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Apparition de la publicité « moderne » avec l’agence conseil

CHAPITRE III. ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CHAMP

3.1. Emergence du champ du conseil en communication

3.1.1 Apparition de la publicité « moderne » avec l’agence conseil

Les historiens s’accordent à dire que la communication commerciale et le marketing se développent aux Etats-Unis dans le contexte d’effervescence industrielle de la deuxième moitié du 19ème siècle. Il n’est pas de production sans consommation et, comme le soulignent Chandler (1988 : 54) ou Tedlow (1990 : 14), les deux termes de la longue chaîne qui les relie étant distants, et la plupart du temps inconnus l’un de l’autre, s’ouvre alors un espace que va combler une longue série d’intermédiaires (grossistes, distributeurs, commerçants, prestataires de services…) parmi lesquels on peut ranger également les prestations de service en publicité et en communication marketing dont la mission consiste à rendre les marques et les produits visibles et désirables.

La chaîne s’étirant sous la forme d’une division du travail toujours plus importante et plus complexe dans une économie en développement, les publicitaires vont assurer leur part de travail de médiation, expliquant ainsi l’ouverture d’un important nombre d’agences de publicité au tournant des 19ème et 20ème siècles. A titre d’illustration, l'agence fondée par William James Carlton en 1864 prend le nom de J. Walter Thompson après sa reprise en 1877 par James Walter Thompson. En 1891, George Batten ouvre Batten & Co à New York. En 1902, Alfred Erickson lance son agence éponyme à Manhattan. En 1912, Harry Mac Cann et quatre associés ouvrent H.K. Mc Cann Co. En raison de la couleur des murs de l’agence, Grey démarre en 1917 à l’initiative de Larry Valenstein et Arthur Fatt. Les publicitaires Barton, Durstine, Osborn fondent l’agence BDO en 1919, puis fusionnent avec Batten & Co en 1928 pour donner naissance à BBDO. John O. Young et Raymond Rubicam créent l’agence Young & Rubicam en 1923.

Les Etats-Unis, pays d’élection de l’industrie publicitaire, doivent aussi compter avec les autres nations industrialisées comme le Royaume Uni avec Reynell & Son dans le courant du 19ème siècle ou le Japon avec l’agence Denstu ouverte en 1906. La France n’est pas en reste. Pour ne citer que quelques exemples d’initiatives parisiennes, l’agence Jep créée en 1912 par Hemet devient Jep et Carré en 1918. Marcel Bleustein Blanchet lance Publicis en 1926. Bien

d’autres suivront. Cette floraison d’agences traduit la vitalité de l’activité. Elle indique aussi l’évolution des pratiques professionnelles. Les publicitaires délivrent désormais du conseil en création et en technique publicitaires.

Ces agences publicitaires d’un nouveau type viennent compléter les activités déjà existantes de courtage et de régie de commercialisation de l’espace qui existent aux Etats-Unis depuis 1841 avec Volney B. Palmer (Lendrevie et Baysnast, 2008 : 111-112) et depuis 1835 en France avec l’agence de presse fondée par le français Charles-Louis Havas qui fusionne en 1920 avec le Société Générale d'Annonces se dotant ainsi d’une puissante activité de régie d’espace publicitaire. Jusqu’à la fin du 19ème siècle l’annonceur tend à internaliser la

conception de l’annonce publicitaire et à gérer personnellement la relation avec les professionnels de l’exécution technique (dessinateurs ou peintres, imprimeurs, affichistes…). Pour la diffusion il s’adresse à un afficheur, à un journal ou à leurs représentants : les courtiers. Les courtiers se dotent de leur instance de représentation en 1906 en créant la Chambre Syndicale de la Publicité (CSP) à Paris. La CSP rassemblera au plus fort de son histoire plus d’un millier d’adhérents en 1931 dont la majorité sont issus d’organes de presse (Chessel, 1998 : 21-22). Une autre organisation professionnelle voit le jour en 1913 : la Corporation des Techniciens de la Publicité (CTP). Elle est destinée à représenter les intérêts des professionnels qui ne se retrouvent pas dans l’esprit de la CSP, syndicat de courtiers très liés à la presse. La CTP, initiative là encore très parisienne, va surtout rassembler des créateurs d’agences conseils en publicité (Hemet, Jep, Carré, Gérin, Damour…), des chefs de publicité et des techniciens aussi bien issus des agences que de l’annonceur comme de Dion-Bouton, Maggi, Dubonnet, Œuvre des bons remèdes, Dunod, Au Printemps, Le Bon Marché, Cadum… (Chessel, 1998 : 23). La CTP défend une autre conception du publicitaire et par là promeut une logique rivale (Townley, 2002; Lounsbury, 2007). Les membres de la CTP marquent leur distance avec la presse dont ils s’estiment indépendants pour, au contraire, affirmer leur proximité de l’annonceur auquel ils rendent un service sous la forme de conseil en technique et création publicitaire. Leur référence est celle des professions tertiaires modernes et non l’univers traditionnel du commerce ou de la presse.

Ainsi peut-on lire dans la revue de la CTP :

« Les méthodes modernes de production, en supprimant l’empirisme, ont amené le règne des techniciens (ingénieurs et ouvriers spécialistes). Tout de même, la publicité, méthode moderne et scientifique de vente, doit être dirigée par des techniciens et

exécutée par des spécialistes […]. Nous sommes […] les ingénieurs du commerce.» (Puybelle, 1921 : 16).

Après plusieurs tentatives infructueuses pour rassembler les organismes de la profession publicitaire en 1922 puis en 1924, la CSP et la FTP parviennent à s’unir en 1933 pour fonder la Fédération de la Publicité Française (Martin, 1992 : 263), équivalent hexagonal de l’Associated Advertising Clubs of America créée en 1911 et transformée en 1917 en American Association of Advertising Agencies (Fox, 1984 : 68-70). La nouvelle Fédération tente d’harmoniser les relations entre les différents acteurs (régies publicitaires, agences conseils et techniciens publicitaires chez l’annonceur), mais elle s’attache également à préciser les conditions d’accès à l’expertise.

C’est dans cet effort pour professionnaliser et institutionnaliser les métiers de la publicité que s’inscrit une intense activité d’information grâce à des revues spécialisées (La Publicité en 1903, La publicité moderne en 1905, Atlas en 1908…), des ouvrages ou manuels (La publicité

comment s’en servi ? en 1908, La publicité suggestive, théorie et technique en 1911…),

(Martin, 1992 : 247-252). Il faut également former les futurs praticiens afin de leur assurer la compétence technique requise. Après un cycle de conférences donné de 1907 à 1910 à destination d’une audience rassemblée à l’Association des Hautes Etudes Commerciales; les premiers cours de « publicité et psychologie commerciale » sont donnés à l’ESSEC en 1908 par le publicitaire Hémet. Quelque temps plus tard, en 1911, la publicité entre modestement à HEC sous la forme d’un cours facultatif. Lentement, la matière se diffuse dans les autres écoles de commerce françaises. Si l’exposition des futurs dirigeants à l’esprit de la publicité est indispensable à son acceptation, les publicitaires notent bien une forme de prudence de l’enseignement supérieur commercial à intégrer pleinement la publicité dans ses formations (20 heures sur 500). Aussi, la profession se dote de sa propre formation en 1931, l’Ecole technique de publicité, destinée à former en totale autonomie ses futurs chefs de publicité (Chessel, 1998 : 38-49).