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CHAPITRE III. ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CHAMP

3.1. Emergence du champ du conseil en communication

3.1.2. Rationaliser et scientifiser la médiation

Les métiers de la communication et du marketing connaissent un essor considérable dans les pays industrialisés au sortir de la deuxième guerre mondiale. On assiste à ce que l’un de nos

interlocuteurs, président pour la France d’un réseau nord-américain appelle « l’américanisation du monde » (TPM 007, 2008). En France, le besoin de communication s’inscrit dans l’effort de « reconstruction » orchestré par le Commissariat au Plan. Le pays se relance. Largement financé par les subsides américains du Plan Marshall à partir de 1948, ce n’est pas seulement une reconstruction des bâtiments détruits par la guerre ou des installations désuètes qui est entamée. C’est bien plus que cela : l’appareil industriel est restructuré de fond en comble, depuis les machines aux manières de faire, des techniques de fabrication à la formation des esprits. On « scientifise » un peu plus qu’elle ne l’était déjà l’organisation du travail par une rationalisation des pratiques, mais sur ce point la France n’était pas très en retard avec Le Chatelier et Fayol (Bouilloud et Lecuyer, 1994). Il s’agit plutôt de remplacer une forme d’administration de l’entreprise sinon compromise dans la « Révolution nationale » de Vichy, du moins considérée comme dépassée par les promoteurs d’une nouvelle idéologie, celle du management moderne : le management à l’américaine (Boltanski, 1981 et 1982). Les patrons ne sont pas les seuls concernés. Il faut aussi faire évoluer le monde ouvrier dans sa vision du travail afin d’obtenir de lui une meilleure coopération à l’effort de redressement.

Cette citation de J.-R. Rabier, secrétaire général adjoint du Commissariat général au Plan résume bien l’esprit de ceux qui ont la tâche de refonder l’appareil économique français.

Il se demande s’il est réellement utile de « changer les machines, d’acquérir de nouveaux brevets, de construire des usines modernes, si, finalement, l’accroissement de la productivité est entravé par une sorte d’inhibition qui empêche les travailleurs – cadres et ouvriers – de donner leur pleine contribution et leur entière adhésion à l’œuvre que l’on qualifie généralement mais peut-être trop rapidement de « commune » ? » (Matrat et Carin, 1951).

Ce programme de soutien de la productivité et de la cohésion du corps social sera porté par un petit groupes de personnes souvent proches du catholicisme social - Lucien Matrat, Jacques Coup de Fréjac, Jean Choppin de Janvry, Philippe A. Boiry, Georges Guillemin, Michel Frois… - qui, à leur retour de missions de productivité aux Etats-Unis assurent la promotion des relations publiques en France en créant des agences spécialisées à partir de 1958. En important cette nouvelle discipline de la communication, sorte d’« ingénierie sociale », ils oeuvrent au projet alternatif de réconciliation du « capital » et du « travail ». Tout comme les publicitaires avant guerre, ils participeront à la reproduction du métier qu’ils viennent d’importer. Le Centre d’Etudes Littéraires Supérieures Appliquées (CELSA) de Charles-Pierre Guillebaud qui démarre par un cycle de conférences et de cours du soir en 1957

dans les locaux de la Sorbonne deviendra une école à part entière en 1965. C’est sans doute l’une des plus grandes réussites académiques des professionnels de la communication sociale. D’autres écoles verront le jour dans le secteur privé comme l’Ecole Française des Attachés de Presse (EFAP) de Denis Huisman en 1961 ou l’Institut d’Etudes Supérieures en Relations Publiques (ISERP) de Philippe A. Boiry en 1981.

Au chantier de la médiation sociale, s’ajoute la relance de consommation qui doit permettre à l’économie de retrouver son rythme d’activité. Pour cela, il faut inciter les ménages français à s’équiper et à accéder à un niveau de vie plus en conformité avec le standard nord américain. C’est l’entrée dans l’ère de la production en grande série, l’avènement de la société d’« accumulation » que nous décrit pour y avoir participé au début de sa carrière, ce très célèbre publicitaire aujourd’hui directeur de la création monde d’un des plus importants groupes de communication :

« Il faut remonter aux années 1950, bon, tu n’étais pas né. Le publicitaire est toujours le miroir d’une société. Et nous étions dans une société d’accumulation, parce qu’après la guerre il avait fallu s’équiper, acheter un frigidaire, une cuisinière, une voiture et une télévision » (TPM 005, 2008).

Une page se tourne. Sont en train de se réunir les conditions favorables à l’apparition de la grande distribution. Dans l’euphorie des « trente glorieuses » (Fourastié, 1979), la publicité participe à la démocratisation de la consommation. La quantité et la rapidité de diffusion des produits dépendent de l’adéquation entre les biens produits et les besoins des consommateurs de plus en plus exigeants car de plus en plus en situation de choisir entre des produits comparables. Une approche productiviste s’avère bientôt inadaptée. Il faut connaître les besoins, voire anticiper les désirs.

Pour résoudre cette difficulté est proposé le « marketing concept » d’après lequel : « Les décisions qui bénéficient au client bénéficient aux ventes. Le marketing signifie une orientation client – une véritable alliance avec la personne qui se situe à l’autre bout du réseau – mais il insiste sur un type d’action globale dirigée vers l’obtention d’un bénéfice mutuel. […] Telle est la philosophie du marketing » (Borch, 1957 : 16)47.

