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CHAPITRE III : ACTIVITES AGRICOLES DES BANDA ET CONTRAINTES D’ISOLEMENT

A. UNE AGRICULTURE VIVRIERE BASEE SUR DES TECHNIQUES ANCESTRALES

2. Les cultures vivrières à Ngouyali

La situation des cultures vivrières à Ngouyali est identique à celle de l’ensemble des régions de savanes centrafricaines. Elle se caractérise par une variété des cultures et une forte tendance à l’accroissement de la production, malgré l’absence de toute réforme agraire et de véritable politique d’intensification.

a) Moyens de production

Les moyens de production dans l’ensemble restent très rudimentaires ; ils se réduisent essentiellement outils manuels et à quelques attelages. La machette (97% de la population en possède) et la houe (85%) demeurent les principaux utilisés, avec quelques haches (6,6%). Les Banda utilisent la machette pour les défrichements. Cet outil est venu remplacer le couteau traditionnel qu'utilisaient autrefois ces populations. Ce dernier avait deux formes : courbe, ressemblant au couteau de jet ou de danse pour les hommes (magya ou kamba-kosé), droit et épais pour les femmes (beta ou kamba-yasé).

La houe (ngapo) est le principal instrument aratoire des Banda. La plus connue de tous est la « houe linda » qui, descendrait d’un des plus anciens outils agricoles connus, la « houe mar » des Abyssins et des Soudanais (Guillemin, 1956). Ce qui la distingue de la houe moderne, est le fait qu’elle ait un manche court, formant un angle de 60° avec la partie travaillante, faite avec le même fer que celui utilisé pour les haches. Pour certains travaux, notamment les plantations en poquets, les Banda

disposent d'une espèce d’herminette emmanchée droit, qui permet de faire des trous. La hache quant à elle, est utilisée par les hommes pour l’abattage des arbres lors des défrichements et par les femmes pour débiter les bois morts utilisés pour les cuissons des aliments.

Les manches de tous ces instruments sont taillés, dans les mêmes bois, le Piliostigma thonningii SCHUM. (engué), et quelquefois le Glyphaea lateriflora (eiggusu). Tous ces bois présentent la particularité de se tailler facilement, de ne pas être très cassants, surtout s’ils sont bien séchés.

Tableau 1. Proportions de familles par Type d'outillage agricole utilisé à Ngouyali

Outillage Machette Houe Charrue Hache Butteur Herse Charrette

% Famille 97,1 85 29,5 6,6 4,4 4 -

Source : Enquêtes (juillet-septembre 1999)

Ces outils de culture manuelle sont complétés par ceux de la culture attelée. D'après les résultats de nos enquêtes de 1999 et 2000, il y aurait dans le village 73 paires de bœufs de trait (dont une trentaine serait opérationnelle), 71 charrues, mais seulement 2 herses et 2 butteurs. Malgré le voisinage des pasteurs Mbororo, on constate que seules 29,5 % des exploitations possèdent des attelages. Ceux-ci sont constitués de bœufs Baoulés (64,5 %), acquis auprès des anciens « métayers »17 de la localité, et de Zébus Mbororo (35 %) achetés chez les éleveurs.

Signalons toutefois que le cas de NGOUYALI dans cette région est exceptionnel, car ce village est situé dans une zone pilote de l’ICRA. Dans la pratique, la traction animale est très limitée. Beldje (2001) avance le taux de 2,2%, pour l'ensemble de la région, un taux très insignifiant par rapport aux régions de l'Ouaham et Ouham-Pendé qui atteignent 23,5%. Cette insuffisance de l'association du bétail à l’agriculture ne se limite pas qu'aux attelages, on la retrouve à tous les niveaux.

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Le mot métayer est couramment utilisé en Centrafrique pour désigner les agriculteurs ayant bénéficié de l’aide en bétail, dans le cadre de la politique de promotion de l’élevage sédentaire villageois, initié par l’Etat dans les années 1960.

