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ENJEUX ET STRATEGIES D'APPROPRIATION

B. LA TERRE BANDA

2. Les limites de l'espace Banda

En tout état de cause, les Banda considèrent actuellement leur territoire comme un espace fini et en voie de rétrécissement. Plus de 63 % des populations interrogées déclarent que cette situation est réelle, et l’expliquent par trois causes : la partition de l’espace souhaité par l’administration ; le non-respect de cette partition par les éleveurs, et la mauvaise maîtrise actuelle du territoire par les « autochtones ».

D’un côté le découpage administratif du territoire est vécu par les Banda comme un handicap aux pratiques ancestrales de mise en valeur de

l’espace ; de l’autre, ils tolèrent difficilement les intrusions des Mbororo dans leur territoire, phénomène datant du début des années 80. Procédant au début par des « raids » ponctuels sur les rives de la rivière Baïdou pendant les transhumances de saison sèche, certains ont fini depuis 1995 par s’installer, en dépit des protestations des paysans Banda.

Une telle situation créée d’énormes rivalités et des tensions. Tout d’abord le rapprochement du bétail des cultures a favorisé la relance des conflits liés aux dégâts de cultures ; de plus, il a plongé les populations Banda dans l’inquiétude d’une nouvelle expropriation. Par ailleurs, les agriculteurs trouvent que la présence des éleveurs au nord de leur zone bloque la progression des cultures. La partition de la région en deux zones a en effet, orienté la progression des champs vers le nord, en direction de la rivière Baïdou.

Deux autres effets de la partition semblent renforcer les arguments des agriculteurs : les difficultés à chasser dans la zone pastorale, et celles d’accéder aux lieux sacrés pour certains.

Pour les difficultés qu’éprouvent les chasseurs, les confidences de l’ancien chef Bamodo permettent de mesurer l’inquiétude des Banda : « Depuis que ces “grands boubous” sont arrivés, on ne peut plus rien faire », me disait-il, « nous ne pouvons plus chasser, car ils ont envahi tous nos territoires de chasse. Maintenant, quand les Mbororo nous retrouvent seuls dans leur zone avec une arme, ils nous attrapent, nous bastonnent en nous accusant de vouloir tuer ou voler leur bétail. De plus, quand on a la chance de ne pas croiser de Mbororo, on se perd parce que la forêt a remplacé la savane et qu’on arrive plus à se repérer correctement».

Les Mbororo, hommes de brousse, sont très craints par les populations Banda tout d’abord parce qu’ils détiendraient des pouvoirs magiques leur permettant de maîtriser les forces surnaturelles. « Des hommes « normaux » ne peuvent guère cohabiter avec les esprits » me confiait une autre personne âgée du village Boholio. Chez les Banda, la brousse est le domaine des forces surnaturelles ; pour y élire domicile comme le font les Mbororo, il faut composer avec elles. Pour les agriculteurs, les nombreux gris-gris dont se ceignent les éleveurs, témoigneraient de la puissance

mystique de ceux-ci. A cette réputation, s’ajoute ensuite le rôle dissuasif des flèches dites empoisonnées, avec lesquelles se déplacent habituellement les Mbororo.

Ces affirmations illustrent les difficultés qu'éprouvent les populations Banda, face à ce qu’ils semblent considérer comme la conquête peule. 62 % des personnes interrogées de ce groupe, déclarent ne plus chasser à cause du manque de savane à brûler et de gibiers. Pourtant, ils sont nombreux à détenir des fusils de fabrication artisanale. Quant au manque de gibier, les Banda l’expliquent par les piétinements du bétail qui, auraient poussé les animaux à se réfugier dans les buissons les plus inaccessibles. Le "vieux" Bamodo, souligne également les difficultés que connaissent les chasseurs pour se repérer dans la brousse, dans laquelle beaucoup ont tendance à s’égarer.

L’expansion de la forêt due au surpâturage serait à l’origine de cette perte de repères, pour les populations Banda qui sont beaucoup plus à l’aise en savane qu’en forêt. Hormis les chasseurs, nombreuses sont les personnes qui s’égarent en allant faire la cueillette. De 1998 à 2000 on a dénombré 17 cas de personnes égarées, dont l’âge est compris entre 15 et 60 ans. A chaque fois, il faut les rechercher avec des tam-tams et des sifflets. Ces cas d’égarement posent le problème de la connaissance du milieu par les populations locales, alors qu’elle constitue la base de l’appropriation territoriale chez les Banda comme dans la plupart des sociétés africaines. Aussi, les anciens Banda à force de voir les leurs incapables de se retrouver dans leur propre milieu, en déduisent que leur terre ne leur appartient plus.

Ce sentiment est renforcé par les difficultés d’aller déposer des sacrifices rituels sur les tombes de leurs ancêtres, situées sur les anciens sites des villages aujourd’hui fiefs des Mbororo. Les ancêtres comme nous l’avons déjà souligné, font partie du monde des vivants. Ils les protègent contre les malheurs, les nourrissent en leur garantissant une bonne récolte, et les sanctionnent en cas de fautes. Pour garantir le soutien des ancêtres, les vivants doivent leur prouver leur attachement, en nettoyant régulièrement les tombes, généralement situées derrière les cases, et en leur portant de temps en temps des sacrifices dans le cas des villages

« abandonnés ». Pour la plupart des grands villages de notre zone d’étude comme Ngouyali, Goubali, Séko, Tagbara qui ont été obligés de se déplacer, des visites annuelles ponctuelles de certains membres de la famille (notamment les plus âgés) permettaient de garder le contact. La présence des Mbororo et de leurs troupeaux a beaucoup perturbé ces traditions qui aujourd’hui se perdent. « Nous ne sommes plus chez nous, les étrangers sont venus nous commander sur nos propres terres et à l’allure où les choses vont, nos petits-fils n’auront plus de terres ». Ainsi parlait Sabanga Guillaume, ancien chef de Ngouyali de 1954 en avril 2000. Cette déclaration traduit l’état d’esprit des populations Banda Linda et Gbindi de cette région où, l’ensemble des « menaces » évoquées, provoque dans les communautés villageoises un sentiment encore diffus mais croissant d’insécurité foncière, parfois de frustration et de révolte.

Ainsi, dans le cadre d’un espace Banda chaque jour d’avantage « fini » borné, les pratiques coutumières perdent leurs vertus et sont de moins en moins en mesure de faire face à la compétition pour la terre. De plus, face aux ambitions de nouvelles « puissances financières rurales» en émergence ou à l’arbitraire de l’Etat, les législations officielles semblent révéler leur carence ou leur impuissance, faisant de ce milieu un cadre d’affrontement des logiques traditionnelles et modernes.