Après la nécessité d’un rapprochement entre les patrons et les ouvriers, c’est à un nouveau type de médiation que sont ici invités les professionnels de la communication.

Comprendre les besoins du consommateur. Cette idéologie nouvelle ouvre le champ aux sociétés d’études et de sondages diverses qui vont qualifier et quantifier les marchés.

A partir de 1946, l’Office de Justification de la Diffusion (OJD) vérifie les tirages afin de fournir aux annonceurs des données précises sur la capacité de diffusion des journaux. A partir de 1957, le Centre d’Etude Supérieur de la Publicité (CESP) va développer des enquêtes par sondage de l’audience de tous les supports (presse, affichage, radio, cinéma…). Ces travaux vont permettre le développement du média planning, étape désormais préalable à tout achat d’espace. Cette connaissance des audiences représente un progrès considérable pour la conduite des campagnes publicitaires. Elle offre aux marques une approche plus ciblée de leur public, l’intuition ou l’empirie d’autrefois cèdent le pas à une approche plus méthodique des audiences. Les publicitaires et autres experts peuvent désormais appuyer leurs recommandations sur des données chiffrées tirées des panels. Emanation des instituts d’études tel que l’IFOP apparu en 1938, la société STAFCO qui deviendra la SECODIP en 1969, met en place en 1953 le premier panel pour l’étude du marché des produits de grande consommation (Martin, 1992 : 292). Cette période est aussi celle d’un important effort pour modéliser la communication et en mesurer les effets. Créé en 1957, l’Institut d’Etudes et de Recherches Publicitaires (IREP) rassemble des praticiens et des universitaires qui publient dans les années 1960 et 1970 de nombreux rapports et études destinés à fournir les méthodes les plus scientifiques qui soient.48

Ce courant d’étude et de mesure se combinant à l’essor de l’informatique, crée des conditions particulièrement favorables aux professionnels du marketing direct (ou de la publicité directe), activité fortement liée à la vente par correspondance qui s’est développée dans les années 1950 aux Etats-Unis avec par exemple la création de l’agence Wunderman, Ricotta & Kline en 1958. Issue d’une longue tradition de gestion de fichiers d’adresses, l’objectif du marketing direct est d’établir une relation plus personnalisée avec la cible potentielle ou le client. Le marketing direct vient appuyer la publicité traditionnelle qui gère la marque. En France, les premières agences apparaissent dans les années 1960-1970 ; elles sont indépendantes à leur début (De Mendez Conseil en 1965 ; Manuel Noao en 1968 ; Publi-Direct en 1969, Bellanger Foucaucourt et Associés en 1974…). Pour autant le boum du marketing direct coïncide avec l’explosion des investissements en communication durant les années 1980.

48 Nous tenons à remercier ici Philippe Legendre, Président de l’IREP qui nous a très généreusement cédé une partie de son fonds d’archive.

En effet, en 1989, parmi les plus importantes agences de marketing direct en France, plus des deux tiers (28 sur 37) indiquent des dates de création postérieures à 1980.

Le marketing direct cherche à établir une relation avec le client en lui témoignant une attention soutenue et, par ce biais, cherche à le fidéliser en lui proposant très régulièrement des offres promotionnelles. On discerne ici tout le bénéfice, voire l’impérieuse nécessité, pour une discipline apparue dans la mouvance de la vente par correspondance, qu’il y a à se saisir des progrès de l’informatique afin de constituer des bases de données consommateurs permettant de stocker toujours plus d’information sur les profils des clients, sur leur historique de consommation et partant de toujours mieux personnaliser la relation. Comme l’illustre très bien ce président d’une importante agence de marketing direct parisienne :

« Entretenir la relation entre une marque et un consommateur, c’est simple, c’est comme deux amis. C’est ce que font deux amis qui s’écrivent, qui se téléphonent, qui s’envoient des mails, des sms, qui se rencontrent de temps en temps. Il faut que ça marche dans les deux sens, donc il faut de l’interactivité. Mais pour être capable de gérer cette relation, il faut être capable de se souvenir, c’est-à-dire que le problème de la marque par rapport à un individu, il faut doter la marque d’une mémoire. Donc de bases [de données], parce que sinon c’est la catastrophe. Je reprends mon exemple entre deux bons amis, on déjeune ensemble hier, vous m’expliquez que votre enfant est tombé de vélo est qu’il est à l’hôpital avec les deux bras dans le plâtre, si je vous téléphone en vous disant « salut vieux, comment tu vas, les enfants c’est la forme », je fous juste les pieds dans le plat. Donc il faut que je me souvienne pour prendre des nouvelles de votre fils » (TPM 017, 2008).

La mémoire de la relation, voilà l’atout majeur de l’informatique sur le traditionnel listing papier. Grâce à ses capacités de stockage (datawarehouse) et de traitement (datamining) sans précédent, les professionnels du marketing direct mais aussi ceux des études ou du

planning médias peuvent désormais traiter une quantité d’information qui jusque là était

limitée aux capacités humaines. L’informatique accroît la personnalisation de la relation à défaut de l’humaniser. Dans le courant des années 1980, les publicitaires ne peuvent s’en tenir à l’écart plus longtemps. Ils finissent par s’en saisir. Il s’ensuit de notables progrès dans les domaines de la création graphique et du traitement de l’image avec des logiciels de dessin ou de retouche comme Adobe Photoshop ou Paintbox, des logiciels d’animation vidéo comme Harry ou Edit Box. L’informatisation de la communication est en marche.