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Origines et fondements de l’institutionnalisme organisationnel

CHAPITRE I. S’INSCRIRE DANS LA LITTERATURE

1.6. Synthèse de la revue de littérature

1.6.1. Origines et fondements de l’institutionnalisme organisationnel

L’institutionnalisme organisationnel s’inscrit dans le large courant qui regroupe les théories de l’environnement organisationnel et plus spécifiquement celles - comme la théorie des systèmes socio-techniques (Trist et Bamforth, 1951), l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977) ou la théorie de la dépendance des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) - pour qui l’organisation est un système « naturel ouvert » (Scott, 1998). Officiellement apparu en 1949 avec Selznick (TVA and The Grass Roots), l’institutionnalisme organisationnel est une émanation de la pensée sociologique et plus spécifiquement encore de la sociologie dite « institutionnaliste » dont l’émergence à la fin du XIXème siècle et le renouvellement au tournant des années 1960-1970 sont absolument indissociables des évolutions de l’institutionnalisme en économie apparu le premier en 1898 avec Thorstein Veblen, identifié comme le père fondateur de l’institutionnalisme, auquel lui sont associés Common et Mitchell, deux autres économistes influencés par l’école historique allemande de Schmoller. Le développement de l’institutionnalisme au sens large (ou des différents institutionnalismes économique, historique, sociologique…) s’est effectué par la circulation des intellectuels et des idées entre l’Europe et les Etats-Unis selon une chronologie plus ou moins semblable d’une discipline à l’autre avec de façon schématique : son émergence à la fin du XIXème siècle, son essor au cours de la première moitié du XXème siècle et sa reforme dans la deuxième moitié du XXème siècle.

Dans sa version première, l’institutionnalisme organisationnel de Selznick théorise l’action toujours considérée comme rationnelle - mais contrainte – qu’il désigne par le terme

« cooptation », préfigurant ainsi la notion de rationalité limitée de March et Simon (1958).

Selznick qui est considéré comme le père de l’institutionnalisme organisationnel grâce, entre autres, à deux études majeures sur la Tennessee Valley Authority (1949) et le Leadership in

Administration (1957) est lui-même issu de l’école sociologique structuro-fonctionnaliste

américaine. La pensée de Selznick est influencée par Merton dont il fut l’élève et plus largement par la pensée de Max Weber. Ces influences se manifestent à travers le postulat du système d’action rationnel comme caractéristique des individus et des organisations (Selznick, 1948, Merton, 1936), mais cette rationalité n’est pas sans limite car elle se heurte à la difficulté

de contrôler des « objets récalcitrants » tels que les organisations et elle doit également faire face aux « conséquences inattendues » liées aux actions délibérément entreprises pour atteindre un objectif. Selznick reconnaît à la suite de Barnard (1938), l’existence de structures informelles mais ajoute qu’elles font dévier les organisations de leurs objectifs (Selznick, 1948, 1949), tout comme l’environnement d’ailleurs qui est toujours considéré à l’échelon local. Il accorde également une place très importante à la notion de valeur, dimension symbolique au principe de l’engagement et de l’institutionnalisation qui dépasse les éléments techniques constitutifs du travail (« to institutionalize, is to infuse with value beyond the technical

requirements of the task at hand » (Selznick, 1957).

Tout comme l’institutionnalisme économique et l’institutionnalisme historique, l’institutionnalisme organisationnel n’échappe pas à sa propre réforme qui est initiée par les travaux de Meyer et Rowan (1977), Zucker (1977), Powell et DiMaggio (1983), Scott et Meyer (1983). Dans une très large mesure, le néo-institutionnalisme organisationnel va délaisser l’individu, sans l’abandonner complètement (Zucker, 1977), au profit de l’environnement institutionnel dont les composantes multiples - la loi, les normes, l’Etat ou les pouvoirs publics, les entreprises privées, les syndicats et les associations professionnelles, en bref, la structure économique, sociale et culturelle -, sont au principe du comportement des organisations qui se mettent en conformité avec leur environnement pour préserver leur légitimité. L’environnement et le contexte institutionnels priment ici largement sur l’individu qui est un épiphénomène largement agi par la structure. Rendre compte du phénomène organisationnel à la lumière du néo-institutionnalisme, nécessite d’expliciter le rôle joué par les mécanismes institutionnels. Cela nous rappelle à bien des égards la conception durkheimienne selon laquelle, les faits sociaux sont extérieurs à l'individu et, à ce titre, ils doivent être expliqués « par les modifications du milieu social interne et non pas à partir des états de la conscience individuelle » (Durkheim, 1987, 1ère éd. 1895).

Parmi les notions centrales de l’institutionnalisme organisationnel nouvelle manière, rappelons entre autres, le « decoupling » qui permet de rendre compte de la façon dont les organisations parviennent à surmonter la tension entre la nécessité sociale (faire légitime en proposant des structures officielles conformes) et la nécessité économique (faire efficace en mettant en œuvre des structures officieuses opérationnelles) qui pèsent sur elles. Powell et DiMaggio (1983) développent avec le champ organisationnel et l’isomorphisme institutionnel (mimétique, coercitif et normatif), des notions clés de la pensée néo-institutionnelle. A travers

ce cadre théorique, Powell et DiMaggio cherchent à démontrer que les organisations ne rivalisent pas uniquement dans l’ordre économique pour les clients et les ressources, mais qu’elles sont également en compétition pour d’autres formes d’autorité que confèrent par exemple la légitimité institutionnelle et la conformité sociale (1991 : 66). Zucker (1977) rompant avec l’approche taxinomique et macro-analytique de ses condisciples, invite à un recentrage sur des processus micro-organisationnels qui rendent possible la mise en lumière des variations dans les réponses que les organisations apportent à des environnements pourtant semblables (vs conception isomorphe du champ).

Comme nous venons de le voir, l’institutionnalisme organisationnel est scindé en deux sous-courants qui proposent chacun une conception différente de l’environnement, de l’organisation et de l’individu. Rappelons maintenant en quoi ces deux sous-courants diffèrent ou se rejoignent de façon à mettre en lumière certaines difficultés théoriques auxquelles l’institutionnalisme organisationnel est en butte.