En effet, contrairement aux agriculteurs du Nord Cameroun et du sud du Tchad, les agriculteurs du Nord-Est de Bambari n'ont ni parc, ni étable pour la fabrication du fumier organique à partir de la bouse de vaches. Les paysans n'utilisent que de l'engrais chimique distribué par la Société centrafricaine de coton (SOCOCA), et destiné normalement à cette culture. Quant aux charrettes, on n'en compte que 7 à NGOUYALI. Le sarclo-binage et le buttage sont relativement peu pratiqués ; dans la plupart des cas, ces opérations se font manuellement.

Pour justifier cet état de chose, les agriculteurs évoquent des difficultés à mobiliser les fonds nécessaires au financement d'attelages : une chaîne de labour coûte environ 255 000 Fcfa en traction bovine, et le prix des charrues varie de 25 000 à 125 000 FCFA. C'est grâce au système de crédit mis en place à la fin des années 1970, et au début des années 1980 par l'Animation Rurale Catholique, que certains producteurs ont pu s'approvisionner en bœufs de trait et en équipements de culture attelée. Faute de financement, le projet a été abandonné. En 1996, la SOCOCA, décidée à promouvoir la traction animale, a lancé une opération de crédit similaire à, moyen terme. Elle a pris en charge la distribution des pièces de rechange pour les charrues. Mais seuls quelques grands producteurs de coton du Nord-Ouest en ont bénéficié.

Soulignons que le matériel dans l'ensemble est en mauvais état. Il existe une forge à Ngouyali qui s'occupe de la maintenance des équipements agricoles ; mais celle-ci est aussi en difficultés faute de crédit. Enfin, le dressage des bœufs de trait nouvellement acquis, se fait dans le village par les propriétaires.

Cet équipement agricole rudimentaire est à l’origine de la taille très limitée des parcelles par exploitant (0,66 ha en moyenne), et du retard très souvent constaté dans les semis de coton. La plupart des planteurs attendent que ceux ayant des attelages, achèvent leurs labours avant de les leur emprunter. 93% des suggestions des populations interrogées concernent l’accès au crédit pour l’acquisition de matériels agricoles.

b) Techniques culturales et calendrier agricole

4) Un système agricole extensif

Si on les compare à l’évolution de la gamme des cultivars utilisés par le Banda, on se rend compte que les techniques agricoles ont très peu évolué. L’agriculture reste extensive, reposant sur brûlis et jachère. Mis à part l’arboriculture, les exploitations sont marquées par l’agriculture itinérante. Cette agriculture est centrée sur la conservation et la récupération de la fertilité du sol par la jachère. L’utilisation d’engrais et des pesticides est marginale et ne concerne que le coton qui vient en tête de rotation culturale. Elle se justifie par la faible pression démographique.

Jusqu’à un proche passé, la terre n’était pas un facteur limitant dans la région ; aussi, pour le paysan l’agriculture itinérante permet une minimisation des coûts de production en limitant l’apport d’engrais et une très bonne productivité du travail (bon rendement, peu de travail). Mais elle peut aussi s’inscrire dans des stratégies plus complexes en terme d’accès foncier, de gestion des parcours et de chasse, et de cueillette (Collange et Mogenet, 1990). Le cas de Ngouyali et celui de la plupart des villages du Nord-Est de Bambari corroborent cette thèse. Ce système est à la base des différends entre éleveurs et agriculteurs.

5) Un calendrier agricole organisé autour de la culture du coton

Les itinéraires techniques des différentes cultures pratiquées restent quasiment identiques au niveau du village tant pour le coton que pour les cultures vivrières. Les différents moments du calendrier agricole sont les suivants.

