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CHAPITRE III. ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CHAMP

3.2. Structuration du champ du conseil en communication

3.2.3. Et maintenant travailler ensemble !

Pour satisfaire le client, il ne suffit pas de le suivre dans son développement international en construisant un réseau ou un groupe puissant. Il faut également proposer un portefeuille d’expertises capable de couvrir la totalité des problématiques de communication potentiellement soulevées par l’annonceur. Car l’offre publicitaire à elle seule suffit de moins en moins à satisfaire les exigences de l’annonceur. Le champ du conseil se professionnalisant, le nombre de métiers augmente, on assiste à une très importante division du travail. Ce Président de la zone Europe Middle East Africa d’une puissant réseau britannique met en lumière à travers ses propos l’hyper spécialisation des métiers de la communication qui se sont divisées entre eux pour ensuite se rediviser au point que les experts eux-mêmes s’y perdent un peu :

« Chacune de ces disciplines, qu’il s’agisse des relations publiques, qu’il s’agisse de la promotion des ventes et qu’on appelle l’activation aujourd’hui, qu’il s’agisse de la publicité, qu’il s’agisse après du digital… Au fond, ces disciplines se sont elles-mêmes re-splitées en de nombreuses disciplines. Même pour quelqu’un comme moi qui suis depuis longtemps dans le métier [plus de trente ans], quand vous discutez avec des gens dans ce qu’on appelait le direct marketing, alors là ça se re-splite en pleins de spécialisations : l’analyse des data, un planning stratégique très spécialisé sur les comportements des consommateurs. Vous avez même des métiers qui sont inconnus pour beaucoup d’annonceurs parce qu’ils ne sont pas directement en contact des personnes qui les font sur des spécialisations techniques. […] Un moment donné, avoir trop de spécialistes autour de la table peut devenir confusant et ce qui est demandé, c’est d’avoir une approche un petit peu globale et de réunir ça sous une vision, une stratégie, etc. Et donc au cours des 15-20 dernières années, tous les groupes ont couru vers cela » (TPM 029, 2009).

Suivant cette logique de segmentation et sous-segmentation, laquelle conduit à favoriser des logiques et sous logiques rivales (la marque et la création pour la publicité, le client et la base de donnée pour le marketing direct…), les différentes disciplines du conseil en communication tendent à s’autonomiser et se couper les unes des autres. Pour compenser cette

hyperdivision des spécialités et des tâches, l’annonceur doit lui-même fournir un important effort de coordination auprès de ses différents prestataires avec tous les problèmes de compréhension que cela peut poser. Un effort de globalisation de la stratégie et de coordination des moyens mis en oeuvre est exigé de la part des annonceurs. En 1964 déjà, les annonceurs font remarquer que la France possède peu d’agences de grande taille susceptibles de leur fournir un « service complet », elle serait une dizaine tout au plus (Journal de la publicité, 11 septembre 1964). Autrement appelé « tout sous le même toit » ou « one stop shopping », cette structure d’un nouveau genre s’oppose au « one room office » des premiers temps. L’agence à service complet consiste à rassembler toutes les disciplines dans une seule structure et à faire travailler ensemble les disciplines de façon à formuler des réponses « globales » au client.

Pour faire face à cette exigence croissante de communication globale, les publicitaires entament un rapprochement avec les autres disciplines. Des initiatives avaient sans doute eu déjà lieu ici ou là, mais le mouvement commence dans les années 1970 - 80 avec la création, entre autres, d’agences spécialisées dans le marketing direct au sein des agences et des groupes de publicité (Rapp & Collins en 1972 au sein du réseau DDB ; RSCG Direct en 1973 au sein de l’agence RSCG ; Ogilvy Defrenois Direct en 1976 au sein du réseau Ogilvy ; Cato-Johnson au sein du réseau Young & Rubicam en 1976, BDDP Téquila en 1984 au sein de l’agence BDDP, etc.). Le mouvement de rapprochement va se radicaliser dans les années 1990 notamment avec l’entrée en vigueur de la loi Sapin le 1er avril 1993 qui modifie les rémunérations des agences de publicité, nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail. Les professionnels s’accordent sur le fait que, la publicité étant la discipline historique à partir de laquelle les groupes se sont constitués, cela crée aujourd’hui des problèmes d’organisation interne

« Les grands groupes [de communication] ont une particularité, c’est qu’ils sont tous nés à partir de la création publicitaire » (EXP 005, 2008).

Ce président d’une agence de marketing service d’un réseau nord américain présent à Paris décrit cette évolution, mais comme il le souligne, la publicité reste centrale, elle est la discipline reine à partir de laquelle tous les réseaux et les groupes se sont créés. En conséquence, pour plaire à l’annonceur et aussi pour faire face à la transformation des investissements les autres disciplines, jugées secondaires ou subordonnées sont arrimées à la pièce maîtresse.

