• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III. ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CHAMP

3.3. Portrait de l’agence

3.3.1. Socio-économie des agences

L’analyse se décompose en trois phases : les revenus, l’occupation de l’espace au sens de répartition géographique des agences, et enfin leurs effectifs.

a) Répartition des revenus

Les 50 plus gros acteurs canalisent 15% des revenus (hors achat d’espace) soit un cumul de 2.078,2 millions d’euros toutes agences confondues et 41,5 millions en moyenne par agence (Xerfi 2009 à partir de l’Insee 2007). Le reste des agences, environ 15.857, se partagent 11.467 millions d’euros ce qui représente une moyenne par agence de 0,72 millions d’euros par agence. Autrement dit le marché est fait par les petits mais ce sont quelques gros qui le tiennent. Le top 50 est en effet constitué de « grandes » agences aussi bien par les marques que les effectifs comme nous le verrons plus bas.

L’analyse détaillée des 50 premières agences fait apparaître deux groupes. D’un coté les agences indépendantes dont les capitaux sont encore, au moins pour partie, entre les mains de leurs dirigeants. De l’autre, les agences affiliées à des réseaux (BBDO, DDB, Euro RSCG, Ogilvy, JWT, Publicis Y&R, etc.) qui eux-mêmes appartiennent à des holdings et des packs d’actionnaires complexes. Les agences indépendantes sont très minoritaires dans le top 50 que ce soit en nombre (13 agences) et en poids économique, puisqu’avec 245,8 millions d’euros, elles représentent à peine 12% du peloton de tête (cf. Table ci-dessous). De leur côté, les grandes agences pèsent 1.832,4 millions. Cette somme se divise faussement en 37 agences car il s’avère que la concentration du capital est telle au plus haut niveau que ces agences appartiennent à une dizaine de réseaux de communication bien implantés en France, lesquels

convergent vers cinq groupes de communication (Publicis et Havas, talonnés par les anglo- saxons Omnicom, WPP, Interpublic (cf. Table ci-dessous)

Table 22 : revenus des agences indépendantes du top 50

Table 23 : revenus des agences affiliées du top 50

b) Localisation géographique

Le conseil en communication est une activité éminemment urbaine concentrée comme on vient de le voir entre les mains de quelques grandes agences appartenant aux réseaux mondiaux. L’immense majorité de ces agences est constituée de très petites structures voire d’entreprises unipersonnelles : 97% des agences emploient moins de 20 personnes (87,4% des entreprises emploient de 0 à 5 salariés et 9,5% de 6 à 19 salariés). La tranche intermédiaire des structures dites « moyennes » c’est-à-dire des agences de 20 à 49 personnes et de 50 à 249 personnes est très faiblement représentée avec respectivement 1,9% et 1,0% de la population. Les grandes agences, peu nombreuses (0,12%), sont regroupées à Paris et en banlieue : 14 entreprises de 250 à 499 personnes et 2 entreprises de plus de 500 personnes (très vraisemblablement Publicis et Havas) qui font presque le marché à elles seules.

Près d’une agence sur deux est implantée à Paris ou dans sa proche banlieue (47,5% soit un peu plus de 7.500 agences). La centralisation des acteurs de poids en région parisienne leur donne un accès aux sièges sociaux des plus grands annonceurs tout en véhiculant une image de prestige. De nombreuses agences sont établies dans les Hauts-de-Seine (92) c’est-à- dire à mi-chemin entre La Défense et Paris comme par exemple Havas (Euro RSCG, H…) qui est à Suresnes, tout près de Bolloré son patron et quasiment dans l’axe de La Grande Arche et de l’Arc de Triomphe. JWT est installée à Neuilly-sur-Seine; TBWA, Young & Rubicam, BBDO le sont à Boulogne-Billancourt ; Draft FCB et Australie sont à Levallois-Perret ; Leo Burnett est à Asnières-sur-Seine, Mc Cann est à Clichy-sur-Seine… Dans Paris intra muros, les agences sont installées dans des quartiers d’affaires prestigieux comme le 8ème arrondissement. La fascination de l’avenue des champs Elysées a fixé Publicis et Ogilvy One à deux pas de l’Arc de Triomphe. Non loin de là, avenue Georges V, on retrouve Ogilvy & Mather. Un peu à l’écart, DDB est à côté de la gare Saint Lazare, rue d’Amsterdam. D’autres arrondissements non moins prestigieux ont également les faveurs des professionnels de la communication, comme le 17ème arrondissement avec l’avenue des Ternes (Grey), la rue Saint-Dominique dans un hôtel particulier du 7ème arrondissement à proximité du musée d'Orsay (New Robinson BBDO) ou la rue du Cherche Midi dans le 6ème arrondissement (Business) à deux pas de l’hôtel

