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CHAPITRE I : UN PEUPLEMENT FAIBLE ET DISCONTINU

a) Nature et type de sols

2. Une région de savanes herbeuses

Comme l’a remarqué S. Morin (1981) sur les hautes terres du Nord-Ouest du Cameroun, l’organisation et la répartition des formations végétales actuelles de notre zone d’étude, relèvent plus des impératifs de la topographie et des actions anthropiques, que de la variété des sols, « tant prédomine le phénomène de ferrallitisation » .

En effet, avec 1400 à 1500 mm de pluie repartie sur 7 mois, le climat des plateaux de Bambari est nettement forestier, pourtant, sur l’ensemble des plateaux règnent uniformément des savanes Koechlin (1961). Les variations physionomiques qu’elles présentent sont assez larges. Elles vont de la savane herbeuse à la savane boisée, entrecoupées de forêts sèches et de forêts galeries. Les principales essences que l’on rencontre ici sont Daniellia oliveri, Terminalia glaucescens et Albizzia zygia. On peut citer également Bridelia ferruginea, Vitex sp., Piliostigma thonningii, Hymenocardia acida, Crossopteryx febrifuga, Sarcocephalus esculentus, et Annona senegalensis.

La strate herbacée très diversifiée est à base de Panicum phragmitoïdes et Brachiaria brizantha avec également Loudetia arundinacea et Hyparrhenia soluta. Sur pente et sur sol profond, Hyparrhenia diplandra co-domine avec Brachiaria brizantha, Hyparrhenia familiaris est encore abondante. Hyparrhenia soluta se localise aux sols à horizon gravillonnaire profond et Hyparrhenia rufa aux sols profonds. Ces deux dernières espèces sont à l’état dispersé mais sont caractéristiques. En bas des pentes, Hyparrhenia diplandra est dominante. On y trouve également, abondant, Schizachyrium platyphyllum et, dispersés, Urelytrum thyrsioides et Setaria sphacelata. Sur les affleurements de cuirasse, on rencontre une strate herbacée diffuse et variée, composée surtout de Loudetia simplex, Trachypogon chevalieri et Ctenium newtoonii. Signalons enfin que, sous exploitation plus ou poins

anarchique, Panicum phragmitoïdes se généralise jusqu’aux bas de pente, au détriment des espèces existantes.

D’après A. Aubreville (1949), les savanes situées au nord de 5°40’ seraient avant tout composées d’espèces autochtones, elles résultent donc d’une transformation moins profonde des formations climaciques. Un petit nombre d’espèces caractéristiques dominent. Les savanes à Terminalia laxiflora, Anogeissus et Albizzia zygia sont les plus fréquentes. On trouve également des savanes à Burkea africana, Lophira lanceolata, Uapaca somon, Isoberlinia doka et dalzieli. Au sein de ces savanes septentrionales, subsistent de larges bandes de forêts sèches denses à Anogeissus leiocarpus, comme c’est le cas au nord du terroir de Ngouyali.

Traditionnellement, on considère que ces savanes résultent de la déforestation de la région. Pour A. Aubreville (op. cit.), la végétation climacique était dans cette région une forêt dense sèche. Il attribuait un rôle déterminant dans l’évolution des formations végétales aux feux de brousse capables, selon lui, d’entamer fortement les forêts sèches. J.L. Trochain (1980) a soutenu l’existence d’un climax de savane à strate graminéenne importante dans la zone nord. Pour lui, bien que le feu soit annuel, il serait incapable de détruire une forêt même sèche. En revanche, il jouerait un rôle important dans le maintien de la savane, en modifiant la composition floristique. R. Sillans (1958) dont l’ouvrage traitant des savanes centrafricaines a provoqué une polémique sur ce sujet, a encore plus nettement nié toute gravité des feux. Il reprend les thèses de A. Aubreville sur la répartition de la végétation climacique et soutient que l’agent essentiel, sinon unique, de l’évolution des formations est le défrichement par les agriculteurs. Les savanes actuelles seraient donc des stades de régénération post-culturale et ne constitueraient qu’exceptionnellement une formation climacique. La forêt dense sèche se serait transformée en une savane, repeuplée par les mêmes espèces que celles de la forêt primitive. Pour Sillans, la régénération est d’autant plus facile que la période de cultures a été courte. Dans ce cas, à la savane pourrait succéder une forêt, de physionomie voisine de la forêt originelle ou non, ce que l’on constate par l’exemple sur l’Adamaoua camerounais et dans la zone d’élevage de