D’après les enquêtes de terrain (juillet-octobre1999 et août 2000)

Défrichements Labours Semis Sarclage Récolte Culture pluri-annuelle

Tableau 2. Calendrier agricole

L’analyse du calendrier agricole des populations de Ngouyali fait apparaître que le temps consacré aux travaux agricoles varie selon les saisons et les mois de l’année. La saison sèche est plus consacrée à la chasse et aux travaux divers (réfection des cases, artisanat, etc.), tandis que pendant la saison des pluies se concentrent la quasi-totalité des activités agricoles. L’époque de la plus grande activité va de mi-mai à mi-août, avec un maximum en juin et juillet. Elle est celle des labours, suivis des semis, et des travaux d’entretien. En juillet, ont lieu les premières récoltes d’arachides et de maïs. Une autre période assez chargée est décembre, à cause de la récolte et du tri du coton. Les deux mortes-saisons, sont octobre-novembre et février.

L'année commence avec le défrichement de nouvelles parcelles (mars). La hache est utilisée pour couper les petits arbres. Les grands ne sont pas abattus, mais plusieurs procédés sont employés pour provoquer leur mort. Certains sont écorcés à leur base à environ un mètre de hauteur ; sur d'autres, une entaille circulaire profonde est creusée à hauteur d'homme. Le feu se charge ensuite de les faire périr, mais les troncs dépouillés restent parfois sur place pendant plusieurs années. Seules les grandes branches sont coupées pour servir de bois de cuisine. Les troncs laissés dans les champs servent généralement de support à des pieds de haricots grimpants.

Cultures Jan Fév Mars Avr Mai Juin Juil Août Sept Oct Nov Déc

Manioc Coton Arachide Maïs Courge Sésame Riz

Quelques arbres, notamment le Vitex ssp. et Anogeissus leiocarpus sont sauvegardés, en général pour donner de l'ombre et permettre le repos après une longue matinée passée sous le soleil, mais aussi pour leur (pour le premier) ou leurs vertus médicinales (pour le second).

Juste après les premières pluies qui l’ameublissent, le sol est biné au moyen de la houe. Les brindilles et les feuilles sont rassemblées en tas régulièrement espacés dans le champ et autour des arbres blessés. Le feu est ensuite mis et entretenu autour des arbres pour provoquer leur mort. Les cendres sont ensuite répandues sur la parcelle. Cette dernière est limitée par une rangée de manioc, par des pierres ou des morceaux de termitières enlevés du champ. Les champs de seconde année sont seulement débroussés à la hache et les fanes brûlées ; l'opération la plus longue demeure l'arrachage de vieux cotonniers.

Les semis sont effectués, soit à la volée, soit en poquets, la première méthode disparaissant au profit de la seconde. Seuls le sésame et le Corchorus olitorius (goussa en langue Banda) sont encore semés à la volée. Le semis en poquets se fait en ligne, surtout pour le coton. Pour cela, une corde est étendue d'un bord à l'autre de la parcelle et déplacée au fur et à mesure des besoins. L'homme creuse à la houe une série de trous régulièrement distants en fonction des repères inscrits sur la corde. Un autre membre de la famille dépose quelques graines dans chacun d'entre eux et le rebouche immédiatement avec ses pieds. Les travaux d'entretien des champs comprennent le démariage à deux plants du coton, et les sarclages (un par mois pour le coton). Les récoltes commencent en juin pour l’arachide et le maïs et se poursuivent jusqu'en décembre pour le coton, le mil et le sésame. Le sésame une fois coupé, est exposé sur des claies, construites en bordure du champ et finit de mûrir. Les autres cultures vivrières (arachides, mil et maïs) sont rentrées dans les greniers.

Comme l'a si bien souligné Decoudras (1980), l'agriculture est toujours un élément essentiel de l'organisation sociale du village. De plus en plus considérée comme une activité permettant de gagner de l'argent, elle n'a cependant pas perdu sa représentation originelle, à savoir une manifestation de la vie collective. Dans de nombreux villages, les coutumes demeurent

vivantes. Pour la mise en culture, les notables sont consultés et les chefs sèment les premiers. Les rites agraires, surtout ceux qui précèdent les semis, sont souvent conservés.