« Historiquement, l’évolution de la communication s’est passée de la manière suivante, on a d’abord les agences de pub, après on a les agences spécialisées, de promo, de marketing direct, de je ne sais pas quoi… [On note que l’énumération est marquée par une hésitation après l’énonciation très spontanée du couple publicité marketing direct], de RP, de design, de truc. Dans les années 1985, ont commencé à se construire des groupes de communication autour de la pub. Donc au centre il y a avait la pub et autour il y avait tous ces métiers là. » (TPM 028, 2008).

Signe des temps, l’instance de représentation des publicitaires, l’Association des Agences Conseils en Publicité (lointaine émanation de Fédération Française de la Publicité créée en 1933), modifie son nom en 1972 en Association des Agences Conseils en Communication afin de fédérer un plus large nombre d’adhérents. Les groupes de communication historiquement fondés sur la publicité mettent en avant la « couverture » d’un ensemble d’expertises complémentaires (relations publiques, marketing direct et promotion, communication corporate…).

« Quand j’ai démarré, comme je vous le disais, [mon réseau] était un petit peu en avance avec un concept révolutionnaire qui était l’orchestration. L’idée c’était de dire, il y a plusieurs instruments, il faut un chef d’orchestre. D’autres agences ont parlé de l’œuf au plat, ça c’était Young et Rubicam, d’autres agences ont parlé de choses différentes, mais en gros finalement, tout le monde s’est mis à promettre à la fois, enfin tout le monde, tous les grands groupes se sont mis à promettre, à la fois la couverture de l’ensemble des métiers et en même temps une vision un peu réunifiée et globale des communications. Enfin ça, je dirais que ça a structuré les dernières années et ça va structurer les années à venir » (TMP 029, 2009).51

On parle de « couverture des métiers », on proclame la « globalité », on fait des promesses d’« orchestration » des disciplines parce que cela correspond à une attente exprimée par l’annonceur. Mais bien souvent on en reste à la déclaration d’intention. Afficher l’unité est une chose, travailler ensemble en est une autre. Il est en effet très dur pour les publicitaires de se mettre autour d’une table avec les représentants d’autres disciplines considérées comme des « sous métiers » qu’ils feignent d’ignorer alors qu’il n’est déjà plus vraiment possible de faire sans eux car les clients les réclament :

« Moi quand j’ai démarré [en 1978], le monde de communication se limitait aux agences de publicité. En France en tout cas dans les années 1980, on ne parlait que d’agences de publicité. Tout ce qui était en dehors de la publicité classique, grands

médias, etc., était assimilé à la communication bien sûr, mais c’était des sous métiers. A l’époque on ne parlait même pas de direct marketing, on parlait de vente par correspondance, tout ce qui était digital était inconnu, la promotion c’était des petites boutiques et des personnels qui avaient des profils très…, très différents. Donc les grands groupes de communication de l’époque étaient principalement orientés sur la publicité » (TPM 029, 2009).52

En interne, dans les organisations, la résistance des publicitaires est très forte. Et il y a un pas qui ne sera pas franchi entre la globalité affichée et la réalité de cette dernière dans le travail au quotidien. Faire coexister les disciplines pour satisfaire les exigences du marché est une chose, les faire travailler ensemble en est une autre. On assiste alors à une forme de

decoupling entre les proclamations et les actes (Meyer et Rowan, 1977). Les disciplines sont

juxtaposées plus qu’elles ne sont mises en synergie. Le travail se fait en « silo » comme disent les professionnels. C’est-à-dire qu’on a rassemblé les disciplines dans l’offre de service, mais il est très difficile de la faire fonctionner ensemble dans le service effectivement rendu. Il faudra attendre l’avènement d’internet pour que la logique de la communication globale ou intégrée devienne une réalité. Non sans peine. Non sans friction.

« Le mouvement là, va continuer et le propos finalement n’est plus de faire la promesse mais le propos est d’adapter les organisations, les structures, les métiers, euh…, les organisations financières parce que tout ça, ça sous-tend des enjeux au sein des groupes de communication financiers et organisationnels très complexes. Parce que euh…, pour, pour faire simple, est-ce que vous êtes dans des structures relativement verticalisées où on continue à privilégier la spécialisation d’expertises, etc., et que ces structures là aient une certaine autonomie ? Ou est-ce que vous voulez allez plus vers le deuxième enjeu qui est l’enjeu de réunification sous une ombrelle commune des choses et à ce moment là on perd un petit peu en spécialisation ? Et c’est ça un peu les deux pôles où on doit trouver un équilibre » (TPM 029, 2009).

Les mouvements de concentration et de restructuration effectués traduisent en fait une transformation de la manière dont l’annonceut investit son argent dans la communication.