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CHAPITRE I : UN PEUPLEMENT FAIBLE ET DISCONTINU

B. LES HERITAGES DE L'HISTOIRE

2. Les Mbororo : peuple venu d’ailleurs et devenu Centrafricain

a) histoire de la migration des Mbororo en Afrique centrale

Depuis quelques décennies, la présence des populations Mbororo accompagnées de leurs zébus aux cornes en lire est devenue familière, dans les régions de savanes centrafricaines. On les croise presque partout dans la brousse à la recherche de meilleurs pâturages pour leur bétail, sur les marchés où ils viennent s’approvisionner, et de plus en plus à la tête des collectivités locales voire dans les différentes structures de l’administration. Leur influence de plus en plus croissante dans le pays et les réactions qui les accompagnent, nous poussent à nous poser la question de savoir, comment ces populations encore inconnues il y a trois quarts de siècle ont pu s'installer dans cette région, s'insérer dans la société centrafricaine et dans les structures politico-administratives au point d’y occuper une place importante et même de devenir des chefs ?

On peut commencer ce résumé historique au début du XIXè siècle, quand divers clans Peuls habitant la région de la vallée de la Bénoué – c’est à dire l’actuelle région limitrophe entre le Nigeria et le Cameroun – se rallièrent à la cause du leader Foulbé Ousman Dan Fodio et entreprirent

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Capita est la déformation de capitaine en Sango, langue nationale centrafricaine. Utilisé autrefois pour désigner les contrôleurs de travaux routiers, il désigne aujourd’hui les gardes municipaux ou les hommes de main des chefs de villages.

d’étendre la guerre sainte jusqu’à ce qui constitue aujourd’hui le Nord Cameroun.

Les clans Peuls impliqués dans la jihad ont bénéficié des succès militaires, et durant la première moitié du XIXè siècle, ils ont établi une série d’Etats indépendants, dispersés à travers les savanes du Nord Cameroun. L’organisation de ces formations politiques à en croire Eldridge M. (1965), était fondé sur des modèles provenant des structures des Etats islamiques des Haoussas et des Kanouri, mais aussi des structures politiques indigènes qui existaient déjà chez les peuples non musulmans de l’Adamaoua, comme les Mbum. Les structures de ces Etats reposaient sur des modes d’incorporation différenciés des peuples « païens » conquis, réduits en esclavage ou assujettis à des taxes et obligations diverses telles que le stipulait la loi coranique pour les sujets « païens » (Burnham, 1980).

Contrairement aux Foulbé du Nord-Cameroun, les ancêtres des groupes Mbororo qui vivent actuellement en territoire centrafricain ont peu participé au jihad lancé par Ousman Dan Fodio au XIXè siècle. Ils ne sont arrivés en Adamaoua qu’après la consolidation des Etats Foulbé. Leurs relations avec les dirigeants de ces états ont souvent été très houleuses, et de subordination. Les Foulbé reprocheraient aux Mbororo de n’avoir pas participé à la jihad, car peu islamisés.

En effet, M. Dupire (1970) affirme qu’à partir des dernières décennies du XIXè siècle, un nombre croissant des groupes Mbororo vinrent du Nigeria sur les hauts plateaux de l’Adamaoua, attirés par la réputation de ces régions d’élevage. Ces migrations se justifieraient en outre, par des menaces de mort dont leurs familles faisaient l’objet. La première vague d’éleveurs Mbororo s’installe au Cameroun dans la région de l’Adamaoua vers 1900-1914. L’administration coloniale française au Cameroun, avant eux les Allemands, ainsi que les dirigeants Foulbé des Etats de cette région, qui géraient ces territoires pour les Français se montrèrent satisfaits de la venue des Mbororo riches en bétail, prometteuse pour l’économie locale.

Cependant, les relations entre les Mbororo, avec les peuples et institutions politiques opérant dans la région de l’Adamaoua, y compris les autorités coloniales, posèrent des problèmes. Dans certaines régions, les

Mbororo rencontrèrent la résistance armée des chefs païens locaux, qui attaquaient leurs troupeaux et tentaient de prévenir leur installation. Pour leur part, les lamiibé de Banyo, Tibati, Tignèré, Ngaoundéré et Reï Bouba, qui cherchaient à rétablir le mode traditionnel de relation entre Etat Foulbé et Mbororo nomades, s’arrogèrent le droit de légitimer les dirigeants Mbororo installés sur leurs terres. Ils leur donnèrent l’investiture tout en leur soutirant des taxes de pâturage et d’autres prestations. Bien qu’ils partagent avec les Foulbé le même héritage culturel, les groupes Mbororo vivant sur les territoires Foulbé de l’Adamaoua étaient soumis à un système fiscal et administratif distinct avec un statut juridique et politique inégal imposé par les Foulbé.

