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Les origines théoriques de l’institutionnalisme organisationnel

CHAPITRE I. S’INSCRIRE DANS LA LITTERATURE

1.2. Origines et fondements théoriques de l’institutionnalisme organisationnel

1.2.1. Les origines théoriques de l’institutionnalisme organisationnel

L’institutionnalisme organisationnel issu de la sociologie institutionnaliste puise largement aux sources de la sociologie. Les « anciens » (Selznick, 1949, 1957) entretiennent une relation de proximité intellectuelle avec Max Weber tandis que les modernes (notamment Meyer et Rowan, 1977 ; Powell et DiMaggio, 1983) développent une conception du champ et de la structure qui s’inscrit davantage dans l’héritage durkheimien (Stinchcomb, 1997). Aussi allons nous revenir sur les concepts développés par Durkheim et Weber qui irriguent la pensée institutionnaliste.

Selon une approche holistique où le tout est irréductible à la somme de ses parties, Durkheim (1895 1ère éd., 1987 : 3-14) étudie le fait social qui doit être traité comme une chose, objet propre de la sociologie qui, à ce titre, se distingue de l’économie et de la psychologie. Le fait social existe en dehors de la conscience individuelle et, doté d’une puissance coercitive, il s’impose insensiblement à l’individu qu’il le veuille ou non.

« Quand je m’acquitte de ma tâche de frère, d’époux ou de citoyen, quand j’exécute les engagements que j’ai contractés, je remplis des devoirs qui sont définis, en dehors de moi et de mes actes [souligné par nous], dans le droit et dans les mœurs. Alors même qu’ils sont d’accord avec mes sentiments propres et que j’en sens intérieurement la réalité, celle-ci ne laisse pas d’être objective ; car ce n’est pas moi qui les ai faits, mais je les ai reçus par l’éducation. […] De même les croyances et les pratiques de sa vie religieuse, le fidèle les a trouvées toutes faites en naissant ; si elles existaient avant lui c’est qu’elles existaient en dehors de lui. Le système de signe dont je me sers pour exprimer ma pensée, le système de monnaie que j’emploie pour payer mes dettes, les instruments de crédit que j’utilise dans mes relations commerciales, les pratiques suivies dans ma profession, etc., etc., fonctionnent indépendamment des usages que j’en fait. » (Durkheim, 1908 1ère éd., 1975 : 3-4).

Le fait social, n’ayant pas l’individu pour substrat - soulignant par là l’irréductibilité du social au psychologique ou au biologique et donc l’autonomie de la nouvelle science du social -, il ne peut avoir pour autre origine que la société et constitue un champ d’étude autonome (celui de la sociologie, on l’a vu). Durkheim fait des institutions un objet premier parce qu'elles sont particulièrement objectivables : « le but de la sociologie, précise-t-il (1908), est de nous

faire comprendre les institutions sociales » en recourant à l’histoire et en adoptant une posture objective analogue à « l’état d’esprit où sont physiciens, chimistes, biologistes ». Par institution, Durkheim désigne toute forme organisée - famille, éducation, justice - accomplissant une fin sociale, une fonction, que le seul critère d'utilité ne suffit pas à définir ou à expliquer. Mauss (1901), neveu et disciple de Durkheim, apporte des éléments complémentaires à la formulation d’une définition de ce que recouvre la notion d’institution sans omettre de rappeler que pour étudier ces phénomènes institutionnels il existe désormais une science appropriée.

« Qu’est-ce en effet qu’une institution, nous dit-il, sinon un ensemble d’actes ou d’idées tout institué que les individus trouvent devant eux [souligné par nous] et qui s’impose plus ou moins à eux ? […] Nous entendons donc par ce mot [institution] aussi bien les usages et les modes, les préjugés et les superstitions que les constitutions politiques ou les organisations juridiques essentielles [souligné par nous]; car tous ces phénomènes sont de même nature et ne diffèrent qu’en degré. L’institution est en somme dans l’ordre social ce qu’est la fonction dans l’ordre biologique : et de même que la science de la vie est la science des fonctions vitales, la science de la société est la science des institutions ainsi définies » (Mauss, 1901 1ère éd., 1969).

Durkheim accorde une place prépondérante à la culture qui est aussi bien présente dans les systèmes réglementaires (la loi et la norme), dans les structures de la vie sociale (les rites et les pratiques), que dans les comportements économiques.

Weber est considéré comme le fondateur de la sociologie compréhensive. A la différence de Durkheim Weber se situe dans un paradigme qui donne sa place à l’acteur et qui prête une attention soutenue au sens subjectif que les acteurs donnent de leurs propres conduites.

« Nous appelons sociologie […] une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets. Nous entendons par « activité » un comportement humain (peu importe qu’il s’agisse d’un acte extérieur ou intime, d’une omission ou d’une tolérance), quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communique un sens subjectif. Et par activité « sociale », l’activité qui, par son sens visé par l’agent ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son déroulement. […] Comprendre signifie saisir par interprétation le sens ou l’ensemble significatif visé (a) réellement dans un cas particulier (dans un étude historique par exemple), (b) en moyenne ou approximativement (dans l’étude sociologique des masses par exemple), (c) à construire scientifiquement (sens « idéal typique ») pour dégager le type pur (idéal- type) d’un phénomène se manifestant avec une certaine fréquence. » Weber (1971 1ère

L’influence de Weber sur l’institutionnalisme organisationnel s’exprime nettement à travers sa conception de l’action. La sociologie de Weber est la science de l’action sociale, action compréhensible par interprétation et dont le déroulement doit être socialement expliqué à la lumière de la signification que l’acteur lui-même prête à sa conduite. Et l’action devient sociale lorsque, d’après le sens que lui en donne l’acteur, elle se rapporte au comportement d’autres personnes. Pour Weber, le monde social est ainsi constitué par l'agrégation des actions des agents qui le composent. Weber se pose ainsi en penseur des processus de rationalisation. A ce titre, il théorise les déterminants de l’action qu’il va catégoriser en quatre types : le type

traditionnel ou produit de la coutume, le type affectuel ou produit de l’émotion, le type rationnel en valeur ou accomplissement d’une valeur indépendamment de son résultat, et enfin

le type rationnel en finalité, celui par lequel l’individu « oriente son activité d’après les fins, moyens et conséquences subsidiaires et qui confronte en même temps rationnellement les moyens et la fin, la fin et les conséquences subsidiaires et enfin les diverses fins possibles entre elles. » (Weber, 1971 1ère éd., 1995 : p. 57). Par cette dernière catégorie de l’action, Weber entretient une proximité importante avec la notion de rationalité de l’acteur contenue dans la pensée économique classique d’après laquelle buts et moyens sont sélectionnés en fonction de leur utilité (vs valeur morale) même s’il prend bien le soin de préciser que « la rationalité absolue en finalité n’est elle aussi, pour l’essentiel, qu’un cas limite théorique. » (Weber, 1971 1ère éd., 1995 : 57). Par ailleurs, Weber construit trois catégories ou idéaux-types de domination légitime : la domination traditionnelle conférée par l’héritage et la tradition ; la domination charismatique produite par la soumission au sacré ou la vertu héroïque ; et la domination rationnelle légale reposant sur la croyance dans la légalité des règlements. Cette dernière ouvre la voie à une réflexion sur la bureaucratie et la bureaucratisation en tant que produit de la rationalisation de l’action sociale notamment dans la civilisation occidentale (Weber, 1971 1ère éd., 1995 : 285-389).