• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III. ELEMENTS CONSTITUTIFS DU CHAMP

3.1. Emergence du champ du conseil en communication

3.1.3. Le digital : un nouveau média, un nouveau métier

Une nouvelle étape est franchie pour les métiers du marketing et de la communication avec l’apparition d’Internet. Les premiers français, ils sont encore peu nombreux, découvrent Internet à partir de 1994. Le grand public accède à cette innovation avec la mise en place du haut débit quelques années plus tard. Le nombre d’utilisateurs croît de façon impressionnante à partir de 1998. Le taux de pénétration d’Internet en France est de 69,3% en août 2009, soit l’un des plus élevés d’Europe derrières le Royaume Uni et les pays scandinaves (Internet World Stats, 2009). Le nombre d’utilisateurs dans le monde s’élèverait aujourd’hui à plus d’un milliard et demi alors qu’il n’était que de 16 millions en 1995 (Internet World Stats, 2009). L’idéologie qui animait les fondateurs était celle d’un réseau abolissant les frontières de temps et d’espace pour une libre circulation de l’information (Vallée, 2004). Mais l’économie marchande fait peu à peu sa place au côté de la gratuité des débuts. En 1995, rares sont les entreprises qui ont bien identifié les enjeux d’Internet. Doucement, prudemment, mais sans grande réflexion stratégique, elles occupent l’espace, pour le principe, pour être là et ne pas manquer le départ du train ! C’est l’époque des premiers sites en code html qui ressemblent à de simples plaquettes papier posées maladroitement sur la toile. C’est l’époque où les sites mettent encore de longues minutes à « monter » comme disent les professionnels de l’Internet. Les métamoteurs du type Copernic « crawlent » le web à la recherche d’informations dont les résultats sont souvent décevants.

Vers 2000, les facilités d’accès au réseau s’améliorent grâce à l’ADSL, l’information s’accumule sous forme de sites d’entreprises ou de particuliers qui créent leurs espaces personnels. Les technologies progressent et le web devient plus dynamique. L’interaction devient une réalité. Les conditions de l’échange se mettent en place avec le web de deuxième génération dit web 2.0 dont on entend parler de plus en plus. Les services marchands s’organisent : plus besoin de se déplacer pour commander un voyage ou une place de spectacle. On peut faire ses courses sans sortir de chez soi. On peut dialoguer à l’autre bout du monde avec les messageries instantanées ou téléphoner sans dépenser un centime. On peut créer son blog en quelques clics et exhiber ses photos de vacances ou faire lire son carnet de bord au reste du monde. Les particuliers en perçoivent déjà mieux les bénéfices. Les entreprises aussi. Pour les marques grand public, Internet est un important levier d’affaires avec le commerce en ligne. Entre 2000 et 2009, le e-commerce a atteint les 25 milliards d’euros. Un poids

économique comparable à celui des télécoms ou de l’aéronautique (CB newsletter, 03 février 2010). Internet, c’est aussi une manne d’information exploitable pour le marketing grâce aux outils de traçage des comportements en ligne et au stockage des données personnelles dans des méga bases qui sont ensuite exploitées pour une meilleure connaissance des usages et comportements des internautes.

La « nouvelle économie » comme on l’appelle communément avant l’explosion de la bulle Internet en 2000 fait l’objet d’une attention médiatique démesurée. Les journalistes montrent à l’« ancien monde économique » partagé entre fascination et rejet, des entrepreneurs pleins d’audace, souvent très jeunes, qui créent leurs « start-up », qui s’auto-proclament « pure

players » et revendiquent la spécificité de leur activité sur Internet qui est, disent-ils,

irréductible aux activités traditionnelles. Selon eux, Internet a sa logique et ses règles qui ne sont pas celles du « brick and mortar ». Ces jeunes n’hésitent pas à donner des leçons de cyber économie aux « anciens », ceux de la « vieille économie », un temps considérés comme « has been » et « dépassés » avant que la « bulle » n’éclate.

« C’était impressionnant de voir des jeunes qui étaient absolument inexpérimentés en tout, arriver à faire la leçon à tout le monde en réinventant un certain nombre de règles » (TPM 035, 2009).

Ce petit monde triomphant se réunit alors (avant la crise de 2000) chaque premier mardi du mois dans des parades (les « first Tuesday ») où l’on s’échange les cartes de visite et où l’on fait des fêtes somptuaires arrosées au champagne. Le conseil en communication n’échappe pas à ce phénomène. A sa lisière, surgissent des experts inégalement expérimentés qui fondent leurs agences interactives, autrement appelées à l’époque des « web agencies ». Les nouveaux venus se « positionnent » comme les experts du conseil en marketing digital. Ils viennent pour la plupart de la télématique (Minitel), de sociétés de services en ingénierie informatique (SSII), de la production de CD ROM… A partir de 1995, les agences interactives sortent de terre comme des champignons. On ne les compte plus : Business Interactif, Duke, Business Lab, Orange Art, Cythère, Himalaya, WCube, Hitit, Babel@Stal, Planète Interactive, Fi Système… Avant 2000, toutes ces agences sont indépendantes, c’est-à-dire qu’elles évoluent hors des agences, des réseaux, des groupes de communication traditionnels qui structurent les marchés français et internationaux depuis des décennies. On pourrait presque dire hors champ ! Et

pourtant, ces agences interactives recouvrent partiellement les compétences du conseil en communication traditionnel.

Les opérateurs traditionnels assistent au développement de cette nouvelle offre de conseil et service dont ils ne sont pas familiers et sur laquelle ils ne savent pas très bien se positionner. Jusqu’en décembre 1997, observe Cécile Moulard qui développa l’agence Carat Interactive (filiale digitale de l’agence d’achat d’espace Carat) et qui fut chargée de mission auprès de Jean-Marie Messier lorsqu’il présidait Vivendi Universal, « Internet est un marché qui échappe aux agences de publicité » (Le Monde, 19 dec. 1997). Sans trop y croire, mais fortement incités par leurs clients « qui en savent souvent plus long sur le sujet » (Le Monde, 19 dec. 1997) et aussi par les perspectives de croissance qui se profilent (près d’un million d’euros en 1996 et cinq fois plus en 1997), les experts du conseil en communication traditionnel commencent à réagir. Ils donnent, avec un temps de retard, la réplique aux « pure players » en développant des agences susceptibles de répondre aux besoins digitaux de l’annonceur. C’est ainsi qu’on assiste à la création d’agences au sein des réseaux avec par exemple l’agence B2L au sein de BBDO, TBWA Interactive chez TBWA, Tribal chez DDB, Connect World chez Havas, Grey Interactive chez Grey, etc.