Les autorités coloniales se montrèrent très vite mécontentes des exactions criantes exercées sur les Mbororo par les Foulbé. Elles recherchèrent un meilleur mode d’administration de ces populations nomades, qui mènerait aussi à leur sédentarisation. Il en résulta la création administrative du canton Mbororo de la Lompta (Dognin, 1990), inaugurée par l’administration allemande en 1906, puis perpétuée par les Français. Les autorités coloniales nommèrent l’un des Ardo’en Mbororo, comme chef supérieur des clans de la région : ceci aboutit à un groupement administratif Mbororo indépendant des principautés Foulbé. Si l’expérience de Lompta conduisit à une brève période de consolidation et de sédentarisation d’une grande partie de la population Mbororo de cette région, elle échoua cependant puisque le chef supérieur Mbororo montra les mêmes dispositions que les chefs Foulbé à extorquer aux groupes pastoraux des tributs sur le bétail.

Plusieurs ardo’en se présentèrent comme concurrents du chef officiel et se séparèrent de l’entité Lompta, se dispersant sur les plateaux de l’Adamaoua et des grassfield.

Au début des années 1910, les premiers Mbororo s’installèrent sur le territoire qui allait devenir le département de la Mbéré, où ils furent sous l’autorité du Lamido Foulbé de Ngaoundéré. A en croire M. Eldrige (1983), le département de la Mbéré fut d’abord une zone de pâturage de saison sèche,

tout comme les hauts plateaux de Bouar-Bocaranga. Ce n'est que par la suite qu'il devint le refuge des Mbororo fuyant les exactions des Foulbé.

b) L'arrivée des Mbororo en République centrafricaine (1920-1924)

C’est d’ailleurs pour cette raison, que les Mbororo pénétrèrent en Centrafrique vers les années 1920-1924. En effet, d’après Boutrais (1985) et C. Lemasson, (1992), sous la pression du Lamido14 de Ngaoundéré, le ardo Abba chef du clan Djafun installé dans la région de la Mbéré décida de migrer plus à l’est, c’est à dire en territoire centrafricain. Malheureusement pour Abba, il est assassiné par Maigari, Lamido de Ngaoundéré qui considère cette traversée comme un facteur pouvant affaiblir son pouvoir. L’année suivante le frère du défunt Abba, le chef Adamou Idje bi Babay réussit à conduire les éleveurs en Oubangui-Chari via Bocaranga. Le Lamido Idje arrive en RCA avec six chefs de familles, tous proches parents. De Bocaranga, ils partent pour Sabewa puis Nièm et Bouar. Sous la pression des autorités coloniales ils s’installent à Carnot. D’autres éleveurs suivent cette voie et pénètrent en Centrafrique.

c) La conquête des plateaux du Centre-Est (1938-1940)

Après plusieurs années passées dans la région de Bouar, le Ardo Idje prospecte de nouvelles possibilités d’implantation dans la région de Bambari qui semble favorable à l’élevage bovin. Vers 1930, à la suite d’une épidémie de peste bovine, et sous l’impulsion de l’administration coloniale, commence le « pérol » c’est-à-dire la grande migration de Bouar vers Bambari. Certains éleveurs préfèrent rester dans la région de Bouar avec le Lamido Djibo bi Idje. (carte p.51).

1) Les conditions sociales de l’installation des Mbororo

L’installation des Mbororo dans la région de Bambari ne fut possible que grâce à un certain nombre de dispositions préalables. En effet, à leur arrivée dans cette région, Idjé et ses frères entrèrent d’abord en contact avec les chefs de terre Banda locaux, Maïdou et Ndjoubissi, avec lesquels, il réussit à établir des relations amicales. Au nom de cette amitié, Idjé demanda à ce qu’il lui soit désigné un endroit favorable, pourvu de bons pâturages et assez à l’écart des zones de cultures pour éviter tout conflit. Conscient de l’opportunité qu’offrait la présence des Mbororo dans la région, Maïdou, en concertation avec les chefs Goubali et Koulou qui étaient sous son autorité, autorisèrent Idjé et ses frères à s’établir sur le plateau de Goubali, sur la rive droite de la Mbounou, à une cinquantaine de kilomètres de Bambari. A cette époque, la région était beaucoup moins peuplée qu’aujourd’hui (1 à 2 habitants/km2) et les pâturages, grâce à leur position sur les plateaux, étaient moins infectés de glossines que la partie occidentale de la région. Les populations Banda, regroupées le long des deux routes existantes, disposaient d'espace suffisant pour leurs activités. Elles ne voyaient pas d'inconvénient à ce que les éleveurs s'installassent en brousse, loin des zones de culture. Ainsi, suite à cette entente mutuelle entre chefs Mbororo et Banda, les premiers éleveurs (Ardo Haman frère de Idjé, ses cadets, leurs enfants, cousins et neveux) s’installèrent dans cette région, à partir de 1938.