Certains travaux exigeants en main d'œuvre, défrichage et débroussaillage, parfois semis et récolte, sont faits comme autrefois, selon le système des "invitations". L'exploitant appelle hommes et femmes du village, et même des villages voisins, à venir travailler sur son champ. Sa ou ses femme(s) prépare(nt) une grande quantité d'alcool, et parfois aussi de la nourriture pour restaurer les travailleurs. L'opération qui dure toute la journée, est une occasion de rassemblement et de fête. Ce système d'invitations donne à l'exploitation agricole une force de travail considérablement accrue pour un temps limité et permet de cultiver des superficies plus importantes en faisant sauter les goulots d'étranglement que constituent certaines activités. Soulignons que les invitations sont surtout pratiquées par les paysans les plus dynamiques, désireux d'ouvrir de grands champs.

En conséquence, la vie des villageois est rythmée par le calendrier des activités agricoles. Les occupations : chasse, pêche, cueillette, travaux de cases, déplacements, et même les travaux ménagers présentent un rythme inverse. Ils se réduisent au minimum indispensable au moment des grands travaux agricoles. Comme nous le verrons plus loin, le calendrier agricole joue un rôle déterminant dans le conflit opposant éleveurs et agriculteurs.

c) Une production en augmentation, mais difficile à chiffrer

Tous les habitants de Ngouyali affirment unanimement avoir, depuis quatre à cinq années, augmenté la production des cultures vivrières. Cet intérêt pour ces cultures s'expliquerait, à en croire les paysans, d'une part par les possibilités qu'elles offrent en terme de revenus d'appoint ; mais également par le découragement provoqué par les difficultés de la filière cotonnière.

Les principaux produits cultivés sont, en cultures principales, le manioc (ngalé), l'arachide (akora), le maïs, le sésame. En cultures

secondaires, la courge vient d’abord, suivie du haricot, du riz, et du voandzou. A cela s’ajoutent les cultures de contre-saison qui sont constituées essentiellement des légumes locaux, sans oublier les agrumes (orange, mandarine, pamplemousse, citron), très abondants dans la région et plantés autour des cases.

Dans la région, presque toutes les exploitations portent le manioc (98%). Il est systématiquement associé au coton dès la première année ainsi qu’aux autres cultures et se retrouve seul en fin d’assolement. La production est importante, mais difficile à chiffrer de façon fiable. D’après les informations recueillies à Ngouyali par E. Mbetid-Bessane (2002), la production annuelle de manioc par famille atteindrait de 1 tonne. Le plus grand planteur du village affirme même avoir récolté en1998, 30 sacs de manioc de 60 kilogrammes environ sur une parcelle d’un demi-hectare, soit 3,6 tonnes par hectare. Mais vu que les récoltes se font de manière échelonnée et selon les besoins, ce chiffre n’a qu’une valeur indicative.

Après le manioc, vient l’arachide, que l’on retrouve sur 78 % des exploitations environ. Compte tenu de son rôle très important dans l’alimentation, elle fait l’objet d’une attention particulière, et elle est souvent associée au maïs et au manioc.

La troisième culture vivrière du village le maïs, est pratiquée par un peu plus de 57% des exploitations ; il est suivi par le sésame 54%, et les Courges 47%. Après la récolte, une certaine quantité de la production est conditionnée dans des sacs ou des paniers stockés sur des claies.

L'ensemble des cultures vivrières représenterait d'après les études de Mbetid-Bessane (op.cit), environ 42,5 tonnes, pour le seul village de Ngouyali. Cette production représenterait 53% du revenu total annuel de chaque famille, le coton et les activités extra agricoles représentant respectivement 22% et 25%. La situation de Ngouyali, se retrouve quasiment dans tout le Nord-Est où, la surface moyenne consacrée au vivrier représente 137,5% de celles plantées en coton : 1,1 ha, contre 0,81 ha pour le coton.

Pourtant, pratiquées en association avec le coton ou lui succédant sur les mêmes parcelles après la récolte, les cultures vivrières bénéficient indirectement des soins apportés à celui-ci : accroissement de superficies, engrais chimiques, produits phytosanitaires, dont les répercutions s’observent sur les rendements. Mais, tout cela n'empêche pas la culture du coton d'être de plus en plus boudée.