Lutetia. Lorsqu’elles ne s’installent pas dans des lieux les plus sélects, les agences se dirigent alors vers des arrondissements dits « branchés » plus propices à la construction d’une image de créativité et d’avant garde, proche des jeunes et des tendances, comme par exemple le 10ème arrondissement associé à la mode « bobo » dans lequel on recense des agences comme Euro

RSCG BETC 4D (Groupe Havas), fondée et dirigée par Mercedes Erra et Rémy Babinet ou l’agence Marcel (Publicis Groupe) à la tête de laquelle on trouve Anne de Maupéou et Frédéric Témin. En province, les agences s’implantent dans des zones caractérisées par leur dynamisme économique et leur forte densité de population comme la régions Provence Alpes Côte d’Azur (7,8%) avec Aix-en-Provence, Marseille, Nice, etc. ; la région Rhône-Alpes (7,7%) avec Lyon et Grenoble et dans une moindre mesure la région Nord Pas de Calais (3,8%) avec Lille, Roubaix-Tourcoing, bassin de la vente par correspondance française avec des acteurs comme La Redoute, Les 3 Suisses et aussi des grands distributeurs comme Auchan avec la famille Mulliez.

c) Répartition des effectifs

Le conseil en communication emploie 62.115 personnes en 2005 contre 60.922 en 1999 juste avant l’explosion de la bulle Internet (Insee). Il est à noter qu’environ 20% des effectifs recensé par l’Insee n’ont pas le statut de salariés. Il y a donc une proportion importante de travailleurs indépendants du type « free lance », souvent des créatifs, qui travaillent à la tâche sans certitude du lendemain. Avec la succession des crises des années 2000 et 2008, on observe une relative stagnation de l’emploi dans le secteur. Les années d’euphorie qui les avaient précédées avec leur cortège d’embauche ont rapidement été effacées par les vagues de licenciements.

Comme le souligne l’hebdomadaire Stratégies du 04 février 2010 dans un article intitulé « Le numérique et le corporate réchappent à la crise »:

« l’Association des Agences Conseils en Communication (AACC) enregistre, pour l’ensemble de ses adhérents (près de 200), un recul moyen du chiffre d’affaires de 8% sur l’année [2009]. Son président Nicolas Bordas estime que les effectifs pour l’ensemble des agences ont diminué d’autant, avec des grandes disparités selon le secteur et les typologies de clients […]. Mais aucun groupe du secteur n’a dressé de procédure collective de licenciement ».

Ce qui contraste avec les licenciements massifs pratiqués par les agences en Amérique du Nord. En février 2009, on pouvait en effet lire, toujours dans Stratégies dans un article intitulé « Les agences font le maximum pour limiter la casse » :

« WPP (Ogilvy, JWT Y&R, Grey), qui emploie plus de 100.000 salariés a annoncé sa volonté de licencier sur l’ensemble de ses marchés occidentaux. Début janvier [2009],

sa filiale Ogilvy a supprimé 10% de ses effectifs en Amérique du Nord, soit près de 150 personnes. De son côté Omnicom (BBDO, DDB, TBWA) a confirmé vouloir licencier 4 à 5% de ses effectifs soit près de 3.500 de ses 70.000 salariés. Enfin, Interpublic (Mc Can-Erickson, Lowe, Draft-FCB) a d’ores et déjà licencié 100 personnes ».