Bouar-Bocaranga. D’où le schéma suivant proposé par Sillans pour la savane de cette partie centrale de la RCA.

Forêt sèche Défrichement, cultures Savane Forêt sèche dense

Ce point de vue a été fortement contesté. Mais comme le relève Piermay, la différence entre les savanes péri-forestières du sud et les savanes de notre zone d’étude, s’expliquerait par la dégradation d’une formation végétale, forêt humide et semi-humide au sud, forêt sèche ou savane boisée au nord. En tout cas, il semble que les savanes du Centre-Est de la RCA aient été constituées à la suite de défrichements culturaux, sans lesquels la forêt n’aurait pas disparu ; cette thèse remet en cause le concept de climax, aujourd’hui dépassé. Mais une question se pose : comment expliquer que leur mise en jachère régulière, n’ait pas provoqué la reconstitution d’une forêt secondaire ?

Contrairement à ce qu’en pense Sillans (op.cit), il semble que les feux aient joué un rôle primordial dans le maintien du géosystème savane. En effet, outil de prédilection pour la chasse en pays Banda jusqu’à un passé très proche, le feu parcourait chaque année toute la savane de cette région. Il atteignait même, notamment en période de grande chasse, les régions les plus éloignées, où l’action de l’homme était extrêmement faible (Maran R., 1921).

Enfin, Sillans voit dans le climat le facteur essentiel d’explication des formations végétales, ne laissant aux facteurs édaphiques qu’une place très accessoire, sauf pour quelques milieux bien typés (sols squelettiques, lakéré, marais). Or, les savanes les plus riches semblent bien être en relation sinon avec les sols les plus riches, du moins avec les sols les plus stables qui n’ont subi qu’une ferrallitisation limitée et qui sont situés sur la dorsale. L’attitude des populations locales, qui choisissent systématiquement les bois (kafa en banda) pour installer leurs nouvelles cultures semble confirmer cela. Pour justifier ce choix, les populations évoquent la fertilité de leurs sols, caractérisés par leur couleur noirâtre (odrocho), leur texture limono-argileuse, la présence des turucules de vers de terre et la densité des Aframomum spp . Il en est de même pour les zones d’élevage où le

surpâturage a rendu difficile le passage des feux saisonniers, et où les ligneux ont presque partout tendance à prendre le pas sur les graminées. Ainsi la végétation, d’après Piermay, « secondarisée » sans doute sur l’ensemble du territoire, se reconstituerait plus facilement sur la dorsale qu’au sud, là où une forte ferrallitisation ne laisse à la disposition des plantes qu’un horizon humifère peu épais et particulièrement fragile. Cet horizon humifère superficiel est fertile et permet la régénération de la forêt sur ses propres débris. Par contre, des défrichements trop poussés et une exploitation trop longue ruinent définitivement les horizons supérieurs de ces sols.

Ceci étant, la répartition de la végétation dans le Nord-Est de Bambari depuis la réforme agraire de 1970 qui a scindé la région en zone agricole et zone pastorale, est beaucoup plus liée à la répartition des activités humaines. Ainsi dans la zone agricole de Ngouyali, du fait des défrichements culturaux, la végétation est constituée surtout de savane herbeuse que l’on retrouve sur un rayon d’environ 7 km du village, et qui devient ponctuellement arbustive, arborée, voire boisée.