Très vite, ils sont rejoints par d’autres familles qui contribuent à l’augmentation rapide de la population Mbororo dans la région et parallèlement du cheptel, seul indice de l’augmentation de la population pastoral en l’absence de statistiques fiables comme c’est le cas ici. Estimé à moins de 10 000 têtes de bovins au moment de leur arrivée, la taille du cheptel passe à environ 20 000 têtes en 1938, près de 60 000 autour de 1950 et 100 000 en 1960-61 (J. Koechlin, 1961). Peu à peu, les Mbororo occupèrent tout le plateau de la Baïdou, avant de se disperser sur toute la région située entre les rivières Ouaka et Kotto.

Aujourd’hui les services de l’Agence Nationale pour le Développement de l’élevage (ANDE), estiment à environ 600 000 le nombre de bovins pâturant dans cette région. Sur un peu plus de 20 000 familles d’éleveurs que compte la République Centrafricaine, près du tiers vit dans la zone d’élevage de l’est. Mais si une entente entre Banda et Mbororo a permis l’installation de ces derniers dans la région, l’administration coloniale puis centrafricaine y contribuèrent énormément.

2) Le rôle de l’administration

Le rôle de l’administration fut déterminant, dans la mesure où elle orienta vers le Centre-Est du pays, la recherche de nouveaux pâturages pour les éleveurs des plateaux de Bouar-Bocaranga, paniqués par l’épidémie de peste bovine. Déjà en 1924-25, quand les premiers éleveurs se sont installés dans la partie Nord-Ouest de l'actuelle République Centrafricaine, l’administration coloniale avait déployé tous les efforts possibles pour non seulement les maintenir dans le pays, mais également dans l’intention attirer de nouveaux venus. Pour atteindre cet objectif, un service d’élevage fut crée en 1933, avec comme mission :

- le suivi sanitaire du bétail grâce au programme intensif de vaccinations et l'aménagement des bains détiqueurs et ;

- l’aménagement des pâturages, par le défrichement des galeries forestières pour éliminer les glossines.

Toutes ces dispositions répondaient à un souci majeur ; celui de ravitailler la garnison militaire de Bouar et les villes de Bangui, Berberati, Carnot, Bozoum et Bossangoa en viande de bœuf, ceci, grâce à l'opportunité qu'offrait en terme de stock potentiel de viande à porté de main, la présence de grands troupeaux de bovins stationnés dans le pays.

Vers 1930, un noyau important d'élevage bovin était déjà en place et le ravitaillement des villes de l'ouest et de Bangui assuré. Mais restait celui des régions de l'est.

Quand en 1933 survint la peste bovine, beaucoup d’éleveurs regagnèrent le Cameroun, tandis que d’autres progressèrent vers le sud-ouest (région de Carnot-Gadzi) et vers le sud-est : région de Bossembélé-Yaloké. L'administration coloniale en profita alors, pour étendre l'élevage vers l'Est, sur les plateaux du Nord-Est de Bambari.

A en croire l’Ardo G., petit-fils de Idjé, aujourd'hui âgé de 65 ans, le service d’élevage aurait fait cette proposition l’Ardo Idjé bi Babay ; il aurait même pris des dispositions pour l’y emmener. C’est au vu des savanes herbeuses à perte de vue, dans cette région du Centre-Est centrafricain que Idjé décida de s'y installer. Ainsi, en 1938, à l’issu d’une longue migration de trois années, les premiers Mbororo du lignage Djafun (clan Faranko’en) introduiront dans ce territoire l'élevage bovin, une activité que semblait ignorer les Banda.

Très vite, un service régional d’élevage fut créé à Bambari. A Goubali sur les rives de la Mbounou, fut installé une annexe de ces services pour mieux suivre le bétail. Un ranch fut également créé et un bain détiqueur aménagé. Comme dans le Nord-Ouest, cette arrivée des éleveurs Mbororo favorisa le ravitaillement en viande bovine, des populations européennes installés à Bambari, Ippy, Bria, Mobaye, Bangassou. Ce soutien de l’administration se traduisit par un rapide l’accroissement du cheptel. En effet, les conditions sanitaires étaient bonnes, les pâturages abondants ; de nombreux éleveurs affluaient, attirés par les échos positifs de cette région. Mais cette arrivée massive des Mbororo, provoqua la détérioration des relations entre agriculteurs et éleveurs.