Au final, les disciplines traditionnelles comme la publicité ou le marketing service ont vu fondre leur marge brute de -15 à -20%. Seules les agences interactives et les agences corporate ont mieux tiré leur épingle du jeu comme le confirment les investissements médias. Sur 2009, les dépenses dans les grands médias ont chuté de -16,6% . Dans une proportion moindre, le hors médias baisse de -6,9%. Le média internet continue, lui, de progresser en temps de crise avec +2,8% (Xerfi, 2009). C’est une progression modeste par rapport aux années précédentes qui avaient permis aux pure players d’afficher des résultats à deux chiffres, mais par comparaisons avec les autres médias, c’est le signe d’une solidité du média internet, média désormais solidement inscrit dans les pratiques de consommation et dans les « réflexes » d’investissement des annonceurs. Cette résistance d’internet à la crise a permis aux agences interactives de poursuivre leur recrutement sur des profils comme les managers de communauté (community managers) afin de faire face à l’engouement des internautes pour les réseaux sociaux avec une recrudescence d’inscriptions sur des sites comme Facebook ou Twitter (CB Newsletter, 11 mars 2010) qui ont pour but de permettre à leurs membres de se constituer un réseau d’« amis », réels ou supposés, de partager avec eux des informations et de leur raconter « ce qu’ils font au moment où ils le font » donnant ainsi lieu à des informations du type : « je prends une pause » ; « je suis malade et je reste chez moi », « j’en ai assez des jeux olympiques », etc. D’autres compétences professionnelles convoitées ont également été recrutées comme les spécialistes du référencement (savoir faire apparaître un site en bonne position à l’issue d’une requête sur un moteur de recherche) ; des experts de l’affiliation (assure la promotion d’un site marchand sur des sites partenaires avec rémunérations d’une action donnée).

Il convient également d’aborder la question particulière de la place des femmes dans les agences car le genre a son importance dans la relation commerciale. Selon Le Publicitor un publicitaire américain a dit, avec un peu d’humour et peut-être de bon sens :

« Si votre publicité n’est pas vue, mettez y une femme ; si elle n’est toujours pas vue déshabillez-là ; si ça ne suffit pas, présentez la nue. Si ça ne marche pas, changez de modèle » (Lendrevie & Baynast 2009 : 83)

Que ce soit dans les campagnes ou au sein des agences, les publicitaires accordent une place importante aux femmes. Le conseil en communication, métier de présentation et de représentation, est en effet très ouvert aux femmes (52% contre 48% d’hommes). Les fonctions commerciales notamment, où l’« on va chez le client », exige que l’on soigne les apparences à travers la cosmétique et la tenue vestimentaire. Pour ceux qui sont plus sédentaires, comme les créatifs qui sortent très rarement de l’agence pour « aller en clientèle », le soin de soi n’est pas moins recherché. Le sentiment de négligence que peuvent parfois donner les jeunes à la pause cigarette devant les agences n’est jamais que le produit d’un effort pour rompre les codes vestimentaires jugés traditionnels de « Monsieur ou Madame tout-le-monde ». Car la séduction est inséparable du métier de conseil en communication, tant en ce qui concerne en amont dans la relation à l’annonceur, qu’en aval, dans la relation avec les consommateurs.

« La relation de communication, c’est aussi une relation de séduction. Il y a de la séduction, il y a de la conviction, c‘est important aussi » (EXP 009, 2008).

Et la séduction est présente aussi bien dans les idées que dans les personnes qui les portent. On ne peut donc négliger le rôle implicitement confié aux femmes dans ce domaine. La forte présence du sexe féminin dans les agences ne doit cependant pas faire oublier que la division sexuelle du travail les cantonne plutôt à des postes subalternes ou, disons, souvent en position de subordination par rapport à leurs homologues masculins. Rares en effet sont celles qui accèdent à des postes de direction ou de top management. On peut bien sûr citer en exemple Anne de Maupéou qui occupe la double fonction de directrice de création et de co- présidente de l’agence Marcel (Publicis Group) ; on peut encore invoquer le cas de Valérie Accary, présidente de BBDO Paris et de CLM BBDO ou celui de Natalie Rastoin, directrice générale groupe Ogilvy France. Enfin, il y a l’étonnant parcours de Mercedes Erra qui, après avoir co-fondé l’agence BETC en compagnie d’Eric Tong Cuong et Rémy Babinet, occupe aujourd’hui les fonctions de directrice générale du Groupe Havas, présidente exécutive d’Euro RSCG Worldwide et présidente d’Euro RSCG France. Pour autant tous ces exemples demeurent des exceptions car le top management demeure un monde d’homme.