dans cette région.