On observe également de nombreuses galeries forestières sous lesquelles s’écoulent de les nombreux affluents de la rivière Baïdou. Beaucoup plus au nord, les boisements deviennent beaucoup plus étendus, mais cèdent la place à la latitude de l’ancienne route de Ippy (6° N), à une forêt sèche à Daniellia oliveri, Anogeissus leiocarpus et Terminalia glaucescens, ancienne savane et friches à feux, qui s'étalent d’est en ouest jusqu’à Agoudou-Manga. Cette forêt sèche passe plus au nord, à une mosaïque de savane arbustive et arborée qui ne s’estompe que sur les bords de la rivière Baïdou. Celle-ci est considérée par les populations locales, comme la limite de leur commune, avec celle de la Baïdou-Ngoumbourou dans la sous préfecture de Ippy.

Les essences végétales que l’on retrouve ici sont, pour les ligneux, Terminalia spp., Anogeissus leiocarpus, Albizzia zygia, Burkea africana, etc. Les galeries forestières sont à Irmingia gabonensis, Uapaca guinensis, Elaesis guinensis, etc.

Les herbacées qui complètent ces formations sont les Loudetia arundinacea, Hyparrhenia sp., Andropogon gayanus, etc. Elles sont souvent très hautes et denses.

Dans la zone d’élevage, la végétation est constituée dans sa quasi-totalité de savanes arbustives claires et denses. Dans les emplacements d’anciens campements (cas du premier campement Djafun implanté par ardo Haman), les arbustes sont très denses avec les cimes jointives, alors que plus loin la savane présente une allure de forêt sèche. Les essences les plus représentatives ici sont les jeunes Terminalia Glaucescens et Parinari curatellifolia, Piliostigma thonningii, Hymenocardia acida, Nauclea latifolia, Anona senegalensis et Ficus (capensis) ; auxquels on peut ajouter Vitex spp. Sur les zones dénudées, on observe un embuissonnement par Chromolaena odorata et Harungana madagascariensis mais il n’atteint pas l’importance de celui des plateaux du nord-ouest. Une place à part peut être faite aux prairies sur cuirasses ferrugineuses, que l’on rencontre en abondance dans la région. Cette abondance de cuirassement à l’intérieur de cette zone soudano-guinéenne se traduit, quand la cuirasse ferrugineuse est nue ou sub-affleurante, par le développement de clairières au milieu de la savane arborée ou arbustive (Boulvert, 1980).

Suivant leur position, cet auteur distingue les « lakéré » de plateau, de chape (sur arêtes d’itabirites), de versant ou de battement de nappe en bas de pente. Suivant leur forme, on peut distinguer des « Lakéré » en lanières sur roches métamorphiques orientées, en fer de cheval, en épingles à cheveux ou parfois circulaires sur roches éruptives.

Sur un véritable « lakéré », la cuirasse compacte et sub-affleurante ne permet pas à la végétation ligneuse de se développer. La végétation herbacée décroît avec l’épaisseur de terre meuble. Elle passe d’Hyparrhenia spp à diverses espèces de Panicum, d’Eragrostis spp, de Loudetia (annua, coarctata), de Ctenium (nelegas, newtonii) jusqu’à Cochlorspermum tinctorium. Au centre, la cuirasse peut être nue ou renfermer des plaques d’eau temporaires à Panicum indicum, Loudetia spp., Cyperus pustulatus. La surface des lakéré est souvent parsemée de gravillons, de blocs épais de cuirasse ainsi que de multiples termitières champignons édifiées par

Cubitermes fugifaber Sjöst. M. Mazade (1980) a consacré sa thèse à cette formation.

Comme nous venons de le constater, en dehors des « lakéré », la physionomie des savanes de la région de Bambari est largement sous la dépendance des facteurs biotiques très mouvants. Cette dynamique du milieu naturel observée depuis ces trente dernières années ne cesse pas d’être inquiétante.